Nous sommes abreuvés de sondages jusqu’à l’écœurement… Au-delà des enseignements contestables qu’ils fournissent, il faut s’interroger sur cette frénésie qui est devenue au fil des années, un mode de gouvernement de la République. Mais un pays dirigé à partir de sondage est-il bien gouverné ?
Emmanuel Macron : quatre sondages par semaine !
Récemment, l’hebdomadaire L’Obs (pourtant si indulgent avec M. Macron), a révélé l’usage absolument démentiel des sondages par le Président de la République et ses milliers de collaborateurs à l’Élysée.
En 2020, le SIG (Service d’information du gouvernement), dont le rôle est d’assurer le service après-vente des mesures prises par le président de la République, a doublés ses dépenses par rapport au budget prévu : de 14 millions d’euros prévus, il en a claqué 28 millions !
Mieux : entre mars et mai 2020, durant la période du 1er confinement, le gouvernement a commandé une enquête d’opinion « toutes les 48 h », soit quatre par semaine ! Certes, nous dira-t-on, pendant la pandémie il est naturel de prendre le pouls du pays !
Oui, mais cette attention toute particulière à l’état de l’opinion a commencé dès l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée en 2017. Ainsi, rappelle L’Obs, en 2018, lors de la mise en œuvre de la réforme de la SNCF, une vingtaine d’études sont commandées en 60 jours. Idem lors de la mobilisation des Gilets jaunes : en deux semaines, sept études sont commandées à ces « chers » officines de sondage qui avaient déjà été très sollicités par un prédécesseur de M. Macron, Nicolas Sarkozy qui a commandé le sondage le plus pertinent d’entre tous : que pensent les Français de son mariage avec Carla Bruni…
Ce que cela dit de nos gouvernants
Loïc Blondiaux, dans son Histoire des sondages les définit ainsi : « Le sondage constitue en lui-même un tour de force, il occulte toute réflexion sur l’objet qui est le sien : puisque l’opinion est ainsi mesurée, scrutée, soupesée, décrite, c’est qu’elle existe forcément, elle va de soi. »
Cet usage effréné des sondages par le Président de la République explique en partie ce sentiment d’errance que suscite de plus en plus ses décisions, cette impression de passer du coq à l’âne dans une même journée, de prendre la parole pour annoncer des mesures ressemblant parfois à un inventaire à la Prévert.
On pourrait en déduire que le résultat d’un sondage de 1.000 personnes pourrait inciter le chef de l’État à annoncer une mesure parce qu’il pense qu’elle est majoritaire dans le pays et que cela va répondre à des attentes de la population.
Ainsi serions-nous arrivé au stade où l’État ne dispose plus d’indicateurs fiables dans ses préfectures, la police, les médias, pour connaître l’état d’esprit d’une population ?
Associé à la disparition quasi-totale des contrepouvoirs dans la 5e République macronienne, le chef de l’État gouvernerait donc dans sa tour d’ivoire, par sondages interposés ? Mm ou Mmes IPSOS, Odoxa, Sofres and co seraient donc les seuls et vrais informateurs fiables de la Présidence de la République ?
L’urgence de contrepouvoirs
Une Assemblée Nationale dépourvue de pouvoirs et peuplée d’une majorité de député(e)s La République en Marche tellement dévoués à Emmanuel Macron qu’elle est devenue une caricature du parlementarisme. Alors qu’un‑e parlementaire est censé porter la parole des citoyens de sa circonscription, ou pour le moins d’en tenir compte et d’en référer à la tribune de la Chambre, il-elle est devenu un simple rouage de l’« administration » Macron.
Cette manière de mener la politique avec la mesure des sondeurs comme seul horizon, conduit à une vision court-termiste de la gestion du pays. Et c’est cette forme de gestion qui conduit, entre autres, à la défiance de la population envers la politique.
Sans attendre une hypothétique 6e République, le seul moyen de sortir de cette gestion de la société par une seule personne, avec tous les pouvoirs en main, est de redonner au Parlement un rôle de contre-pouvoir qu’il n’aurait jamais dû perdre. Pouvons-nous nous imaginer en 2022, la réélection de M. Macron doté d’une majorité LREM qui le suit aveuglément !
Et comme il s’agira de son dernier mandat, il n’aura plus de retenue : la liquidation finale des conquêtes sociales pourra se faire au profit d’une société favorable aux plus puissants… Quant aux autres…
Les électeurs seraient d’ailleurs bien avisés de servir eux-mêmes de premiers contre-pouvoirs au présidentialisme à la française, en le privant de la chambre d’enregistrement qui se voudrait Assemblée Nationale. En excluant de reconduire l’ensemble des élus LREM, députés croupions par excellence, lors de la prochaine élection législative de 2022, ils mettront à poil le prince-président-banquier, en lui imposant de fait une cohabitation, dont la plus-value démocratique ne saurait être pire que la situation actuelle !