A Colmar, lors d’une manifestation en faveur de l’enseignement de la langue régionale, un militant de Unser Land a ainsi contribué à la notoriété de M. Rottner qui a rejoint d’autres illustres personnalités politiques « enfarinées », particulièrement en Alsace, comme François Fillon, Manuel Valls ou François Hollande.
Dans d’autres cas, la farine est remplacée par une tarte à la crème : on parle alors d’un « entartage » dont Noël Godin a fait un acte politique qu’il aura administré à une trentaine de personnalités publiques.
Devant cet acte somme toute anodin et culturel comme nous le verrons plus loin, un chevalier blanc s’est élevé. Dans un courageux éditorial dans le journal régional unique DNAlsace, le si révérencieux Bodin n’a pas maché ses mots : « … des manifestants (…) ont armé le bras du jeune militant autonomiste… Cette agression physique… Les sifflets, les huées, encore plus le jet de farine à l’encontre d’un élu, témoignent d’un sectarisme inquiétant… L’agression préméditée (…) est inacceptable… »
Mazette, appelons d’urgence la brigade antiterroriste…
Toujours prompt à défendre les puissants et leur pouvoir, « l’éditorialiste » répond au doigt et à l’œil de ses commanditaires dont M Théry, président du CIC-Crédit mutuel qui ont décidé de soutenir à tout prix Jean Rottner a l’occasion de ces élections régionales, en attendant de rouler pour Macron aux prochaines présidentielles. M. Bodin a sa feuille de route et il est prêt à rédiger sur tous les sujets du moment qu’on le lui ordonne.
Il voit donc un véritable attentat dans ce jet de farine. Heureusement que le jeune militant n’a pas accompagné la poudre blanche des œufs qui font en général bon ménage dans les enfarinages historiques.
Car M. Rottner n’a évidemment pas été un pionnier dans l’enfarinage : il s’agit là d’une vieille tradition existant dans le monde entier. M. Bodin fait état dans son article d’une grande culture : il reproche à l’enfarineur de ne pas avoir lu Publilius Syrus, poète latin mort il y a 2000 ans. Mais nous pourrions rétorquer au pisse-copie des DNAlsace qu’il ferait bien de prendre connaissance du rôle de la farine blanche dans la mythologie culturelle et sociale.
Eclairons l’antenne de l’échotier
L’enfarinement est surtout une tradition carnavalesque : dans de nombreuses contrées (dont l’Alsace et Strasbourg en est l’archétype) on se déguise et on se bombarde de farine et d’œufs.
On retrouve cette tradition vieille de 200 ans dans le Sud-Est de l’Espagne : une bataille géante de farine envahit les rues, le jour des Innocents, le 28 décembre. Même plus ancien : on dit que la Sierra de las Nieves (Andalousie) connaît un des moments les plus importants de l’année après le Carême avec le Carnaval de la farine dont les origines remonteraient à la fin du XVe siècle.
Cette fête est également connue comme la fête de « l’enfarinage » car, les habitants sortent dans les rues avec des sacs pleins de farine pour « blanchir » quiconque se trouvant sur leur passage. De vrais terroristes selon M. Bodin.
Le symbole de la farine
Au même titre que la suie, le charbon ou la lie de vin, la farine occupe aussi une place centrale parmi les fards utilisés directement sur la peau des participants au carnaval, tout particulièrement au Moyen-Age ‑de la même manière qu’elle sera utilisée, jusqu’au XVIIIe siècle, par les bateleurs du Pont-Neuf ou les acteurs de la Place-Dauphine, à Paris. Elle permet de se dissimuler, cacher son apparence, et ainsi accomplir au mieux le rite de travestissement qui accompagne ces manifestations festives.
En somme, la farine symbolise le passage d’un être à l’autre, le temps d’une représentation théâtrale ou d’un carnaval. Mais aussi d’une condition à l’autre, aux grandes étapes d’une vie. Pour le défunt qui allait accomplir son dernier voyage, l’ « enfarinement » pouvait faire partie des rituels nécessaires à la préparation du mort pour l’au-delà.
Ainsi la docteure en Etude théâtrale à la Sorbonne Blodwenn Mauffret, a rédigé une thèse sur le carnaval de Cayenne en Guyane et la tradition du « Jé farin », le jet de farine. « …La matière que répand généreusement Jé farin peut aussi être interprétée en termes politiques. Prince opulent, gaspillant la farine et s’empressant de blanchir tous ceux qui s’approchent de lui en leur enfarinant le visage, Jé farin peut ainsi apparaître comme l’image même de l’idéologie bourgeoise créole du XIXe siècle, caractérisée par une volonté de blanchiment. Simultanément, Jé farin peut exprimer le métissage et la relation forcée : le Blanc attrape qui il peut et le blanchit. Il souille une partie de l’humanité. Il disperse la blancheur au sein de la ville. »
La même auteure rappelle dans ses études sur les carnavals, « qu’à partir du 19e siècle, le carnaval a été réapproprié dans tous les espaces urbains par le pouvoir dominant, c’est-à-dire la bourgeoisie. Il lui permettait ainsi de parader, de réaffirmer ses normes et ses valeurs, de faire montre d’une cohésion sociale, d’affirmer son existence et sa force dans l’espace public. »
« Pour les autorités, ajoute-t-elle, l’objectif était de policer le carnaval, d’essayer d’en enlever tout le caractère dérisoire, le grotesque et tout ce qui était lié à la souillure. Ainsi, le jet d’œuf pourri et de farine ont été remplacé par les jets de bonbons qui aujourd’hui sont devenus des jets de confettis. »
La banale et désolante campagne de la presse alsacienne
Evidemment, pour la presse soumise au pouvoir, aller cherche de telles subtilités est dérisoire. D’ailleurs, pas sûr que le lanceur de farine était imprégné de cette histoire de la farine mais par contre il a fait un acte politique, que cela plaise ou non à tel ou tel obséquieux échotier.
Car il est scandaleux de lire dans un journal que les sifflets, les huées à l’encontre de personnalités politiques seraient le reflet d’un sectarisme inquiétant. Avec cette logique, le débat politique doit être aseptisé et chloroformé. Et la démocratie y gagnerait ?
M. Rottner a pris la chose avec humour et distance, contrairement à son porte-plume de la presse régionale. Car lui sait la valeur des actes.
On pourrait lui rappeler que le premier enfarineur de la région, c’est bien M. Rottner lui-même. N’a‑t-il pas roulé dans la farine des dizaines de milliers d’Alsaciens qu’il avait appelé à signer une pétition contre l’instauration de la Grande Région, signatures reniées dès qu’il lui a été dévolu la présidence du Grand Machin !
Et les Alsaciens n’ont-ils pas un sentiment de s’être fait enfariner quand, au mépris du référendum pour le département unique rejeté en 2013, les élus engagent la fusion du 67 et du 68 pour créer le Petit Machin, la Collectivité Européenne d’Alsace ?
Deux faits qui m’apparaissent plus grave pour l’avenir de la démocratie qu’un jet de farine qui disparaît après une douche et un passage du costume au pressing…