Comme tous les établissements soumis aux effets de la loi du 5 aout 2021 relative à la vaccination obligatoire du personnel de soins, la direction du groupement hospitalier de Mulhouse veille au grain. Peut-être même avec un zèle un poil trop soutenu pour être tout à fait conséquent.
Dans une note de service signée par l’adjointe de la directrice le 14 septembre 2021, on claironnait en effet que « la conformité de nos professionnels au regard de l’obligation vaccinale atteint 92% ». Le motif de satisfaction est toutefois relatif : sur les 5910 salariés du groupement, quelque 473 agents ne sont pas à jour de leur vaccination.
Ce faisant, on y informait que dès le lendemain des décisions de suspension seront prises à l’endroit des personnels non encore vaccinés.
Et puisque la troisième dose est susceptible d’avoir ramené dans le giron national des « antivax » près de 800 000 personnes ayant refusé de s’y soumettre, peut-être s’en trouvera-t-il aussi quelque spécimen au sein du GHRMSA ?
Quoi qu’il en soit, la note décrit dans le détail la mise en œuvre et les conséquences de la suspension d’un agent. Un email est par ailleurs spécialement créé afin de permettre aux professionnels recouvrant soudainement la lumière vaccinale, d’envoyer directement à leur direction les justificatifs exigibles, afin de renouer avec leur poste de travail.
Selon les mots tenus en décembre dernier par Michèle Lutz, maire de Mulhouse, lors du dernier conseil municipal, c’est près de 200 infirmières qui manquent à l’appel, rien qu’à l’hôpital de Mulhouse, dont 50 en raison de leur suspension à la suite d’un refus de vaccination.
Suspension de grand malade
Loric* est un agent des services hospitaliers (ou « ASH » dans le jargon bureaucratique) depuis mars 2003, au sein du service des admissions du groupement hospitalier mulhousien.
En arrêt maladie continu depuis le 1er mars 2021, ainsi qu’il le prouve en produisant l’ensemble de ses fiches de soin, il a pourtant fait l’objet d’une suspension professionnelle de la part de son employeur en date du 28 septembre 2021, en raison de la non-production d’un certificat de vaccination.
Le versement de son salaire a bien sûr été interrompu depuis lors.
N’ayant commis aucune faute, puisqu’en arrêt maladie, sa suspension est alors assimilée à une faute du « 3ème groupe », qui permet l’exclusion temporaire de fonctions de 16 jours à 2 ans d’un agent hospitalier sous statut de fonctionnaire.
L’agent public suspendu a cependant le droit de se défendre devant une commission disciplinaire, mais Loric n’y sera jamais convié. Un oubli sans doute lié à un problème de QR Code ?
N’étant pas un « antivax », il proteste d’abord de ce que la loi du 5 aout 2021 ne permet pas de priver un agent de sa rémunération, n’étant ni en détachement, disponibilité, congé parental, ou activité de réserve.
La loi s’applique aux agents publics en exercice, indépendamment de leur position administrative, au regard des patients auprès desquels ils pourraient constituer une menace.
Suspendre un salarié alors qu’il est en congé maladie est une interdiction absolue en droit du travail (secteur privé), mais dans la fonction publique, le doute sur la légalité parait pour le moins manifeste.
C’est ainsi que des juridictions administratives comme celles de Cergy-Pontoise, Nancy, Grenoble, notamment, ont fait état de doutes sérieux quant à la légalité des mesures de suspension dirigée contre les professionnels de santé.
A Strasbourg, en revanche, comme dans d’autres juridictions administratives, on s’est souvent cantonné à une application stricte de la loi du 5 aout 2021.
C’est pourtant devant la section des référés du tribunal administratif de Strasbourg que Loric s’est présenté, seul, c’est-à-dire sans l’assistance d’un avocat, le 1er décembre 2021, pour faire valoir le caractère illégal de sa suspension professionnelle.
Nous évoquions ici cette étonnante matinée judiciaire au cours de laquelle plus d’une dizaine de soignantes et soignants ont tenté de se défendre devant le tribunal présidé par Marie-Laure Messe, vice-présidente de Tribunal administratif, et juge des référés en l’espèce.
Loric se défend pied à pied, en opposant la jurisprudence qu’il a pu recenser par ses propres moyens, et des décrets caractérisant l’illicéité de sa situation au regard de la règlementation du travail dans le secteur public, d’autant plus quand on relève d’un congé maladie.
Il rend compte de son quotidien matériel, et des 500 euros mensuels qui ne lui permettent plus de satisfaire aux besoins de sa famille, de la détresse de son épouse, elle-même soignante au GHRMSA.
Il fait état de ce que la direction des ressources humaines ne peut se substituer à une décision médicale, que celle-ci pratique l’arbitraire en ne suspendant pas d’autres personnels également en congé, et ajoute qu’il n’a jamais été destinataire de la décision du comité médical censé statuer sur son cas.
Le GHRMSA fait quant à lui valoir, via Olivia Condello, son conseil, que Loric a été admis à une reprise en mi-temps thérapeutique, et que puisque la loi du 5 aout ne fait pas de distinction selon la position d’activité (en exercice ou en arrêt), l’employeur a obligation d’appliquer la loi et donc de sanctionner (sans caractère disciplinaire) le salarié non-vacciné.
La justice passe (car la cause est juste), mais le jugement trépasse
Ce jour-là, devant la juridiction administrative, Loric sera le seul des plaignants à obtenir gain de cause quelques jours plus tard.
La juge reconnait en effet, dans son jugement du 6 décembre, le caractère d’urgence de sa situation (ce qu’il faut toujours démontrer dans le cadre d’une action en référé).
Elle ordonne ce faisant la suspension de l’exécution de suspension par le GHRMSA, au nom d’un « doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ».
En conséquence, le GHRMSA doit verser la rémunération à laquelle Loric a droit dans le cadre de son arrêt de travail. Il doit assimiler la période d’absence de service à une période de travail effectif pour la détermination de la durée de ses congés payés, ainsi que pour son ancienneté et son avancement.
Le jugement ordonne ainsi que le GHRMSA procède à ce versement et régularise la situation administrative de son agent dans le délai de 5 jours à compter de la notification de l’ordonnance (ou verdict) du tribunal. Nous étions donc le 6 décembre 2021.
Le 22 décembre 2021, soit 16 jours après publication de l’ordonnance de référé restaurant Loric dans ses droits, le GHRMSA n’a toujours pas versé les sommes dues à son agent. Un autre oubli lié à une défaillance de QR Code ?
Son employeur prétextera notamment ne pas avoir réceptionné la prolongation de son arrêt maladie pour la période du 27 octobre au 8 novembre 2021, ce qui est manifestement douteux au vu des attestations médicales qu’il produit.
De sorte que dans un courrier du 16 décembre 2021, Corinne Krencker, directrice du GHRMSA, décide de le placer en « congé maladie ordinaire » (reconnaissant implicitement le jugement du tribunal) mais aussi en « absence de service fait » relative à la période des 11 jours supposément non effectués… alors qu’il était toujours en congé maladie !
Point d’orgue du serpent administratif se mordant la queue jusqu’à l’absurde : Loric est réceptionnaire d’un nouveau courrier, daté du 22 décembre 2021, émanant de la direction des ressources humaines du GHRMSA.
Le père-noël est-il une ordure en blouse blanche ? Toujours est-il qu’une « décision de suspension emportant interdiction d’exercer en vertu de la loi n° 2021–1040 du 5 aout 2021 » est alors prononcée contre lui…
L’administration hospitalière considère « qu’un agent en arrêt maladie se trouve statutairement en position d’activité », ce que la présidente du tribunal administratif de Strasbourg avait précisément récusé au nom d’un « doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée »…
Loric est donc à la fois rétabli dans ses droits (sans n’être toujours pas rémunéré pour autant) … ET simultanément suspendu !
Il est vrai que le pavillon psychiatrique de l’hôpital mulhousien est situé sur le site dit du Hasenrain, c’est à dire à l’endroit même où se trouve également la direction du GHRMSA.
Mais n’y voyez pas de lien causal. Ce n’est qu’une adaptation sanitaire du « en même temps ». Une potion politique aussi peu saine, que sadiquement distillée par l’association des docteurs Knock gouvernementaux. Et ceux-là ne risquent pas plus d’y faire triompher la médecine…
*Pseudonyme de l’agent hospitalier
merci pour cet article ! du vrai journalisme !
Vraiment un très bel article