Un amendement au projet de loi sur les finances pour 2022, adopté en une fraction de secondes le 16 novembre dans un hémicycle déserté, dévitalise le jugement de la Cour administrative d’appel de Nancy, laquelle abrogeait pourtant l’autorisation de stockage pour une durée illimitée de Stocamine, considérant que la société des Mines de potasse d’Alsace (MDPA), liquidée en 2009, ne disposait pas des moyens financiers suffisants, ni même de la capacité technique, pour mener à bien les travaux de confinement des déchets.

Ledit amendement n°II-3508, présenté le 6 novembre, prévoit en effet une garantie financière de 160 millions d’euros jusqu’en 2030 à la société des Mines de potasses d’Alsace (MDPA) chargée par l’État de gérer des déchets toxiques enfouis dans le coeur minier de sa filiale Stocamine.

3508

« Par dérogation » au Code de l’environnement, il prévoit notamment que le stockage « est autorisé pour une durée illimitée ».

42 000 tonnes de chrome, cyanure, arsenic, amiante et autres déchets toxiques resteront donc jusqu’à nouvel ordre enfouis à Wittelsheim, dans les galeries d’une ancienne mine de sel.

L’insuffisance d’actifs financiers constituait la principale réserve de la Cour nancéienne, mais pas la seule.

Comble de mépris et de morgue contre le principe même de séparation des pouvoirs, une assemblée nationale de godillots aux ordres, est donc désormais en situation de contourner une décision de justice !

Le gouvernement n’a donc pas même attendu la décision du Conseil d’État (qui lui a notamment donné raison sur toute sa politique sanitariste) , qu’il a lui-même saisi après l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy annulant l’arrêté préfectoral autorisant l’enfouissement.

Le macronisme est décidément un théâtre d’ombre sans pareil pour déployer l’étendue de sa perversion politique. En témoigne les motifs gouvernementaux, qui incarnent l’arbitraire d’une puissance d’Ancien Régime : elle dispose du réel qu’elle façonne à sa guise.

Le présent amendement tire les conséquences de l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nancy le 15 octobre dernier ». « Avec cet amendement, les capacités financières de l‘exploitant du site lui permettant de mener à bien le projet de stockage […] sont désormais établies. Il est ainsi remédié aux irrégularités qui ont conduit le juge à l’annulation de l’arrêté préfectoral ». « Compte tenu des garanties financières ainsi apportées, ainsi que du motif d’intérêt général suffisant poursuivi qui s’attache à la poursuite sans délai du confinement du site et de la mise en sécurité de l’installation, que le juge n’a pas remis en cause, l’amendement autorise les MDPA à stocker pour une durée illimitée les produits […] pour lesquels les opérations de mise en sécurité doivent intervenir dans les meilleurs délais. En effet, l’effondrement et la fermeture des galeries de sel, sous l’effet de la pression des sols à 550 mètres de profondeur, sont un phénomène inéluctable et irrésistible. Aussi, ne sera-t-il bientôt plus possible d’intervenir sous terre dans des conditions sécurisées“.

Quant aux propos de Barbara Pomplili, Ministre de la transition écologique, en déplacement à Strasbourg, ils ne s’embarrassent pas de nuances, elle qui souhaite ouvertement précipiter les choses : « Plus on attend, plus c’est dangereux pour les gens qui vont aller au fond pour gérer tous les travaux de confinement », (source AFP). « Il faut qu’on fasse un confinement qui soit adapté : si tout se passe comme prévu, les risques d’atteinte à la nappe phréatique sont quasiment insignifiants ».

Tout est dans le quasiment. Ni satisfait, ni remboursé, mais de pleine légalité : “Tout ce qu’on peut faire légalement pour faire avancer les travaux, on le fera”. Y compris contourner une procédure de justice.

En mars 2017, un arrêté préfectoral autorisait l’enfouissement des 42.000 tonnes de déchets pour une durée illimitée.

En son origine, le projet Stocamine se définissait par sa réversibilité, c’est à dire par sa capacité à faire l’objet d’un réexamen régulier du volume et des conditions de stockage, y compris leur extraction partielle ou totale.

Les protestations devant ce cavalier législatif dont use et abuse le gouvernement n’ont pas manqué.

Le collectif Destocamine a bien sûr réagi :

Conformément à la promesse initiale de réversibilité, inscrite dans l’arrêté préfectoral du 3 février 1997, nous demandons le déstockage des 42000 tonnes de déchets avant la fermeture du site. Le collectif des associations et syndicats continuera à se battre pour préserver la qualité de notre eau, un bien commun indispensable à la vie. Il est à noter que cet amendement, voté le jour de la clôture de la COP26, ne correspond en rien aux ambitions affichées par notre gouvernement en matière de préservation de l ’environnement .

En point IV de cet article additionnel, il est demandé « dérogation au code de l’environnement   », ce qui n’est pas acceptable puisque l’arrêt d e la CAA de Nancy du 15 octobre 2021 abrogeait l’autorisation de stockage pour une durée illimitée.

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Du côté de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), dont Frédéric Bierry est président, on juge inconstitutionnelle la démarche gouvernementale, car elle serait contraire à la charte de l’environnement…

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