A Col­mar, lors d’une mani­fes­ta­tion en faveur de l’enseignement de la langue régio­nale, un mili­tant de Unser Land a ain­si contri­bué à la noto­rié­té de M. Rott­ner qui a rejoint d’autres illustres per­son­na­li­tés poli­tiques « enfa­ri­nées », par­ti­cu­liè­re­ment en Alsace, comme Fran­çois Fillon, Manuel Valls ou Fran­çois Hollande. 

Dans d’autres cas, la farine est rem­pla­cée par une tarte à la crème : on parle alors d’un « entar­tage » dont Noël Godin a fait un acte poli­tique qu’il aura admi­nis­tré à une tren­taine de per­son­na­li­tés publiques.

Devant cet acte somme toute ano­din et cultu­rel comme nous le ver­rons plus loin, un che­va­lier blanc s’est éle­vé. Dans un cou­ra­geux édi­to­rial dans le jour­nal régio­nal unique DNAl­sace, le si révé­ren­cieux Bodin n’a pas maché ses mots : « … des mani­fes­tants (…) ont armé le bras du jeune mili­tant auto­no­miste… Cette agres­sion phy­sique… Les sif­flets, les huées, encore plus le jet de farine à l’encontre d’un élu, témoignent d’un sec­ta­risme inquié­tant… L’agression pré­mé­di­tée (…) est inacceptable… » 

Mazette, appe­lons d’urgence la bri­gade antiterroriste…

Rott­ner cher­che­ra à retour­ner la situia­tion par l’hu­mour sur Twit­ter, mais on remarque la volon­té de mai­tri­ser son image à l’é­gard d’un came­ra­man. Sui­vra une alter­ca­tion entre le dépu­té Jacques Cat­tin et le conseiller régio­nal RN Chris­tian Zimmermann

Tou­jours prompt à défendre les puis­sants et leur pou­voir, « l’éditorialiste » répond au doigt et à l’œil de ses com­man­di­taires dont M Thé­ry, pré­sident du CIC-Cré­dit mutuel qui ont déci­dé de sou­te­nir à tout prix Jean Rott­ner a l’occasion de ces élec­tions régio­nales, en atten­dant de rou­ler pour Macron aux pro­chaines pré­si­den­tielles. M. Bodin a sa feuille de route et il est prêt à rédi­ger sur tous les sujets du moment qu’on le lui ordonne.

Il voit donc un véri­table atten­tat dans ce jet de farine. Heu­reu­se­ment que le jeune mili­tant n’a pas accom­pa­gné la poudre blanche des œufs qui font en géné­ral bon ménage dans les enfa­ri­nages historiques.

Car M. Rott­ner n’a évi­dem­ment pas été un pion­nier dans l’enfarinage : il s’agit là d’une vieille tra­di­tion exis­tant dans le monde entier. M. Bodin fait état dans son article d’une grande culture : il reproche à l’enfarineur de ne pas avoir lu Publi­lius Syrus, poète latin mort il y a 2000 ans. Mais nous pour­rions rétor­quer au pisse-copie des DNAl­sace qu’il ferait bien de prendre connais­sance du rôle de la farine blanche dans la mytho­lo­gie cultu­relle et sociale.

Eclairons l’antenne de l’échotier

L’enfarinement est sur­tout une tra­di­tion car­na­va­lesque : dans de nom­breuses contrées (dont l’Alsace et Stras­bourg en est l’archétype) on se déguise et on se bom­barde de farine et d’œufs.

On retrouve cette tra­di­tion vieille de 200 ans dans le Sud-Est de l’Espagne : une bataille géante de farine enva­hit les rues, le jour des Inno­cents, le 28 décembre. Même plus ancien : on dit que la Sier­ra de las Nieves (Anda­lou­sie) connaît un des moments les plus impor­tants de l’année après le Carême avec le Car­na­val de la farine dont les ori­gines remon­te­raient à la fin du XVe siècle.

Cette fête est éga­le­ment connue comme la fête de « l’en­fa­ri­nage » car, les habi­tants sortent dans les rues avec des sacs pleins de farine pour « blan­chir » qui­conque se trou­vant sur leur pas­sage. De vrais ter­ro­ristes selon M. Bodin.

Le symbole de la farine

Au même titre que la suie, le char­bon ou la lie de vin, la farine occupe aus­si une place cen­trale par­mi les fards uti­li­sés direc­te­ment sur la peau des par­ti­ci­pants au car­na­val, tout par­ti­cu­liè­re­ment au Moyen-Age ‑de la même manière qu’elle sera uti­li­sée, jus­qu’au XVIIIe siècle, par les bate­leurs du Pont-Neuf ou les acteurs de la Place-Dau­phine, à Paris. Elle per­met de se dis­si­mu­ler, cacher son appa­rence, et ain­si accom­plir au mieux le rite de tra­ves­tis­se­ment qui accom­pagne ces mani­fes­ta­tions festives.

En somme, la farine sym­bo­lise le pas­sage d’un être à l’autre, le temps d’une repré­sen­ta­tion théâ­trale ou d’un car­na­val. Mais aus­si d’une condi­tion à l’autre, aux grandes étapes d’une vie. Pour le défunt qui allait accom­plir son der­nier voyage, l’ « enfa­ri­ne­ment » pou­vait faire par­tie des rituels néces­saires à la pré­pa­ra­tion du mort pour l’au-delà. 


Ain­si la doc­teure en Etude théâ­trale à la Sor­bonne Blod­wenn Mauf­fret, a rédi­gé une thèse sur le car­na­val de Cayenne en Guyane et la tra­di­tion du « Jé farin », le jet de farine. « …La matière que répand géné­reu­se­ment Jé farin peut aus­si être inter­pré­tée en termes poli­tiques. Prince opu­lent, gas­pillant la farine et s’empressant de blan­chir tous ceux qui s’ap­prochent de lui en leur enfa­ri­nant le visage, Jé farin peut ain­si appa­raître comme l’i­mage même de l’i­déo­lo­gie bour­geoise créole du XIXe siècle, carac­té­ri­sée par une volon­té de blan­chi­ment. Simul­ta­né­ment, Jé farin peut expri­mer le métis­sage et la rela­tion for­cée : le Blanc attrape qui il peut et le blan­chit. Il souille une par­tie de l’hu­ma­ni­té. Il dis­perse la blan­cheur au sein de la ville. »

La même auteure rap­pelle dans ses études sur les car­na­vals, « qu’à par­tir du 19e siècle, le car­na­val a été réap­pro­prié dans tous les espaces urbains par le pou­voir domi­nant, c’est-à-dire la bour­geoi­sie. Il lui per­met­tait ain­si de para­der, de réaf­fir­mer ses normes et ses valeurs, de faire montre d’une cohé­sion sociale, d’affirmer son exis­tence et sa force dans l’espace public. »

« Pour les auto­ri­tés, ajoute-t-elle, l’objectif était de poli­cer le car­na­val, d’essayer d’en enle­ver tout le carac­tère déri­soire, le gro­tesque et tout ce qui était lié à la souillure. Ain­si, le jet d’œuf pour­ri et de farine ont été rem­pla­cé par les jets de bon­bons qui aujourd’hui sont deve­nus des jets de confettis. »

La banale et désolante campagne de la presse alsacienne

Evi­dem­ment, pour la presse sou­mise au pou­voir, aller cherche de telles sub­ti­li­tés est déri­soire. D’ailleurs, pas sûr que le lan­ceur de farine était impré­gné de cette his­toire de la farine mais par contre il a fait un acte poli­tique, que cela plaise ou non à tel ou tel obsé­quieux échotier.

Car il est scan­da­leux de lire dans un jour­nal que les sif­flets, les huées à l’encontre de per­son­na­li­tés poli­tiques seraient le reflet d’un sec­ta­risme inquié­tant. Avec cette logique, le débat poli­tique doit être asep­ti­sé et chlo­ro­for­mé. Et la démo­cra­tie y gagnerait ?

M. Rott­ner a pris la chose avec humour et dis­tance, contrai­re­ment à son porte-plume de la presse régio­nale. Car lui sait la valeur des actes.

On pour­rait lui rap­pe­ler que le pre­mier enfa­ri­neur de la région, c’est bien M. Rott­ner lui-même. N’a‑t-il pas rou­lé dans la farine des dizaines de mil­liers d’Alsaciens qu’il avait appe­lé à signer une péti­tion contre l’instauration de la Grande Région, signa­tures reniées dès qu’il lui a été dévo­lu la pré­si­dence du Grand Machin !

Et les Alsa­ciens n’ont-ils pas un sen­ti­ment de s’être fait enfa­ri­ner quand, au mépris du réfé­ren­dum pour le dépar­te­ment unique reje­té en 2013, les élus engagent la fusion du 67 et du 68 pour créer le Petit Machin, la Col­lec­ti­vi­té Euro­péenne d’Alsace ?

Deux faits qui m’apparaissent plus grave pour l’avenir de la démo­cra­tie qu’un jet de farine qui dis­pa­raît après une douche et un pas­sage du cos­tume au pressing…

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