Nous partageons ci-dessous une très intéressante note inter-associative, réalisée à la suite de l’introduction d’une proposition de loi portant sur l’occupation illicite de logements, par deux députés macronistes.
Elle saisit et restitue pleinement les enjeux humains et sociaux qu’une telle proposition pourrait avoir si elle était adoptée, notamment en désarmant certains pouvoirs de l’autorité judiciaire, s’agissant de la balance à faire entre les intérêts contradictoires du locataire (partie faible) et du bailleur-propriétaire (partie forte).
Le tout alors que le droit au logement revêt une valeur constitutionnelle, et que celle-ci admet des atteintes au principe de propriété privée.
A Mulhouse, le mal-logement concerne avant tout le parc privé dégradé, mais la situation est aggravée par le fait que les élus sont trop peu engagés sur le sujet par choix, et du fait de sa technicité ou de la dispersion des acteurs, ainsi que le rappelle la Fondation Abbé Pierre, dans son rapport intitulé : “MULHOUSE ALSACE AGGLOMÉRATION : LUTTER CONTRE LE MAL-LOGEMENT SUR FOND D’INEGALITES TERRITORIALES“.
“Libération” a publié par ailleurs un appel intitulé “Plutôt qu’aux locataires et squatteurs, attaquez-vous à la crise du logement !“, initié par des associations qui luttent contre le mal logement, des syndicats, ainsi que la Ligue des Droits de l’Homme, qui résume la perspective du débat parlementaire sur cette proposition.
Régulièrement, des propositions de loi tentent de modifier l’état du droit pour sanctionner toujours plus les « squats » et les « squatteurs ».
La présente proposition de loi, présentée par les députés macronistes Guillaume KASBARIAN et Aurore BERGE, s’inscrit dans cette lignée. Elle s’attaque également cette fois au traitement des difficultés locatives, à rebours des acquis de ces dernières décennies en la matière.
Ces propositions de loi interviennent systématiquement en vertu d’un principe qui tend de plus en plus à s’installer dans le paysage politique français : légiférer à la suite d’un fait divers.
En l’occurrence, quelques affaires de squats montées en épingle par des médias bien identifiés, mettant en exergue l’impuissance d’un propriétaire, donnant la parole à de faux experts méconnaissant la loi et « diabolisant » largement les personnes qui occupent un logement ou un immeuble, généralement par nécessité. Or, il s’est avéré dans de nombreux cas que les informations diffusées étaient fausses et des pratiques illégales encouragées. Dernier exemple en date, l’évocation à Marseille d’une maison « squattée »[1], alors qu’il s’agissait de locataires.
Contrairement à ce qu’évoque l’exposé des motifs, la récurrence du traitement médiatique de ces faits divers ne démontre aucunement l’ampleur du phénomène, ni que cela représente une préoccupation majeure des Français qui ne choisissent pas la ligne éditoriale des chaînes d’information en continu.
Mis en place par Emmanuelle Wargon, alors Ministre du logement, l’Observatoire des squats n’a ainsi dénombré que 170 cas de squats de domicile en 2021 nécessitant l’intervention du préfet[2], dont la majorité ont été rapidement résolus.
La Ministre avait elle-même indiqué en mai 2021 3 : « Si tous les cas de squats sont inadmissibles et suscitent régulièrement une émotion légitime, le principal enseignement de ce premier bilan est que le squat n’est pas un phénomène massif en France » ; ajoutant « il faut que le droit reste du côté des propriétaires. Mais on a compté 124 dossiers. Ce sont 124 situations terribles. Cela reste 100 fois moins que le nombre de cambriolages. Donc il faut faire attention à ce qu’on n’ait pas d’instrumentalisation politique de ce sujet. Parce qu’on a finalement peu de cas ».
Sur l’ensemble des squats, 1 923 contentieux civils[3] ont été dénombrés en 2019 (comprenant les personnes qui se sont maintenues dans un logement de fonction ou les anciens propriétaires), ce qui représentait 0,005 % de l’ensemble des logements recensés en France en 2019 par l’INSEE la même année[4].
Ces polémiques médiatiques font malheureusement l’impasse sur les causes du mal-logement, sur la vacance de millions de logements ou encore sur les nombreux abus dont sont parfois victimes les occupants (intermédiaire proposant un faux bail, paiement en liquide sans bail écrit et sans payer d’impôts, expulsion illégale), qui éprouvent le plus grand mal à porter plainte et obtenir justice.
Plutôt que de les alimenter, le rôle du législateur devrait être de désamorcer ces polémiques en rappelant le droit applicable qui, comprenant un ensemble de mesures civiles et pénales, est largement suffisant.
La loi a même été récemment renforcée : un propriétaire dont le domicile est squatté peut récupérer son bien en quelques jours, sans engager de frais, qu’il s’agisse de sa résidence principale ou secondaire[5].
Si le logement ne contient pas d’éléments mobiliers minimaux et est vacant, ce qui est le cas de la majorité des squats – appartenant généralement à des personnes publiques ou à des personnes morales, parfois vides depuis des années – il peut être fait appel à un juge dans le cadre d’une procédure rapide. Des sanctions pénales viennent compléter l’arsenal.
Quelques cas particuliers de procédures qui sont longues à aboutir, aussi injustes puissent-t-ils paraître, ne doivent pas initier des évolutions législatives dangereuses et en venir à criminaliser le mal-logement.
En effet, cette proposition de loi s’attaque aussi, de manière totalement inattendue, à la procédure d’expulsion locative. Ces dispositions régressives, qui vont jusqu’à pénaliser les locataires, sont inédites et en contradiction totale avec la politique gouvernementale prônant le logement d’abord, les aides mises en place avec la crise sanitaire et le troisième plan interministériel de prévention des expulsions (un plan issu notamment d’un rapport de corps d’inspection de plusieurs ministères7).
En effet, la procédure d’expulsion et ses délais ont été organisés progressivement depuis le début des années 1990 pour permettre l’ouverture d’aides et l’activation de dispositifs dans l’intérêt du locataire et du propriétaire : si la dette est résorbée, ce dernier n’aura pas à engager de procédure d’expulsion ou la verra écourtée et sa créance remboursée ; plus rapidement le relogement intervient, plus vite il récupère son logement.
Revenir sur cette procédure et ses délais, oser pénaliser les ménages avant l’issue de la procédure, niant par là-même le rôle et les prérogatives tant des juges que du préfet, est une aberration qui ne trouve aucune justification politique, sociale ou juridique.
Les expulsions locatives, comme l’a démontré le rapport précité, ont un coût pour la société. Un coût économique, et un coût social et humain tout aussi important. Les prévenir est moins coûteux à tous égards[6] et même si cela ne l’était pas, il est du devoir de la 6e puissance économique mondiale de s’assurer que personne ne se retrouve sans logement.
Les procédures d’expulsion sont engagées majoritairement pour impayés de loyer, souvent causées par une perte d’emploi, une maladie, une séparation. Autant d’évènements face auxquels personne n’est à l’abri. Elles font également suite à des congés pour reprise ou vente – souvent pour réaliser une plus-value immobilière, alors qu’il est tout à fait possible de vendre un logement occupé.
Leurs conséquences sont dramatiques et multiples : « trois ans après l’expulsion, 32 % des ménages vivent encore à l’hôtel ou chez un tiers, 29 % n’ont pu poursuivre leur activité professionnelle, 71 % ont des problèmes de santé ou des difficultés psychologiques liées à l’évènement, et 43 % ont constaté un effet sur la scolarité de leurs enfants »[7][8].
Alors que l’on compte 4,1 millions de personnes mal logées dans notre pays10, que la crise sanitaire a engendré une crise sociale et économique dont nous connaissons les effets, cette proposition de loi régressive envoie un signal très inquiétant, qui encourage une vision manichéenne : les « bons » propriétaires d’un côté, les « mauvais » locataires de l’autre, qui devraient être pénalisés parce qu’ils n’ont d’autre choix que de se maintenir dans un logement qu’ils louent parfois depuis des dizaines d’années, parce que leurs démarches en vue d’un relogement n’aboutissent pas ou que les aides qui pourraient faciliter leur maintien sont insuffisantes ou inaccessibles.
L’exposé des motifs dépeint une réalité tronquée, en généralisant la figure du petit propriétaire qui a besoin des revenus de son logement loué pour vivre. Si « 64% des propriétaires bailleurs ne détiennent qu’un seul logement en location », l’étude sur laquelle il se base précise que : « s’ils sont largement majoritaires, ces derniers ne détiennent cependant que 36% de l’ensemble du parc locatif appartenant à des particuliers. 69% appartient à des bailleurs possédant 3 logements ou moins. A l’opposé, les quelques dizaines de milliers de bailleurs qui louent 10 logements ou plus ne représentent que 1% de la population des bailleurs mais détiennent à eux seuls 9% de l’ensemble du parc[9][10] ». Ils sont en outre 85% à être eux-mêmes propriétaires de leur propre logement et disposent d’un revenu nettement plus élevé que celui des non-bailleurs12. La location est une activité économique, lucrative, pour preuve la hausse exponentielle des loyers dans le parc privé[11].
Les constats sur le terrain sont unanimes : la majorité des bâtiments occupés appartient à des multipropriétaires, des bailleurs institutionnels ou des personnes publiques.
Juges et préfets sont garants des droits des propriétaires, notamment de la part marginale de petits propriétaires en difficulté : dans ces cas, ils sont plus réticents à accorder des délais de paiement ou pour quitter les lieux.
La défiance dans l’office du juge que porte cette proposition de loi est donc injustifiée et inquiétante pour notre État de droit.
Certes, les propriétaires n’ont pas à subir de longues procédures, mais les locataires qui ne peuvent plus assumer le paiement de leur loyer ou se voient notifier un congé ne sont pas les responsables. Ils ne sont pas responsables de la politique du logement défaillante menée par plusieurs gouvernements successifs : de la production insuffisante de logement sociaux adaptés, de la hausse immodérée des loyers, des charges et de l’énergie face à des revenus qui ne suivent pas, de la baisse régulière du pouvoir solvabilisateur des aides au logement, aux moyens insuffisants octroyés aux dispositifs de prévention des expulsions, à l’absence de plan ambitieux de résorption de l’habitat indigne – qui maintient inhabitables nombre de logements – et de lutte contre la vacance des logements[12].
Auquel s’ajoute l’absence de relogement de dizaines de milliers de ménages prioritaires DALO[13][14].
Ce double mouvement qui affecte la question du logement et qu’encouragent les promoteurs de cette proposition de loi avec, d’une part, un désinvestissement de l’État et, d’autre part, une fluidification accrue du marché locatif, n’aura pour seule conséquence que de fragiliser notre société dans son ensemble.
Il faut rappeler que le logement n’est pas un bien comme les autres : le droit au logement est un objectif à valeur constitutionnelle, le logement est un bien essentiel à l’exercice des autres droits et devoirs des individus et, désormais, un droit opposable, qui, de l’avis même du Conseil constitutionnel[15], justifie des limitations au droit de propriété.
Celle proposition de loi piétine également d’autres principes consacrés dans la norme fondamentale et protégés par les traités internationaux de droit de l’Homme et la jurisprudence européenne : le principe de nécessité de la loi pénale, l’examen de proportionnalité que doit exercer le juge, le principe du contradictoire ou encore les droits de la défense, pour ne citer que ceux-ci.
Chapitre I de la proposition de loi : une protection de la propriété privée sous couvert d’une volonté de renforcer la protection du droit à la vie privée et familiale
A. Article 1 de la proposition de loi
L’exposé des motifs indique :
L’article 1er renforce les sanctions pesant sur les auteurs du délit de violation de domicile, afin de les aligner sur la peine qu’encourent les propriétaires qui procèdent à une expulsion sans le concours de la force publique.
Actuellement, les personnes qui occupent illégalement le domicile d’autrui, c’est‑à‑dire qui squattent un domicile, encourent une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Paradoxalement, cette peine est nettement inférieure à celle qui est encourue par les personnes qui expulsent personnellement les squatteurs de leur domicile sans avoir recours à la force publique, qui s’élève à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Le présent article propose d’équilibrer le régime des sanctions en pénalisant les premiers à la même hauteur que les seconds.
Contrairement à l’assertion des auteurs de la présente proposition de loi, il n’y a rien de « paradoxal » à ce que le législateur ait jusqu’à présent apporté un traitement différencié à la répression du délit de violation de domicile et à celle du délit d’expulsion illégale forcée.
On relèvera ainsi que, dans un cas comme dans l’autre, la loi a pris en compte la violence de l’acte accompli par l’agent, et moins la protection de l’intimité de la vie privée[16]. En effet, les deux infractions répriment l’usage de procédés illégitimes pour attenter à cette valeur sociale protégée qu’est le domicile, composante de la vie privée et familiale : l’usage de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.
Toutefois, l’atteinte portée aux valeurs sociales apparaît plus grande concernant le délit d’expulsion illégale forcée qu’elle ne l’est concernant la violation de domicile.
En effet, si les deux infractions comportent une composante commune réprimant l’atteinte portée à la sphère privée de la personne, le délit d’expulsion illégale forcée rappelle en outre qu’il n’appartient, d’une part, qu’à l’autorité judiciaire de se prononcer sur l’opportunité et les modalités d’une expulsion[17], et d’autre part, qu’au seul préfet d’apprécier les risques de trouble à l’ordre public liés à une procédure d’expulsion.
En somme, ce qui est également en jeu dans la répression du délit d’expulsion illégale forcée, c’est la prééminence du droit sur la loi du plus fort et le respect par chacun des décisions judiciaires et de leurs procédures d’exécution forcée.
Il apparaît donc cohérent qu’une société attache une plus grande importance à la protection cumulée de l’État de droit et de la vie privée qu’elle n’en attache à la protection de la seule vie privée, conformément d’ailleurs au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.
B. Article 2 de la proposition de loi
L’exposé des motifs indique :
La notion de domicile est d’abord mieux précisée pour que le domicile temporairement vide de meubles (par exemple, celui dans lequel un nouveau locataire est sur le point d’emménager), ne puisse pas être écarté au motif que son caractère vide de meubles le rendrait impropre ou non prêt à être habité (I).
Les modifications proposées touchent ici, d’une part, à la définition du délit de violation de domicile et, d’autre part, au champ d’application de la procédure d’expulsion extra-judiciaire prévue par les dispositions de l’article 38 de la loi DALO, récemment modifiées par la loi ASAP du 7 décembre 2020.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est la notion de domicile qui est en jeu.
A cet égard, on rappellera qu’à l’occasion des débats parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (loi dite « ASAP »), de houleuses polémiques ont animé l’hémicycle[18].
Les parlementaires se sont finalement entendus pour retenir l’acceptation la plus large de la notion de domicile, c’est-à-dire celle forgée par le juge pénal[19], et non celle retenue par le droit civil.
Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, lorsqu’il est fait application de la procédure d’expulsion extrajudiciaire de l’article 38 de la loi DALO, la notion de domicile doit désormais être entendue comme le « lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux ».
Mais cette jurisprudence[20], mise en avant dans les débats parlementaires afin de définir la notion de domicile, et reprise par la circulaire du 22 janvier 2021 relative à la réforme de la procédure administrative d’évacuation forcée en cas de « squat »22, est volontairement tronquée et témoigne d’une volonté de « brouiller » la notion afin de privilégier la défense de la propriété privée sous couvert de protéger le domicile, entendu ici comme une composante de la vie privée et familiale et relevant de la sphère de l’intime.
En effet, l’attendu complet de la Cour de cassation dans l’arrêt précité est le suivant :
« (…), seul constitue un domicile, au sens de l’article 226-4 du Code pénal, le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux, ce texte n’ayant pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation ; »
C’est la raison pour laquelle, la jurisprudence pénale s’est attachée à dégager des critères d’habitabilité afin de pouvoir qualifier juridiquement le « domicile ».
Ainsi, pour que l’infraction de violation de domicile soit régulièrement caractérisée, le juge pénal doit s’attacher à relever dans sa décision la présence d’éléments minimaux, notamment mobiliers, nécessaires à l’habitation dans les lieux et qu’ils puissent servir à tout moment de refuge à celui qui dispose de droits sur ceux-ci.
Tel ne serait plus le cas si la proposition de loi venait à être adoptée en l’état.
En effet, en ajoutant aux textes de l’article 226-4 du code pénal et de l’article 38 de la loi DALO, tous deux afférents à la notion de domicile, la précision « qu’il soit meublé ou non », les auteurs de la proposition de loi entendent en réalité garantir de manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation et non plus la protection du domicile entendu comme une composante de la vie privée et familiale.
Ce faisant, les auteurs de la proposition de loi entendent rompre avec une conception séculaire de la notion de domicile, qui ne s’est jamais confondue avec celle de propriété privée.
Or, une telle extension porterait une atteinte aux principes constitutionnels de clarté et d’intelligibilité de la loi, d’une part, et de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines, d’autre part.
Elle porte en outre les germes d’une extension de ces textes aux propriétés immobilières des personnes morales car la jurisprudence de la chambre criminelle s’attache déjà à protéger, comme dans l’hypothèse d’une personne physique, la tranquillité et la sécurité d’une personne morale, en sanctionnant sur le fondement des dispositions de l’article 226-4 du code pénal toute intrusion violente dans ses locaux servant à abriter des meubles lui appartenant, voire des secrets[21].
Si la proposition de loi était adoptée en l’état, l’infraction de violation de domicile et le recours à la procédure d’évacuation extrajudiciaire de l’article 38 de la loi DALO pourraient être retenus et utilisés à l’endroit de tout occupant sans titre, qu’il s’agisse ou non du domicile d’autrui, et que cet autrui soit une personne physique ou une personne morale.
Sur le plan civil, le principe régissant les expulsions, encadré notamment par les exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme, est celui de l’existence d’une décision de justice l’ordonnant. L’article 38 la loi DALO est une procédure dérogatoire au droit commun puisqu’il prévoit la compétence du préfet pour exécuter directement une évacuation lorsque l’occupation porte sur le domicile d’autrui. Il s’agit bien entendu d’assurer une protection spécifique efficace du domicile effectif des personnes.
Enfin, en élargissant encore plus le champ d’application de la procédure d’évacuation accélérée prévue par l’article 38 de la loi DALO, les auteurs de la proposition de loi entendent mettre en place une procédure administrative qui recouvrirait très largement voire complètement le champ de la procédure d’expulsion judiciaire telle qu’elle résulte des dispositions de l’article L.411-1 du code des procédures civiles d’exécution.
Car si l’on peut obtenir l’expulsion de l’occupant d’un bien vide de meuble et dans lequel on ne réside pas en quelque jours et à moindre frais en le privant de tout procès comme c’est le cas avec la procédure d’évacuation de l’article 38 de la loi DALO, pourquoi s’embêter à saisir un juge dans le cadre d’une procédure contradictoire et respecter les droits de l’occupant ?
L’état du droit qui en résulterait reviendrait donc à traiter différemment des personnes qui sont pourtant placées dans la même situation et, partant, serait constitutive d’une atteinte au principe constitutionnel d’égalité.
De plus, comme cela avait été justement souligné lors des discussions parlementaires en février 2007, cette procédure constitue une entorse aux droits de la défense. La généraliser serait porter une atteinte trop importante au principe du contradictoire et au droit à être entendu par un juge[22].
Le juge a pour mission d’assurer l’équilibre entre les droits des propriétaires (et notamment le droit de propriété) et les droits des occupants (et notamment le droit à la vie privée et familiale, incluant le droit au respect de son domicile).
De surcroît, l’adoption de cette modification introduirait également un traitement inégalitaire des personnes dont le domicile est occupé car, compte tenu du manque de clarté et d’intelligibilité de la notion de domicile qui résulterait de l’adoption de ce texte, c’est au préfet qu’il reviendrait de déterminer arbitrairement si les conditions d’occupation d’un bâti aux fins d’habitation permettent ou non d’engager la procédure d’évacuation extrajudiciaire.
Or, le préfet n’est pas une autorité judiciaire présentant des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité pour éviter un tel écueil.
L’expérience de ces derniers mois le démontre, la procédure de l’article 38 de la loi DALO ayant été utilisée à tort et à travers, comme ce fut par exemple le cas cet été dans l’Essonne[23]où le ministre de l’Intérieur a ordonné à son préfet d’expulser extrajudiciairement un ménage avec enfants à la demande d’un couple dont on a finalement appris qu’ils étaient mis en examen pour trafic d’armes et de stupéfiants et avaient acheté à vil prix la maison qu’ils savaient squattée faute d’occupants depuis des années.
Par ailleurs, cette procédure expéditive, et non-contradictoire, vient fragiliser davantage des personnes en situation de grande précarité, souvent victimes d’escroqueries ou de marchands de sommeil. Ainsi, pour l’exemple exposé ci-dessus, la famille indiquait avoir acheté la maison à un intermédiaire véreux.
Un exemple parmi de nombreux autres, pour une procédure sans recours effectif et suspensif, conduisant les tribunaux administratifs à devoir constater qu’il n’y a plus lieu à statuer compte tenu des expulsions manu militari opérées dans les 24 à 48 heures suivant notification de l’arrêté de mise en demeure de quitter les lieux.
Mais ces violences quotidiennes sont tues par les promoteurs de la présente proposition de loi qui préfèrent agiter des faits divers isolés et absolument pas représentatifs des réalités quotidiennes.
Toujours sur l’article 2 de la proposition de loi, l’exposé des motifs indique :
(…), l’introduction par voie de fait et le maintien dans les lieux par voie de fait sont clairement dissociés, sous peine de ne pas voir inquiété le squatteur qui se maintiendrait dans les lieux par la contrainte mais qui serait entré dans les lieux en trouvant par exemple la porte ouverte (II).
Recomposé, l’article 226-4 du code pénal qui résulterait de l’adoption de cette proposition de loi serait le suivant :
L’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale et qu’il soit meublé ou non, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Le maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.
D’ores et déjà, l’attention du lecteur est appelée sur le peu de cas que font les auteurs de la proposition de loi des principes fondamentaux de la légistique et de la cohérence de l’action du législateur.
En effet, la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l’infraction de violation de domicile avait, d’une part, supprimé la mention « ou le maintien » qui figurait au premier alinéa du texte de l’article 226-4 du code pénal et, d’autre part, créé un second alinéa relatif au maintien dans les lieux à la suite d’une introduction au moyen de procédés illégitimes.
De sorte que, dans l’esprit du législateur de 2015, le délit de violation de domicile devenait un délit continu et non plus instantané, susceptible d’être poursuivi dans le cadre de la flagrance, dès que le propriétaire ou l’occupant légitime s’en apercevait et même si l’introduction datait de plusieurs jours, semaines ou mois.
Le rétablissement de la mention « ou le maintien » au premier alinéa de l’article 226-4 du code pénal serait ainsi redondant avec le second alinéa du texte.
Mais surtout, l’intention des auteurs de la proposition de loi (i.e. « inquiéter le squatteur qui se maintiendrait dans les lieux par la contrainte mais qui serait entré dans les lieux en trouvant par exemple la porte ouverte ») semble manquée.
En effet, il semble que dans l’esprit des auteurs de la proposition de loi, toute personne entrée dans des lieux non sécurisés, par exemple en trouvant la porte ouverte, pourrait être poursuivie car elle se rendrait automatiquement coupable, par voie de conséquence, d’un maintien dans les lieux par la contrainte.
Outre que l’on peine à saisir le concept de « maintien dans les lieux par la contrainte[24] », il nous semble qu’en l’état, les modifications proposées ne répondent même pas aux intentions affichées par les auteurs de la proposition de loi et ne permettrait que difficilement la poursuite du chef de maintien par la contrainte dans le domicile d’autrui.
Ce qui est en revanche certain, c’est qu’une telle modification ouvrirait grand les portes à des expulsions sous couvert d’une enquête pénale en permettant l’interpellation et le placement en garde à vue des mis en cause, couplé à la restitution des lieux litigieux au propriétaire.
Ainsi, en étendant la pénalisation du délit de violation de domicile ainsi que l’application des dispositions dérogatoires au droit commun prévues par l’article 38 de la loi DALO, ces dispositions vont à l’encontre d’un mouvement général qui tendait vers la prévention et non la répression de l’occupation sans titre.
Il conduit à un véritable retour en arrière, à un temps où la lutte contre le squat omettait de prendre en compte la problématique sous-jacente et évidente à cette pratique : l’impossibilité pour des centaines de milliers de personnes en France de trouver à se loger dans le parc privé ou social.
Or comme indiqué supra, depuis la loi DALO, le droit au logement est un droit opposable, auquel le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs auparavant conféré la qualité d’objectif à valeur constitutionnelle. Ces dispositions bafouent également d’autres principes consacrés dans la norme fondamentale et protégés par les traités internationaux de droit de l’Homme.
Il en va ainsi en particulier du principe de nécessité de la loi pénale prévu à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. S’il appartient au législateur d’apprécier une telle nécessité, il convient de s’interroger sur le besoin de renforcer le dispositif répressif.
Chapitre II de la proposition de loi : une criminalisation de la précarité locative doublée d’une défiance accrue dans l’office du juge judiciaire
A. Article 3 de la proposition de loi
L’exposé des motifs indique :
L’article 3 crée un délit d’occupation sans droit ni titre, en violation d’une décision de justice, du logement d’autrui. Par contraste avec le délit du squat, fondé dans la protection de la vie privée, le délit ici créé est fondé dans la protection de la propriété. Cette mention vise à permettre au propriétaire d’un logement d’attaquer en justice un occupant sans droit ni titre, lorsque celui‑ci se maintient en dépit d’une décision de justice, laquelle n’intervient qu’après une longue procédure judiciaire.
Le délit dit « d’occupation frauduleuse du logement d’un tiers » qui serait ainsi inséré au titre Ier du Livre III du code pénal serait ainsi rédigé :
« Art. 315‑1. – L’occupation sans droit ni titre d’un logement appartenant à un tiers, lorsqu’elle se fait en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux, est punie de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. »
D’ores et déjà, on relèvera que le délit ainsi créé devrait, sans difficulté, être qualifié de délit continu et que la peine retenue, six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende, permettra, si le texte est adopté, l’interpellation et le placement en garde à vue des mis en cause ainsi que leur traduction en justice par le biais de la procédure de comparution immédiate.
La criminalisation de la précarité locative qui en résulterait atteindrait un stade encore jamais rencontré dans l’histoire de la Vème République.
Nous pouvons rappeler ici également qu’en vertu du principe de nécessité de la loi pénale, prévu à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, il appartient au législateur d’apprécier la nécessité de rendre pénalement répréhensible le simple fait de ne pas avoir encore quitté les lieux après un commandement de quitter les lieux, alors que la procédure n’est pas allée à son terme et d’introduire par là même le droit pénal dans le cadre d’une procédure civile.
Ce principe sous-entend que le législateur doit incriminer uniquement les faits qui lui paraissent suffisamment graves pour justifier d’une réponse pénale et que la sévérité de la peine doit correspondre à la gravité des faits.
Le Conseil constitutionnel estime qu’aux termes de l’article 8 précité, “la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires” ; qu’en conséquence, il appartient au Conseil constitutionnel de vérifier, qu’eu égard à la qualification des faits en cause, la détermination des sanctions dont sont assorties les infractions correspondantes n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation » (Cons. constit. Déc. n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, cons. 7).
Le Conseil constitutionnel en a déduit que « si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue » (Cons. constit. Déc. n° 2017-625 QPC du 7 avril 2017).
L’articulation de cette disposition pénale avec les dispositions du titre Ier du Livre IV du code des procédures civiles d’exécution soulèverait par ailleurs plusieurs difficultés d’interprétation quant à la condition préalable de « décision de justice définitive et exécutoire ».
L’adoption de cette nouvelle infraction confierait en outre au procureur de la République, une autorité de poursuite dénuée des garanties d’indépendance et d’impartialité suffisante pour porter une atteinte grave au domicile, composante de la vie privée et familiale, des prérogatives jusqu’ici réservées aux préfets mais encadrées et contrôlées par le juge administratif.
Car sous couvert de poursuites du chef d’occupation frauduleuse du logement d’un tiers, rien n’empêchera le procureur de la République d’ordonner la restitution immédiate du logement à son propriétaire, sans autre formalités, tandis que le préfet est, quant à lui, tenu d’apprécier l’opportunité d’accorder le concours de la force publique à l’exécution d’une décision d’expulsion, de s’assurer que cela n’entraînera pas un risque de trouble à l’ordre public plus important encore, de prendre connaissance de l’enquête sociale réalisée par les unités de police administrative en même temps qu’il est débiteur d’une obligation d’assurer le relogement des personnes reconnues demandeurs prioritaires dans le cadre du DALO.
Sa décision peut, en outre, être attaquée devant la juridiction administrative, offrant ce faisant un contrôle, aussi faible soit-il, par le juge administratif.
On peut légitimement espérer qu’une telle disposition serait censurée par le Conseil constitutionnel tant elle porte atteinte à l’exigence d’un rapport de nécessité entre l’incrimination d’un acte et le but poursuivi, qui prenne en compte les libertés en cause, les circonstances et l’ordre public.
B. Article 4 de la proposition de loi
L’exposé des motifs indique :
L’article 4 sécurise la portée de la clause de résiliation dans le contrat de bail en la rendant obligatoire (1°) et en revenant sur la capacité du juge à en suspendre l’exécution. Les clauses de résiliation du bail sont en effet un outil sécurisant pour les bailleurs, qui gagneraient à être présents dans tous les baux d’habitation.
Actuellement, cette clause contractuelle, censée provoquer la résiliation automatique du bail lorsqu’un commandement de payer est demeuré infructueux, manque de caractère opératoire. En effet, depuis 1998, la loi permet au juge de suspendre d’office ses effets tant que les délais de paiement de la dette locative qu’il a accordés au locataire sont en cours, ce qui peut durer jusqu’à trois années. Le présent article, sans revenir sur la faculté du juge d’accorder ces délais de paiement, supprime la suspension concomitante de l’effet de la clause de résiliation du bail (2°).
Les conséquences des modifications des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 qui en résulteraient sont doubles.
D’une part, une atteinte au principe de la liberté contractuelle, par la généralisation de la clause de résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie, qui serait rendue obligatoire.
Une atteinte au principe de la liberté contractuelle non plus au seul profit de la « partie faible » comme les principes directeurs du droit des contrats y invitaient jusqu’à présent, dans la recherche d’une plus grande justice contractuelle, mais au seul profit de la « partie forte », c’est-à-dire le propriétaire-bailleur.
D’autre part, une atteinte manifeste à l’office du juge de l’expulsion supposé ne pas être en mesure d’apporter une réponse juridictionnelle rapide et efficace aux situations d’impayés locatifs, en le privant du pouvoir qui lui était jusqu’à présent donné de suspendre les effets de la clause de résiliation de plein droit au respect, par le locataire, de l’échéancier d’apurement de sa dette locative.
On lui nie également son rôle de balance entre les intérêts des locataires, d’une part, et des propriétaires d’autre part, à l’aide des moyens mis à sa disposition par l’article 24 de la loi du 7 juillet 1989.
En somme, le logement, service si particulier en ce qu’il assure à ceux qui en bénéficie de disposer d’un toit, condition sine qua non à l’exercice des autres droits reconnus aux individus, est traité comme n’importe quelle marchandise, même moins bien, devant circuler librement et sans contrainte et ne devant répondre qu’à la loi du marché, de l’offre et de la demande. Telle n’a pas été la volonté du législateur, notamment lors de la rédaction de la loi fondatrice du 29 juillet 1998[25].
La majorité des procédures d’expulsions le sont pour impayés de loyer, liées à des accidents de la vie. En ce qu’il n’est pas une marchandise, mais répond à un objectif à valeur constitutionnelle, il est indispensable de laisser au locataire une chance de pouvoir résorber sa dette, dans le cadre d’un échéancier, permettant si les conditions le permettent, d’accéder à des aides.
Rappelons là encore que ces dispositions visent l’ensemble des bailleurs, privés et sociaux, et que le juge dispose de suffisamment de moyens à sa disposition pour apprécier de manière différenciée la situation d’un propriétaire en difficulté, de même que le fait le préfet qui apprécie l’opportunité d’accorder ou non le concours de la force publique.
C. Article 5 de la proposition de loi
L’exposé des motifs indique :
L’article 5 propose deux réductions des délais dans la procédure contentieuse du traitement des impayés de loyer afin de fluidifier la prise en charge de ces cas.
Il réduit de deux mois à un mois le délai minimal entre l’assignation au titre de l’audience et le jour de l’audience (I).
Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que leur relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales. Leur durée est comprise entre trois mois et trois ans. Il est proposé de réduire cette durée pour qu’elle soit comprise entre deux mois et un an, revenant par‑là sur une évolution de 2014 (II).
C’est donc le délai de comparution civile qui est, le premier, visé par les auteurs de la proposition de loi, quoique seule la modification du III de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 soit envisagée.
Or, ce délai qui sépare la délivrance de l’assignation du jour de l’audience participe à l’encadrement temporel du procès, dans le but d’éviter l’engorgement des juridictions, d’assurer le respect des droits de la défense ainsi que la sécurisation des jugements.
Surtout, il assure un délai suffisant pour que le préfet saisisse l’organisme compétent désigné par le plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées et que celui-ci réalise un diagnostic social et financier des parties à la relation locative.
Ce délai vise également à organiser la saisine des dispositifs et organismes intervenant dans le cadre de la prévention (CCAPEX, Fonds de Solidarité Logement, commission de surendettement, Caf pour le maintien des aides au logement…) qui vise à aider le locataire à résorber sa dette ou engager un plan visant à la résorber, et in fine, cette intervention est dans l’intérêt du bailleur.
Ce faisant, le juge de l’expulsion est mis en possession d’informations lui permettant d’apprécier et de mettre en balance les intérêts des parties et, à l’issue, d’inscrire sa décision dans le cadre fixé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
La réduction d’un tel délai à un mois conduirait irrémédiablement à un engorgement des juridictions, soit que le diagnostic social et financier n’ait pas été réalisé à temps, soit que les parties n’aient pas eu le temps de se mettre en état, conduisant le juge à prononcer le renvoi de l’affaire d’office ou à la demande des parties.
C’est ensuite le quantum des délais de grâce susceptibles d’être accordés par le juge sur le fondement des dispositions de l’article L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution qui est visé par les auteurs de la proposition de loi.
Ici encore, c’est l’office du juge qui est visée, lequel est supposé ne pas être en mesure d’apporter une réponse juridictionnelle aux contentieux du logement et à ce stade également, de mettre en balance la situation du locataire et celle du propriétaire, ce qui manifeste une méconnaissance criante du fonctionnement de nos institutions judiciaires et une négation des capacités du juge à assurer sa mission en toute équité.
Le juge se doit d’apprécier la situation des deux parties, mais aussi les démarches engagées par le locataire en vue de son relogement, et étudie notamment s’il est prioritaire au titre du DALO, auquel cas l’Etat est en devoir de le reloger avant que l’expulsion n’intervienne. Les délais accordés en toute équité par le juge s’assurent qu’il n’y a pas de préjudice important pour le bailleur. Il est essentiel de lui laisser cette capacité d’appréciation.
C’est aussi une tentative manifeste de « fluidifier » le marché du logement, au seul bénéfice des propriétaires-bailleurs et au risque de provoquer une aggravation de la crise du logement.
On relèvera enfin qu’en l’état, la réduction de ces délais s’appliquerait non seulement aux contentieux des locations afin d’habitation mais également au contentieux des locaux à usage professionnel, un aspect que les promoteurs de la proposition de loi n’auront probablement pas envisagé.
Signataires :
- Collectif national droits de l’homme Romeurope
- Droit au logement
- Fondation Abbé Pierre
- Ligue des droits de l’Homme
- Médecins du Monde
Ci-dessous le texte intégral de la proposition de loi.
PPL-kasbarian-18-10-22[1] https://www.cnews.fr/faits-divers/2022-10-10/maison-squattee-marseille-loccupante-illegale-expulsee-les-retraites-qui
[2] Selon les dires de Monsieur Kasbarian,
https://lcp.fr/actualites/squatteurs-le-groupe-renaissance-veut-mieux-proteger-les-logements-contre-l-occupation 3 Au micro de RMC, le 26 mai 2021, repris par un article de Capital, entre janvier et mai 2021, seuls 124 situations de squats avaient été remontés aux préfets ; 75% des propriétaires avaient déjà récupéré leurs biens et les autres affaires étaient en cours de traitement, pour une courte période ;
https://www.capital.fr/immobilier/squat-les-vrais-chiffres-de-lampleur-du-phenomene-1404526
[3] Chiffre qui ne concerne pas que les squatteurs : il intègre également les anciens locataires de logements de fonction, anciens propriétaires et les demandes d’expulsion de « gens du voyage », il exclut les contentieux du tribunal administratif, lorsque le bien squatté appartient au domaine public.
[4] D’après les statistiques publiées par l’INSEE relatives au Parc de logement en France au 1er janvier 2019 : 36.6 millions de logement
[5] La procédure d’évacuation accélérée prévue à l’article 38 de la loi DALO, ne nécessitant pas l’intervention d’un juge, a été renforcée par la loi dite ASAP « accélération et de simplification de l’action publique ». 7 Evaluation de la prévention des expulsions locatives, CGEDD, IGAS, IGSJ et IGA, août 2014
[6] Selon le 7ème regard sur le mal-logement en Europe, « en termes de dépenses publiques, la prévention des expulsions n’est pas seulement importante des points de vue sociaux et sanitaires, mais également d’un point de vue financier. La prévention des expulsions, en promouvant la stabilité du logement, permet également une meilleure stabilité du marché de l’emploi. Par ailleurs, le coût des procédures – faisant intervenir de multiples acteurs -, des expulsions physiques et de leurs conséquences est très élevé. Ils concernent les coûts pour la justice, les coûts de procédures d’exécution, les coûts de relogement et d’hébergement. (…) Une étude sur l’Allemagne et l’Autriche a montré qu’1 euro dépensé sur la prévention des expulsions (conseil et prise en charge des impayés de loyers) pouvait en économiser 7 de logement temporaire et de réinsertion des ménages sans logement. »
[7] Que deviennent les ménages expulsés de leur logement ? étude publiée en avril 2022
[8] ,1 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel. Outre ces situations les plus graves, près de 12 millions de personnes sont touchées à des degrés divers par la crise du logement, 26e Rapport sur l’état du mal logement, Fondation Abbé Pierre
[9] Le parc locatif privé et ses bailleurs en 2013, ANIL
[10] bailleur sur 3 a des revenus supérieurs au 9e décile des revenus de la population globale. Les bailleurs qui ont des ressources supérieures à ce 9e décile détiennent près de 40% du parc de logements loués, i.e étude citée supra
[11] + 43% entre 2000 et 2020, 26e Rapport sur l’état du mal logement 2022, Fondation Abbé Pierre
[12] La France compte plus de trois millions de logements vacants (soit plus de 8% du parc de logements), statistiques publiées par l’INSEE relatives au Parc de logement en France au 1er janvier 2021.
[14] ménages reconnus prioritaires au titre du DALO étaient toujours en attente d’un logement en 2020
[15] « s’il appartient au législateur de mettre en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent, et s’il lui est loisible, à cette fin, d’apporter au droit de propriété les limitations qu’il estime nécessaires, c’est à la condition que celles-ci n’aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés », Cons. const. n°98-403 DC du 29 juillet 1998, loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions
[16] JurisClasseur LexisNexis : Art. 226-4 – Fasc. 20 : Violation de domicile, sept. 2021, Haritini Matsopoulou
[17] Tout le principe est contenu en germe dans l’article L.411-1 du code des procédures civiles d’exécution aux termes duquel, « Sauf disposition spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux. »
[18] Dossier législatif :
[19] Notamment lorsqu’il a été amené à statuer sur l’application de l’article 226-4 du code pénal
[20] Cour de Cassation, Chambre criminelle, 22 janvier 1997, pourvoi n°95-81.186, Publié au bulletin 22 NOR LOGL2102078C
[21] V. par ex. Cass. crim., 23 mai 1995 : Bull. crim. 1995, n° 193
[22] Article 6 de la Convention Européenne des droits de l’Homme
[23] https://www.ouest-france.fr/ile-de-france/essonne/maison-squattee-dans-l-essonne-on-vous-explique-cette-affaire-qui-apris-une-tournure-politique-e5fe0e7c-ec88-11ec-b8a2-57b769467ba5
[24] Le simple refus de vider les lieux, opposé par l’occupant au propriétaire, pourrait-il, ainsi, constituer un « maintien dans les lieux par la contrainte » ? Nul ne le sait tant la notion apparaît floue et peu propice à une application cohérente et uniforme de loi pénale, et nécessiterait sans conteste d’importantes précisions jurisprudentielles.
[25] Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, NOR : MESX9800027L