Service avant vente
En faisant mine de raboter pour la forme son projet de réforme sur les retraites, et en racolant sur le compte de l’écologie, Macron espère encore glaner quelques marrons électoraux auprès de l’électorat mélenchoniste, éventuellement sensible aux sirènes du cordon républicain antifasciste, ce dont personne n’est dupe.
Manque de bol, il est désormais arrêté que les membres de l’Union populaire qui ont répondu à la consultation interne, comptent majoritairement voter blanc, ou s’abstenir, lors de l’acte 2 de la farce présidentielle opposant Macron à Le Pen.
Circonstance aggravante pour l’ex-futur Président, Macron se persuade qu’il peut être désigné Prince en majesté républicaine, sur le seul fondement de son programme, récusant ainsi toute existence d’un « front républicain », symétrique à celui de 2017, déployé par la gauche afin de lui sauver la couenne. Effet usuel de la roublardise d’un néolibéral autoritaire à la personnalité plus clivée que clivante ? Peut-être bien.
Il n’empêche que tous ceux qui, à gauche, se sont empressés d’appeler à voter pour ce triste sire au soir du premier tour, assureront en conscience le service après-vente auprès de leurs ouailles, lorsque les sectateurs du macronisme viendront leur expliquer que la retraite à 65 ans, l’écologie des 36e dessous, le RSA contre bénévolat, les lois sécuritaires, le remboursement de la dette, ou la privatisation des Universités, notamment, auront été choisis par tous ceux et celles qui auront concouru à sa réélection.
En vue d’éclairer les désordres épistémologiques des chapelains de la gauche éparpillés façon puzzle, et les électeurs qui voudraient comprendre pourquoi cette famille perverse et dysfonctionnelle pratique le masochisme avec autant d’assiduité fervente, voici quelques considérations locales et générales à retenir au sujet du premier tour de scrutin.
Mulhouse et Strasbourg, principales villes alsaciennes marquées à gauche
Macron ne peut qu’être conscient que sa victoire dépendra non seulement du report des voix de gauche du premier tour, mais également de l’écart qui le séparera de son adversaire. D’où l’édulcoration apparente de son programme, afin de ratisser largement du côté de la gauche modérée, et symétriquement, de la fébrilité du camp macroniste quant à l’issue modérément incertaine du scrutin.
Pour ce qui concerne la région Alsace, notons que les électeurs des deux grandes villes alsaciennes, Strasbourg et Mulhouse, ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête de l’élection présidentielle, devant Emmanuel Macron et Marine Le Pen. A Colmar, il n’arrive qu’en deuxième position.
A Mulhouse, le candidat de la France insoumise récolte ainsi 36,1 % des suffrages. Il devance, de loin, les deux candidats qui s’affronteront le 24 avril, Emmanuel Macron, qui a remporté 25,15 % des voix, et Marine le Pen, qui a envouté 17,8 % des électeurs.
Dans la ville pilotée par la maire Les Républicains, Michèle Lutz, la candidate du parti, Valérie Pécresse, n’aura convaincu que 3 % des électeurs mulhousiens (4,63% au niveau national !).
Comment mieux illustrer la décrépitude et la vacuité de ce parti hors sol, et désormais hors socle électoral, alors que l’aréopage aux couleurs de ce parti, qui pilote la cité du Bollwerk, a été le plus mal élu de France, lors des municipales de 2020 ?
Avec 38,6 % des suffrages exprimés, la maire sortante n’additionnait en effet que 4 547 voix sur 49 157 électeurs inscrits. Elle remportait donc la mairie de Mulhouse avec les faveurs de 9,24 % du corps électoral, soit moins d’un électeur mulhousien sur dix !
Face à ce sombre tableau électoral, la première place de Mélenchon semble signer à tout le moins le retour d’une appétence pour l’action politique, notamment chez les Français d’origine étrangère et/ou issus des quartiers populaires.
A ce sujet, le candidat de l’Union Populaire fait d’ailleurs un carton plein en Seine Saint Denis, où il recueille près de 50 % du total des voix, 49,09 % des voix, et 70% d’électeurs exprimés !
Pour donner une idée du fractionnement électoral, sur les 30 plus grandes villes de France, 15 ont placé Mélenchon en 1ère position, 14 ont mis Emmanuel Macron en tête et 1 seule (Toulon) l’aura fait pour Marine Le Pen.
Le tropisme « mélenchonien » de Mulhouse et Strasbourg reste cependant atypique, eu égard au reste de l’Alsace, terre électorale toujours fortement ancrée à droite.
Sur France3, le politologue Richard Kleinschmager, explique que le vote Mélenchon des deux villes n’est pas si surprenant : « Sur Strasbourg et Mulhouse on est dans une vieille tradition de l’accentuation du poids de la gauche. »
Un électorat jeune à Mulhouse et Strasbourg
Par ailleurs, le vote traditionnel marqué à gauche dans ces deux villes serait le fait de la jeunesse de leur électorat. « Strasbourg, grâce à son université, a une population assez jeune ».
Quant à Mulhouse, Axel Renard, syndicaliste étudiant de la CSTE, indique qu’ « elle est une des villes les plus jeunes de France de plus de cent mille habitants et le vote jeune a été très largement pour Jean-Luc Mélenchon ».
Effet vote utile, notamment au détriment de EELV
Le politologue ajoute que le vote écologiste aurait en quelque sorte induit un réflexe de vote utile dès lors que le programme de Mélenchon était salué par de nombreuses ONG écologistes pour son programme en la matière.
Ce qui peut expliquer le score médiocre du candidat officiel de l’écologie Yannick Jadot. Kleinschmager évoque à ce sujet « Un vrai divorce. On est dans une élection avec beaucoup de divorces avec les schémas antérieurs ».
Ce qui rassemble encore Strasbourg et Mulhouse serait le vote de contestation à l’endroit de Macron.
Un vote des quartiers populaires et des jeunes diplômés acquis à Mélenchon
Mais Mulhouse se distingue de Strasbourg par son profil sociologique. L’une des villes les plus pauvres de France, avec un tiers des mulhousiens vivant sous le seul de pauvreté, et la plus grande concentration de titulaires du RSA du Haut-Rhin.
A cette pauvreté matérielle, qui impacte la jeunesse en premier lieu, la carte confectionnée par notre excellent confrère Elucid montre une juxtaposition quasi-parfaite entre niveau d’étude supérieur et vote Mélenchon. Le Haut-Rhin et Bas-Rhin faisant exception sauf pour les deux plus grandes villes des deux départements, Mulhouse et Strasbourg.
L’étude de sociologie électorale réalisée par l’IFOP/ Sopra Steria confirme le fait que l’électorat de Mélenchon est jeune, diplômé (autant que celui de Macron), mais souvent précaire, et à revenus moyens. Il est ce faisant globalement insatisfait de son existence (à 30%).
Mais le succès de Jean-Luc Mélenchon trouve ses limites dans la France des périphéries, notamment parmi les classes populaires que les Insoumis n’ont pas su rallier.
La rhétorique de la haine à l’encontre des minorités » fonctionne toujours autant. Au sein de M2A, en excluant Mulhouse, la partie s’est partout jouée entre Le Pen et Macron. Mélenchon arrivant troisième. Les quartiers populaires de Mulhouse ont voté à l’opposé des quartiers populaires des bourgs et villages de l’agglomération, tant le sentiment d’injustice et de déclassement se manifeste au quotidien, soit par des réalités objectivées pour les uns (racisme, discrimination, difficultés à se loger ou travailler), soit par des fantasmes, alliant notamment acharnement ou ponctions fiscales excessives et submersion migratoire.
Une présence dans les territoires et quartiers
Après avoir renoué avec les quartiers populaires, la gauche radicale doit maintenant espérer réussir le troisième tour des législatives, alors que le deuxième tour enter Macron et Le Pen promet d’être serré, quand de nombreux électeurs et électrices de Mélenchon se divise en gros en trois tiers.
Il y aura ceux qui voteront Macron, ceux qui s’abstiendront, enfin le troisième tiers osera peut-être voter pour Marine Le Pen, par haine de Macron, ce qui ne serait pas le moindre des paradoxes, dès lors que l’on se positionne en tant qu’antifasciste, et que l’on pressent combien les institutions de la cinquième République pourrait aisément redoubler la dérive autocratique et policière amorcée par le camp Macron, notamment en direction des quartiers populaires, acquis à Mélenchon, sous un gouvernement placé sous la férule de Le Pen.
Pour le syndicaliste étudiant et insoumis Axel Renard, la présence sur le terrain a joué un rôle central. Il déclare en effet chez nos confrères de France3 que : « C’est ce qui nous différencie des élus de droite, nous sommes présents dans les associations. Nos militants sont des gens qui vivent en permanence au milieu du tissu associatif, au milieu des quartiers les plus précaires. Notre force : on est toujours présents et non une entité qui flotte au-dessus des électeurs et qui n’est là que pour les élections. »
Un travail de fond mené depuis de nombreuses années, selon Morgan Legay, autre militant Insoumis sur Mulhouse : « C’est nous qui avons fait la campagne pour l’inscription sur les listes, ce n’est pas l’État ni la mairie et ça a marché. On était là sur le terrain tous les jours ».
Quoi qu’il en soit, de premières enquêtes, dont celle de Ipsos-Sopra Steria réalisée dans les trois jours précédant le vote et publiée dimanche soir, pour le compte de France Télévisions, donne une première radiographie des enjeux sociologiques qui traversent ces élections.
Par ailleurs, en élargissant la focale des résultats bruts à l’échelle du Grand Est, c’est bien Marine Le Pen qui arrive de loin en tête des suffrages avec 29,54%, contre 27,28% pour Macron, et seulement 17,63% à Mélenchon.
A l’échelle du Haut-Rhin, il y a presque symétrie entre Macron, arrivé en tête avec 27,85% et Le Pen, totalisant 27,77%. Mélenchon étant distancié de 10 points, avec 17,20% des suffrages.
Employés et ouvriers préfèrent majoritairement Marine Le Pen
La candidate du RN a obtenu 36% des voix des employés et 36% des ouvriers. Elle semble donc capter la majorité de l’électorat le plus modeste. Mais tout comme Jean-Luc Mélenchon, elle n’attire guère l’électorat retraité, séduit majoritairement par Emmanuel Macron (38%).
Macron est aussi celui qui attire le plus les cadres (35%), contre 25% pour Jean-Luc Mélenchon et 12% pour Marine Le Pen.
A noter que les chômeurs, lorsqu’ils votent, se reportent majoritairement vers Jean-Luc Mélenchon (34%).
Le choix Emmanuel Macron exprime un vote de classe
Les sondés les plus pauvres, gagnant donc moins de 1.250 euros mensuels votent principalement pour Le Pen (31%), puis Mélenchon (28%). La classe moyenne qui perçoit entre 1.250 et 3.000 euros n’est guère progressiste. Elle se partage entre la candidate du RN et Emmanuel Macron. Le déterminisme de classe se retrouve passé les 3.000 euros de revenus mensuels moyens, où le vote Emmanuel Macron est largement privilégié (35%).
Les moins de 35 ans plébiscitent Mélenchon, quand les plus de 70 ans votent Macron
Le candidat Insoumis séduit 31% des 18–24 ans et 34% des 25–34 ans. De son côté, Marine Le Pen obtient son meilleur score auprès des Français d’âge moyen (entre 35 et 59 ans). Quant à Emmanuel Macron, il s’impose largement comme le candidat des retraités. Il séduit ainsi 30% des 60–69 ans et 41% des 70 ans et plus. Les catégories les plus âgées sont également celles qui ont le moins voté pour Marine Le Pen.
Le Pen légèrement en tête dans les zones rurales
La répartition du vote selon le lieu d’habitation ne révèle pas de grandes disparités. Les habitants de petites communes (moins de 2.000 habitants) votent un peu plus Marine Le Pen (27%). Ceux des agglomérations de plus de 200.000 habitants votent un peu plus Emmanuel Macron (29%) et laissent Marine Le Pen nettement derrière (20%). Jean-Luc Mélenchon s’affirme lui comme le candidat des banlieues. En Seine-Saint-Denis, il recueille 49% des voix, soit 15 points de plus qu’en 2017.
Les gagnants de la mondialisation derrière Emmanuel Macron
Les sondés qui se déclarent satisfaits de leurs conditions de vie votent en grande majorité pour Emmanuel Macron (38%). A l’inverse, ceux qui se disent insatisfaits se partagent entre Jean-Luc Mélenchon (30%) et Marine Le Pen (35%).
Un déterminisme religieux : les catholiques votent Macron et Le Pen, les musulmans et athées Mélenchon
Les électeurs catholiques ont plébiscité Emmanuel Macron (32%) et Marine Le Pen (27%). Eric Zemmour fait un bon score chez les catholiques assidus (18%), et de manière générale dans la haute bourgeoisie. Les électeurs qui se déclarent d’une autre religion, dont les musulmans, votent en majorité pour Jean-Luc Mélenchon (36%). Tout comme ceux qui ne se déclarent d’aucune religion (30%).
Une évidence: Macron est assurément le candidat de la droite. Les électeurs de Fillon en 2017 l’ont majoritairement rejoint en 2022
Une majorité (39%) des électeurs de François Fillon en 2017 se sont tournés vers Emmanuel Macron en 2022, le reliquat se partageant entre Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Eric Zemmour.
Jean-Luc Mélenchon conserve 66% de son électorat par rapport à 2017. Mais les électeurs de Emmanuel Macron sont très fidèles (74%) ainsi surtout que ceux de Marine Le Pen 78%. Une fidélité qui comme le montre l’étude IPSOS/Sopra steria, se traduit par un choix décorrélé de tout contexte d’actualité.
Macron et Le Pen ont beau posséder une batterie de casseroles et de scandales d’État épouvantables (Kohler, Bigorgne, Benalla, banques russes…), leurs électeurs sont résolus depuis des mois à les soutenir « quoi qu’il en coute »…
Enfin, les électeurs présumés de Anne Hidalgo ont cliarement déserté. Elle n’aura séduit que 12% des électeurs de Benoît Hamon, dont 42% parmi eux ont choisi le candidat Insoumis.
Des niveaux de vie qui présument de choix politiques
Les électorats de Mélenchon et de Macron appartiennent peu ou prou à la classe moyenne (classe moyenne supérieure pour Macron). Si les jeunes connaissent des difficultés financières le temps de leurs études ou de leur insertion dans le marché du travail, 58% des électeurs de Le Pen peinent à boucler un budget ou survivre de manière systémique.
Et si un quart des ouvriers et employés ont voté Mélenchon, plus d’un tiers (36%) a préféré Le Pen… C’est dire si la frange des électeurs la plus fragilisée socialement s’est enracinée dans le vote d’extrême droite, et qu’il sera difficile pour la gauche de l’y soustraire.
Le macronisme est un populisme de personnes âgées
La formule est du sociologue et démographe Emmanuel Todd. Pour autant, le triangle politique entre Macron, Mélenchon ou Le Pen n’est somme toute qu’un réductionnisme sociologique. Car il omet d’exposer la situation des abstentionnistes, lesquels sont essentiellement des jeunes et des pauvres. 42% des 18–24 ans et 46% des 24–34 ans se sont abstenus.
Au total, 33% d’ouvriers, 27% d’employés, et 35% des chômeurs ne se sont pas déplacés, eux qui pourraient aisément traverser la rue pour renouer avec le bonheur du salariat, à moins que ce ne soit la joie du bénévolat obligatoire !
Plus généralement, 27% des hommes et 25% des femmes ne se sont pas prononcés, ce qui est considérable pour une présidentielle.
La frustration dans la vie semble même ne pas constituer un moteur significatif pour se mobiliser. Si 29% des « pas satisfaits » se sont abstenus, il n’y a que 6 points d’écart en plus avec les « satisfaits ».
Qu’est-ce à dire ? Que la résignation et la fatalité politique gagnent définitivement le corps social ? Car si un tiers des classes populaires s’est abstenu, un tiers des milieux aisés également…
Il n’y a pourtant pas de symétrie entre ces classes dont les intérêts sont contradictoires, sinon antagonistes. A en croire l’excellent échange avec Emmanuel Todd diffusé par noter confrère Elucid.media, figurant en vidéo ci-dessous, ce sont bien les représentants des classes populaires à qui Macron, et son monde, feront payer les crises à venir…