Le Conseil Consti­tu­tion­nel ayant vali­dé une bonne par­tie de la loi d’ex­ten­sion du pass sani­taire, il s’a­git désor­mais de savoir ce qu’elle change sur la rela­tion de travail.

Le fait est que ces dis­po­si­tions prennent éga­le­ment effet sur le droit du tra­vail, une méca­nique juri­dique extrê­me­ment sen­sible, sur laquelle les effets de la loi risquent de géné­rer une incroyable insé­cu­ri­té juri­dique tant pour les employeurs que pour les salariés. 

On peut même se deman­der si elle n’est pas prin­ci­pa­le­ment un piège pour de nom­breux employeurs, qui trou­ve­raient grand inté­rêt à l’ap­pli­quer a minima. 

La décision du Conseil Constitutionnel interdit tout licenciement en raison de l’absence de pass sanitaire 

En effet, le Conseil consti­tu­tion­nel rap­pelle que la loi exclut que « le défaut de passe puisse consti­tuer une cause réelle et sérieuse de licen­cie­ment ». Le gou­ver­ne­ment avait annon­cé des sanc­tions pour les employeurs qui refu­se­raient de sus­pendre, voire de licen­cier, leurs sala­riés qui n’auraient pas de pass sani­taire. Mais la loi ne crée pas de sanc­tion à cet effet. 

Si donc un employeur de la res­tau­ra­tion sus­pend un sala­rié pour défaut de pass sani­taire, ou si en employeur du milieu médi­cal sus­pend un sala­rié pour absence de vac­ci­na­tion, il conserve la pos­si­bi­li­té de licen­cier le sala­rié sus­pen­du, mais à la seule condi­tion de le jus­ti­fier par des motifs orga­ni­sa­tion­nels, et non sanitaires. 

En tout état de cause, il fau­dra que les employeurs soient pru­dents et motivent extrê­me­ment bien les motifs de licen­cie­ment, notam­ment en excluant toute cause dis­cri­mi­na­toire, à com­men­cer par l’ab­sence de vac­ci­na­tion, à défaut de se retrou­ver en pro­cé­dure conten­tieuse devant le Conseil de Prud’hommes !

On oublie en effet sou­vent qu’un contrat de tra­vail de droit pri­vé, s’il subor­donne un sala­rié à son employeur, consti­tue cepen­dant la loi des par­ties, aus­si asy­mé­trique, c’est à dire inégal, soit-il. Si un tiers s’immisce dans la rela­tion pour déna­tu­rer les condi­tions et moda­li­tés de la rela­tion contrac­tuelle, y com­pris pour des motifs d’in­té­rêt géné­ral, il devra alors en assu­mer les consé­quences maté­rielles et préjudicielles. 

Le confi­ne­ment a d’ailleurs créé un pré­cé­dent à une échelle natio­nale, puisque l’État s’est obli­gé à ser­vir de relais aux employeurs, en pre­nant à sa charge le ver­se­ment des salaires, lors­qu’il a impo­sé la fer­me­ture des éta­blis­se­ments com­mer­ciaux et indus­triels non indispensables. 

Un formalisme préalable au licenciement qui ne souffre pas d’exceptions 

En droit du tra­vail, la sus­pen­sion du contrat de tra­vail équi­vaut à une sanc­tion dis­ci­pli­naire qui prive le sala­rié de son salaire. La pro­cé­dure par­ti­cu­lière est décrite dans les articles L 1332–1 et sui­vants du Code du Travail.

Il fau­dra convo­quer le sala­rié en res­pec­tant des durées, per­mettre l’assistance par un membre de l’entreprise ou un conseiller du sala­rié, et res­pec­ter un délai rai­son­nable avant de pro­non­cer la sanc­tion. Le non res­pect de la pro­cé­dure, ou sa pré­ci­pi­ta­tion, peut inva­li­der toute la pro­cé­dure. La juris­pru­dence est constante à cet égard. 

Dans le contexte actuel, l’employeur devra donc se gar­der de 3 pièges qui crée­rait un pré­ju­dice au sala­rié sus­cep­tible d’être sanc­tion­né en jus­tice, et même en voie pénale pour discrimination :

  • Il devra res­pec­ter le for­ma­lisme et la pro­cé­dures incon­tour­nables rela­tives aux sanc­tions disciplinaires
  • Il s’in­ter­di­ra d’in­ter­ro­ger le sala­rié sur sa san­té, même en situa­tion épidémique
  • Il s’in­ter­di­ra de le sanc­tion­ner sur un motif de san­té, quel qu’il soit

La santé au travail : une obligation générale de résultat pour l’employeur, qui n’a rien à voir avec le fait de connaitre l’état de santé particulier des salariés !

En effet, res­pect du secret médi­cal oblige, un employeur ne peut en aucun cas inter­ro­ger un sala­rié sur sa san­té, et encore moins le sanc­tion­ner pour ce motif. Le Code du tra­vail en dis­pose clai­re­ment à l’ar­ticle L1132‑1.

Ain­si : «  aucun sala­rié ne peut être sanc­tion­né, licen­cié ou faire l’objet d’une mesure dis­cri­mi­na­toire, directe ou indi­recte en rai­son de son état de santé »

La sus­pen­sion du contrat de tra­vail (équi­va­lente à une sanc­tion) ne peut être pro­non­cée « en rai­son de l’é­tat de san­té » du sala­rié. A défaut d’être consi­dé­rée comme nulle et non avenue. 

Et si le motif dis­cri­mi­na­toire est rete­nu, il n’y a alors ni barème ni pla­fond en cas de rup­ture du contrat, tout comme pour le har­cè­le­ment. De sorte que les condam­na­tions peuvent être sévères pour les employeurs.

L’employeur doit en revanche ren­voyer la situa­tion hors l’en­tre­prise, en orga­ni­sant une visite d’examen spé­ci­fique par le Méde­cin du Tra­vail atta­ché à l’en­tre­prise, ain­si qu’il est pré­vu par l’article R4624-17 du Code du Travail.

En retour, le Méde­cin du Tra­vail ne com­mu­ni­que­ra aucune infor­ma­tion à l’employeur sur l’état de vac­ci­na­tion du sala­rié, mais seule­ment son apti­tude (ou inap­ti­tude) à satis­faire aux exi­gences phy­siques ou psy­chiques liées à son poste de tra­vail. Ain­si, l’employeur aura plei­ne­ment satis­fait à son obli­ga­tion de contrôle du res­pect de l’obligation vac­ci­nale sans être condamnable.

Une seule obligation dévolue à l’employeur : contrôler, et non sanctionner ! 

Les employeurs des milieux médi­caux et para­mé­di­caux sont impac­tés par les dis­po­si­tions de l’article 16 ali­néa II :

«  La mécon­nais­sance, par l’employeur, de l’o­bli­ga­tion de contrô­ler le res­pect de l’o­bli­ga­tion vac­ci­nale men­tion­née au I de l’ar­ticle 12 de la pré­sente loi est punie de l’a­mende pré­vue pour les contra­ven­tions de la cin­quième classe (1500 euros). Cette contra­ven­tion peut faire l’ob­jet de la pro­cé­dure de l’a­mende for­fai­taire pré­vue à l’ar­ticle 529 du code de pro­cé­dure pénale. Si une telle vio­la­tion est ver­ba­li­sée à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis d’un an d’emprisonnement et de 9 000 € d’a­mende. Les agents men­tion­nés à l’ar­ticle L. 1312–1 du code de la san­té publique peuvent consta­ter et recher­cher le man­que­ment men­tion­né à la pre­mière phrase du pré­sent ali­néa. »

Rien dans le texte n’o­blige donc un employeur à sanc­tion­ner son sala­rié. Leur rôle se bor­nant à contrô­ler le res­pect de l’obligation vaccinale.

Délais et exceptions 

Par ailleurs, dans les éta­blis­se­ments publics et para-publics où la vac­ci­na­tion est ren­due obli­ga­toire, la loi pré­voit une période tran­si­toire. Elle court du 15 sep­tembre et le 15 octobre inclus. Le sala­rié qui jus­ti­fie d’une pre­mière dose de vac­cin pour­ra conti­nuer à exer­cer son acti­vi­té, à condi­tion de pré­sen­ter un résul­tat néga­tif de test virologique.

Vient encore la situa­tion des sala­riés qui tra­vaillent en milieu sou­mis à pass sani­taire ou vac­ci­na­tion. Une tache ponc­tuelle est une inter­ven­tion très brève et non récur­rente. Elle n’est pas liée à l’activité nor­male et per­ma­nente de l’entreprise. Les tra­vailleurs qui effec­tuent ces tâches ne sont pas inté­grés dans le col­lec­tif de tra­vail et n’exercent pas leur acti­vi­té en lien avec le public. En consé­quence, ils ne sont pas sou­mis aux effets de la loi citée en réfé­rence. En revanche les gestes bar­rières doivent évi­dem­ment être respectés. 

Pas d’effets sur les mandats des représentants du personnel

La sus­pen­sion du contrat de tra­vail d’un repré­sen­tant du per­son­nel est sans effet sur ses man­dats. Il peut conti­nuer plei­ne­ment à les exer­cer. Pour conci­lier la liber­té syn­di­cale et le res­pect des obli­ga­tions pré­vues par la loi, l’employeur peut amé­na­ger les moda­li­tés d’exercice du dia­logue social, en per­met­tant les échanges à distance.

Pas de conséquences scolaires sur la suspension du contrat de travail pour un apprenti ou un salarié en contrat de professionnalisation

Comme les autres sala­riés, les alter­nants, appren­tis ou sala­riés en contrat de pro­fes­sion­na­li­sa­tion, sont concer­nés par l’obligation vac­ci­nale ou le pass sani­taire selon leur sec­teur d’activité. Le pass sani­taire n’étant tou­te­fois appli­cable aux mineurs qu’à par­tir du 30 sep­tembre, celui-ci ne pour­ra pas être exi­gé par l’employeur avant cette date.

À défaut de res­pec­ter ces exi­gences ou de mobi­li­ser une solu­tion alter­na­tive, il leur sera inter­dit de pour­suivre leur acti­vi­té au sein de l’entreprise et leur contrat de tra­vail pour­ra alors être suspendu.

Cepen­dant, la sus­pen­sion du contrat de tra­vail d’un alter­nant ne doit pas avoir pour consé­quence de le pri­ver du béné­fice de la for­ma­tion dis­pen­sée par le centre de for­ma­tion des appren­tis (CFA) ou l’organisme de for­ma­tion afin d’éviter d’obérer ses pos­si­bi­li­tés de vali­da­tion de sa for­ma­tion. C’est pour­quoi, la sus­pen­sion du contrat de tra­vail se limite au temps pas­sé en entre­prise, à l’exclusion du temps de for­ma­tion assu­ré par le CFA ou l’organisme de formation.

En consé­quence, les opé­ra­teurs de com­pé­tences conti­nue­ront d’assurer le finan­ce­ment des for­ma­tions dis­pen­sées par les CFA et les orga­nismes de for­ma­tion concer­nés lorsque le contrat de tra­vail de l’apprenti ou du sala­rié en contrat de pro­fes­sion­na­li­sa­tion aura été sus­pen­du en rai­son de l’absence de pass sani­taire ou de res­pect de l’obligation vac­ci­nale.

Hors les décla­ra­tions mar­tiales et les pos­tures ridi­cules d’Em­ma­nuel Macron, ou encore celles d’Élisabeth Borne, ministre du Tra­vail, la loi sur le pass sani­taire ne pro­duit que peu d’obligations contrai­gnantes pour les employeurs, et ne déroge en rien au for­ma­lisme pro­tec­teur des sala­riés en cas de licen­cie­ment… que la loi ne per­met pas à pro­pos du pass ou de la vac­ci­na­tion obligatoire. 

Il s’a­git sur­tout de contraindre les sala­riés par effet de sug­ges­tion. Il reste en revanche que la sus­pen­sion du contrat signi­fie sus­pen­sion des salaires, et impos­si­bi­li­té de béné­fi­cier d’un reve­nu de rem­pla­ce­ment. Certes, les effets de la loi devraient s’e­teindre en novembre pro­chain, mais rien n’est moins sûr en véri­té. « Le coup d’État d’ur­gence sani­taire », comme diraient cer­tains juristes, ne semble plus connaitre de limites. 

Mis à part le mou­ve­ment social aty­pique, qui se déroule sous nos yeux chaque same­di depuis quelques semaines, on ne voit pas vrai­ment ce qui per­met­trait d’y sur­seoir, pas même l’ac­tion, encore bien trop timo­rée, de la part des syn­di­cats de salariés. 

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