Pho­to de Mar­tin Wilhelm 

Ça sem­blait mal s’a­mor­cer : quelques dizaines de per­sonnes se retrouvent sur la Place de la Réunion, tan­dis que 14 heures sonnent depuis le clo­cher du Temple Saint-Etienne.

Quelques pan­neaux bri­co­lés à la hâte sont visibles sous les bras de quelques per­sonnes. Rien ne se passe. Quelques minutes plus tard une petite colonne arrive, et la chef de file attire l’attention des pré­sents : « venez, c’est à la Bourse ». Des réponses fusent : « non », « non », « on reste, c’est pré­vu ici ».

Geste de dépit de l’ambassadrice, qui s’éloigne. Elle revien­dra. Un jeune homme que l’on croit recon­naitre sur­vient, soi­gneu­se­ment mas­qué. Il dresse son pan­neau « Macron, honte natio­nale », puis agite un dra­peau tri­co­lore à bout de bras au milieu du par­terre. Il com­mence à chan­ton­ner des slo­gans anti-Macron, dans l’indifférence générale.

L’éclaireuse revient sur les lieux. Elle exhorte une nou­velle fois à rejoindre le Square de la Bourse. Cette fois, cha­cun finit par la suivre mollement.

Nous pas­sons sur la rue du Sau­vage, et là, c’est vue sur une colonne impres­sion­nante de per­sonnes qui convergent d’un pas sou­te­nu vers le Square.

Sur place, le spec­tacle est éton­nant. Pour qui côtoie régu­liè­re­ment les mani­fes­ta­tions mul­hou­siennes, aper­ce­voir une foule aus­si com­pacte, excé­dant lar­ge­ment le square tri­an­gu­laire de presque 5000 mètres car­rés, est chose rare. En plein été, c’en est presque exceptionnel.

Toutes les géné­ra­tions sont repré­sen­tées. Dont des per­sonnes âgées, sou­vent en couple, des familles avec enfants, des jeunes venus en bande.

Pas trace de res­pon­sables poli­tiques locaux, et moins encore de par­tis, ni même de syn­di­cats. L’ordre sani­taire ne sau­rait être démen­ti ouver­te­ment, par sou­ci de res­pec­ta­bi­li­té, peut-être, même lorsqu’il n’est plus qu’un ordre absurde et brutal.

Un point aveugle démo­cra­tique semble se for­mer depuis de nom­breux mois, à vrai dire depuis l’émergence des gilets jaunes dans l’espace public. De nom­breux publics se retrouvent désor­mais orphe­lins de la moindre repré­sen­ta­tion poli­tique, et oubliés de ces corps inter­mé­diaires que l’on nomme syndicats.

La chose était mani­feste, une fois encore, au milieu de cette foule. Popu­laire, cha­mar­rée, inter­gé­né­ra­tion­nelle, scan­dant « Liber­té, liber­té ! » comme seul slo­gan sub­stan­tiel, et enton­nant pério­di­que­ment l’hymne natio­nal pour se don­ner de l’allant.

Et dans cette diver­si­té, le meilleur, et le plus mau­vais, pou­vait se coudoyer.

On l’entendait dans les for­mu­la­tions déli­rantes uti­li­sées par cer­tains, comme ce « soi-disant virus », « ce truc n’existe pas, je le sais évi­dem­ment car je tra­vaille pour X, et je connais Y qui a inven­té tel réac­tif, etc… ». La chaine de cau­sa­li­té est mani­fes­te­ment para­noïde, mais parait se poser en contre-nar­ra­tion du « rou­leau com­pres­seur gou­ver­ne­men­tal ».

Des oppo­sants réso­lus aux vac­cins se trou­vaient donc éga­le­ment dans la mani­fes­ta­tion. On a pu le véri­fier lorsqu’une mili­tante poli­tique s’est expri­mée en soli­da­ri­té, tout en expli­quant être vac­ci­née. Elle a été sif­flée par quelques per­sonnes présentes.

Mais après avoir lon­gue­ment par­cou­ru le cor­tège, qui s’est lan­cé inopi­né­ment au cœur de la ville à la faveur du suc­cès impré­vu de ce ras­sem­ble­ment, et avoir inter­ro­gé de nom­breux par­ti­ci­pant-e‑s, ceux-là ne consti­tuaient pas du tout le gros des troupes.

Nous inter­ro­geons de jeunes infir­mières, qui disent clai­re­ment être pour la liber­té de choix, et consi­dèrent que le pro­cès d’intention et les menaces de licen­cie­ment faits aux soi­gnants rétifs à la vac­ci­na­tion sont scan­da­leuses, au regard de leurs enga­ge­ment et sacri­fices, notam­ment ici, au GHRMSA de Mulhouse. 

Nous échan­geons avec un couple venu avec ses deux enfants, qui explique en sub­stance ne pas vou­loir d’un monde de sépa­ra­tion, et s’inquiète sur­tout des consé­quences du pass sani­taire nou­velle for­mule sur les liber­tés publiques.

Le secré­taire d’Attac68 était éga­le­ment pré­sent. Il fus­ti­geait la toute-puis­sance des labo­ra­toires et leurs effets délé­tères. Quand on impose des res­tric­tions jamais vues sur les liber­tés publiques, on se trouve inca­pable de les impo­ser à Big phar­ma, notam­ment en matière de brevets. 

Nous croi­sons encore Ber­nard Engas­ser, ancien secré­taire de l’U­nion dépar­te­men­tale CGT du Haut-Rhin, qui nous explique tout d’abord être un par­ti­ci­pant vac­ci­né. Il s’inquiète et s’interroge sur­tout sur le tour poli­tique que prend l’épidémie dans le pays, notam­ment sur l’état de la gauche, ou tout du moins sur les forces progressistes. 

Une ques­tion des plus légi­times, quand dans la presse qui fut pro­gres­siste, et qui passe pour ser­vir de réfé­rence, tout comme lors du mou­ve­ment des gilets jaunes, le mépris de classe se dou­blait d’un déni­gre­ment hai­neux dans les com­men­taires de lec­teurs, un véri­table baro­mètre de la moyen­no­sphère française.

Les mots choi­sis à l’a­dresse des mani­fes­tants sont, encore ici, peu amènes : « nul­li­té intel­lec­tuelle crasse », « dégé­né­res­cence intel­lec­tuelle » « égoïstes », « irres­pon­sables », « espé­rons que ces réfrac­taires soient empor­tés par le virus », etc.

L’asymétrie des cibles des deux « camps », qui n’en sont évi­dem­ment pas, entre vac­ci­nés et non-vac­ci­nés est frap­pante : quand les bour­geois, lec­teurs de « Le Monde », font preuve d’une into­lé­rance et d’une haine ahu­ris­sante à l’endroit de leurs conci­toyens, les mani­fes­tants, d’éducation sup­po­sé­ment moindre, dénoncent le lob­by phar­ma­ceu­tique, les puis­sances d’argent, et s’inquiètent pour les libertés…

Fort heu­reu­se­ment, les lec­teurs du « Quo­ti­dien ves­pé­ral des mar­chés », comme disait l’autre, ne sont pas tous d’infects salauds ordi­naires sur­plom­bant la popu­lace depuis leur pié­des­tal social, et ron­gés par la peur de vivre. Au point d’en man­quer l’es­prit de la tri­ni­té républicaine. 

Il reste que le pro­jet de loi sur le pass sani­taire qui sera exa­mi­né lun­di à l’assemblée, par voie d’urgence, ain­si qu’il se doit dans l’absurdistan auto­ri­taire, pour para­phra­ser Anni­ka Joeres, cor­res­pon­dante du jour­nal alle­mand « Die Zeit » en France, est une cala­mi­té juri­dique hors norme, dans toutes les accep­tions du terme.

Nous aurons l’oc­ca­sion d’y reve­nir très vite. 

Jean Rott­ner, Vice-maire de Mul­house, s’est quant à lui réjoui de la nou­velle donne politique :

Plus le temps de pen­ser. Plus le choix. A peine le temps de pan­ser. Fer­me­ture démo­cra­tique, avant liquidation ? 

Tout comme 382 élus locaux LR et PS qui prennent aujourd’­hui par­ti pour Macron, dont Michèle Lutz, maire de Mul­house, en signant une tri­bune com­mune dans le Jour­nal du Dimanche. Les mar­quis de la droite offi­cielle et de la droite offi­cieuse, d’or­di­naire si sou­cieux de trom­pe­ter le res­pect de l’ordre répu­bli­cain, applau­dissent l’as­phyxie démo­cra­tique et l’ins­tau­ra­tion d’un sépa­ra­tisme sani­taire, dans le pays de la liber­té et de l’égalité. 

Plus rien de décent ne semble tenir par gros temps. Et le fond de l’air sani­taire est venu empor­ter un régime poli­tique main­te­nu sous hypoxie depuis trop longtemps. 

Quant aux mani­fes­tants, dont le ras­sem­ble­ment devait durer plus de deux heures, ils ont conve­nu de se retrou­ver la semaine prochaine… 

Ci-des­sous, la gale­rie pho­to­gra­phique de notre pho­to­graphe Mar­tin Wil­helm :

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