Il faisait frisquet en ce 23 novembre 2010 à Paris. Le président de la République, Nicolas Sarkozy à un emploi du temps chargé. Comme tous les jours d’ailleurs. Mais en ce jour, la question épineuse concerne le sport, le football plus particulièrement.
En effet, quelques jours plus tard, le 2 décembre exactement, la Fédération internationale de Football Association devait désigner les pays qui accueilleront les deux prochaines coupes du monde. Pour 2018, pas de problème, la Russie fait l’unanimité au Comité exécutif de la FIFA. Pour celle de 2022, un « gentleman agreement » a été passé pour l’offrir aux USA…
Le président de la FIFA de l’époque, Sepp Blatter, le confirme : « Il y avait un arrangement diplomatique » pour que le Mondial 2022 revienne aux États-Unis ».
Mais à la surprise générale, c’est le petit émirat du golfe Arabo-Persique qui a emporté la mise par 14 voix contre 8. Comment est-ce possible ? Sepp Blatter et Michel Platini, le président de la puissante Fédération européenne de football, avaient pourtant donné leur aval aux choix des USA !
Fureur des États-Uniens qui cherchent à savoir, jusqu’à obtenir une enquête de la justice suisse sur les conditions d’attribution. Nous y reviendrons.
ÉCHANGE PSG, RAFALE ET TUTTI QUANTI CONTRE COUPE DU MONDE
Le déjeuner à l’Élysée du 23 novembre 2010 était précédé d’une entrevue, dans la matinée, entre M. Sarkozy et le prince héritier du Qatar (aujourd’hui il en est l’émir), Tamim Ben Hamad Al-Thanif. Il n’y a pas de procès-verbal évidemment des propos qui ont été échangés. Ce que l’on sait de manière sûre, c’est qu’il s’agissait de préparer la discussion lors du déjeuner très restreint avec l’invité vedette, Michel Platini, dont l’influence dans le milieu footeux international est importante. Y participait également au moins un responsable du club parisien du Paris-Saint-Germain, club alors en complète déconfiture financière que son propriétaire de l’époque, le fonds d’investissement US Colony Capital, cherche à fourguer à quelqu’un… qui accepterait aussi de prendre en charge les pertes de 20 millions d’euros du PSG qui est tout juste capable de payer ses joueurs et flirte avec la relégation au printemps 2008.
Nicolas Sarkozy avait fait du PSG un totem qui devait lui permettre d’accroître sa notoriété dans le milieu du football dont l’influence dans la société est avérée.
L’omerta étant de rigueur dans ce monde-là, ce sont les enquêtes journalistiques et les conséquences après ce déjeuner qui permettent de tisser un faisceau d’indices troublants, qui tendent à prouver que l’attribution de la coupe du monde au Qatar a été lourdement influencée par l’Élysée…
L’enquête de la justice suisse à la suite des réactions US, a relevé « plus de 120 transactions financières suspectes ». Pour Blatter, ce « gentlemen’s agreement a été remis en cause par l’interférence gouvernementale de M. Sarkozy, président français, avec la contribution de l’un de ses compatriotes – Michel Platini, ndlr –, qui ne l’a jamais nié, et qui a amené d’autres votants avec lui ».
Blatter outré par la trahison de son « ami » poursuit : « Une semaine avant le vote, j’ai reçu un appel téléphonique de Michel Platini et il m’a dit : “Je ne suis plus ton plan, car le chef de l’État m’a dit que nous devrions prendre en compte la situation de la France.” Et il m’a dit que cela concernerait plus d’un vote, car il y avait un groupe de votants avec lui », a détaillé le président de la FIFA, qui estime que « quatre suffrages européens se sont finalement écartés des États-Unis ».
Le déjeuner du 23 novembre 2010 continue à alimenter les soupçons de collusions d’intérêts. Sept mois après avoir obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022, le Qatar réussissait un nouveau joli coup en achetant le PSG. En juin 2011, le fonds Qatar Sports Investments (QSI) acquiert le club de la capitale si cher à Nicolas Sarkozy pour 76 millions d’euros, réglés en une seule fois.
Par ailleurs, selon des documents internes de l’Élysée récupérés par les enquêteurs en charge de ce dossier, la vente des avions-Rafales de Dassault figurait également au menu de ce déjeuner.
CORRUPTION ET COLLUSION
Autres éléments susceptibles d’alimenter les soupçons de collusion : l’embauche du fils de Michel Platini, Laurent, par Qatar Sport Investment, un an après le fameux déjeuner, puis sa promotion, en février 2012, comme directeur général de Burrda Sport, l’équipementier sportif de l’émirat.
Selon Le Monde, un proche de l’ex-président de l’UEFA confie : « Michel éprouve des regrets par rapport à l’embauche de son fils. Il estime que c’était une connerie. Aujourd’hui, il lui conseillerait de ne pas prendre le job. »
Et le journal du soir conclut : « Rachat du PSG, vote de Platini et de l’Europe pour le Qatar, BeIN, embauche de Laurent Platini par QSI : tout se tient »,
Mais les choses ne s’arrêtent pas là : les rapports proches qu’avaient Nicolas Sarkozy et l’ancien émir du Qatar, n’est pas étranger au fait que Nicolas Sarkozy ait fait voter (en 2008) une convention fiscale avantageuse pour le Qatar (exempté de l’impôt de solidarité sur la fortune) en France. Et l’ancien président de la République continue de tenir des conférences bien rémunérées à Doha…
France Football affirme, de son côté, qu’un pacte conclu lors du déjeuner du 23 novembre, aurait conduit qu’en échange du vote de Michel Platini pour le Qatar, le président Sarkozy aurait obtenu que l’émirat achète les droits télé du foot français et aide ses amis Arnaud Lagardère (en entrant au capital de son groupe) et Sébastien Bazin (en lui rachetant le PSG).
Les amis du Qatar
En 2010, des personnalités du football telles que Zinédine Zidane et l’entraîneur Pep Guardiola louaient les prétendues vertus d’un Mondial dans ce pays du Moyen-Orient.
Zidane avoue qu’il a été rémunéré pour son soutien : quand les enquêtes de presse concluent à une somme de 12 millions d’euros versée à sa Fondation, lui ne reconnaît « qu’un » versement de 3 millions… dont il n’aurait pas directement bénéficié ! Et comme il a de la suite dans les idées, il vient très récemment de confirmer son soutien en balayant du revers de la main toutes les critiques qui accablent le si généreux Émirat…
Autre soutien de taille du Qatar, Pep Guardiola, ex-joueur du FC Barcelone. L’Espagnol aurait touché 600 000 euros pour participer à l’opération de séduction favorisant la candidature du Qatar en 2010. Parfois pressenti pour devenir le sélectionneur du Qatar ces dernières années, l’actuel entraîneur de Manchester City est depuis resté muet sur la tenue de la compétition.
Certains, enfin, ont défendu le Qatar et s’affichent encore fièrement à côté de l’émirat. C’est le cas de David Beckham. Début septembre 2022, l’ancien joueur du PSG apparaissait dans un clip vidéo d’une minute, brossant un portrait élogieux du pays hôte. L’ancien footballeur ose même : « Le Qatar, c’est la perfection. J’ai hâte d’y amener mes enfants. »
« Le Qatar est vraiment un endroit incroyable pour passer quelques jours lors d’une escale. La fusion du moderne et du traditionnel crée quelque chose d’unique », récite-t-il – pour la modique somme de 11 millions d’euros, d’après les médias britanniques.
Une aberration environnementale, sociale et sportive
À quelques jours de l’ouverture de la Coupe du Monde de football, les critiques se sont multipliées, contraignant le Qatar à utiliser ses milliards pour tenter d’étouffer l’incendie.
Il n’a rien à craindre du monde du football en général : l’actuel président de la FIFA, Gianni Infantino croit avoir clos le sujet en décrétant qu’il fallait cesser les critiques et ne se consacrer qu’à la « fête » du football dont les médias vont nous abreuver ad nauseam jusqu’à mi-décembre.
Mais pour le pouvoir qatari, l’image devient lourde à porter !
En effet, la FIFA n’aurait jamais dû localiser cet événement planétaire, deuxième confrontation sportive la plus suivie au monde après les Jeux olympiques, au Qatar.
Il est incompréhensible que des footballeurs célèbres, qui connaissent les impératifs du sport de haut niveau puissent soutenir une compétition qui se déroule dans des conditions climatiques incompatibles avec un tournoi de foot qui dure plus d’un mois ! Il a fallu déplacer la compétition qui se déroule habituellement en fin de saison, après la fin des championnats nationaux dans la majorité des pays concernés, en hiver, pour éviter les températures flirtant avec les 50°C… En novembre, elles ne seraient que de… 35°C ! De quoi malmener fortement les organismes…
Le seul footballeur célèbre à avoir exprimé son désaccord est Éric Cantona qui, de toute évidence, n’a pas besoin d’arrondir ses fins de mois avec des pétrodollars.
Aberration environnementale, disons-nous. Comme le Qatar qui est tout sauf un pays de foot, n’avait pas suffisamment de stades pour accueillir les matches, il a fallu dare-dare en construire ex nihilo. Et pour contenir les températures très élevées, ces stades seront… climatisés. À l’époque où on nous bassine (fort justement) sur l’obligation de changer de modèle climatique, la climatisation des stades est un message négatif terrible… dont la COP27 ne pipe mot…
Pour des stades dont on ne sait ce qu’ils deviendront après la Coupe du Monde, le nombre d’équipe de foot au Qatar se résume à 12 équipes. Les 8 stades (dont un sera démantelé à la fin de l’épreuve) peuvent accueillir 400.000 spectateurs !
La « Qatar Stars League » n’attirant que cinq mille supporters en moyenne, ces derniers se sentiront un peu seuls dans des enceintes de 40.000 places pouvant aller jusqu’à 80.000 pour le dernier construit. Selon « So Foot », certains clubs en viennent donc à s’offrir des supporters, pour la plupart étranger. Al-Ryyan, actuel troisième du championnat et huit fois champion national, s’adonne ainsi à cette technique. « Nous ne sommes pas des locaux, confirme un « supporter » d’Al-Rayyan. Ceux qui chantent et font du bruit sont des Égyptiens, Soudanais ou Yéménites, comme moi. Le club nous donne 45 euros chacun pour qu’on vienne assister au match et qu’on mette de l’ambiance. Les Qataris n’ont pas besoin de cet argent, alors ils ne viennent pas. »
Les aberrations s’enfilent comme des perles… ! Le pouvoir qatari renouvelle la méthode pour la Coupe du monde. Selon RTL, « pour garnir le plus possible les stades de supporters des nations en compétition, le Qatar invite tous frais payés (avion, hôtel, billets…) des supporters. Selon nos informations, des supporters se sont vu proposer une offre qu’on peut difficilement refuser. Un supporter belge a reçu un appel. “Le Qatar donne des contingents de tickets avec vol et hôtel gratuits. Tous frais payés pour le match d’ouverture et tant que mon pays jouera, j’aurais l’hôtel gratuit. »
Les morts du foot
Certains, dont le gouvernement du Qatar contestent ce chiffre… mais uniquement sur la forme. Ce ne serait pas QUE pour le chantier de la Coupe du Monde. Macabre contestation, horrible façon de traiter les travailleurs.
Depuis plusieurs années, la Confédération internationale des Syndicats, les Fédérations syndicales internationales comme UNI Network International font état de leurs revendications pour améliorer le droit des travailleurs dans l’Émirat. Il est vrai que, devant l’étalement public de l’absence de législation sociale dans cet Émirat, il a fallu faire quelque chose. Il y eut donc des améliorations, semble-t-il, entre autres sur le fait de ne plus confisquer le passeport des travailleurs immigrés pour les contraindre de rester au Qatar malgré les conditions de travail désastreuses.
Mais ces quelques améliorations ne peuvent masquer l’esclavagisme moderne que pratique les Qataris. Les éternels optimistes diront que « grâce à la coupe du Monde, le Qatar a dû adopter une loi du travail la plus progressiste dans cette partie du Moyen-Orient ». L’Organisation Internationale du travail (OIT, une organisation de l’ONU) ose même affirmer que « par une décision qui fera date, l’État du Qatar a procédé à des changements majeurs au sein de son marché du travail, non seulement en mettant fin à l’obligation pour les travailleurs immigrés d’obtenir la permission de leur employeur pour changer de travail, mais aussi en devenant le premier pays dans la région à adopter un salaire minimum non discriminatoire. »
Dans un rapport, Amnesty International a relevé que malgré des « réformes naissantes », les conditions de vie et de travail pour « de nombreux travailleurs immigrés au Qatar restent difficiles ». Le fameux salaire minimum dont se glorifie l’OIT est de… 276 euros dans le royaume des milliardaires en pétrodollars !
Boycott ou non-boycott
Alors que la presse a (pour une fois) fait son boulot, que des fédérations nationales de football comme celle en Allemagne dénonçaient sur le fond et la forme l’attribution de la compétition au Qatar dès 2010, aucune instance ne s’élevait contre cette triple aberration.
Mais devant le tollé que les ONG ont réussi à créer en dénonçant les arcanes de ce dossier, des voix ont commencé à prôner un boycott… à quelques semaines d’un événement pour lequel des sportifs se préparent depuis des années. Car le foot reste le sport le plus populaire au monde, surtout dans les milieux populaires. Les priver de ce « spectacle » était voué à l’échec…
Il est donc parfaitement hypocrite de se lancer dans une campagne de boycott qui n’a aucune chance d’aboutir.
Il y a sûrement autre chose à faire, car cette édition de la coupe du Monde reflète la situation dans laquelle se retrouve ce sport dont nous sommes nombreux à apprécier la technique et l’adresse de ses protagonistes.
L’information muselée
Les partisans de cette mascarade sportive qui va se dérouler les prochaines semaines argumentent en se disant que la présence de centaines de journalistes sur place va contribuer à dénoncer la situation sociale au Qatar.
Pourtant, nous rappelle Télérama, l’Émirat vient de dresser une liste très longue des lieux où il sera interdit de poser ses caméras. Afin de s’assurer que son Mondial sera celui du foot, plutôt que celui des droits de l’homme.
Alors que les médias du monde entier s’apprêtent à entrer sur son petit territoire (de la taille d’un département français), l’émirat vient d’établir des règles pour limiter la casse : il sera interdit de capter la moindre image (photos et vidéos) à l’intérieur de presque tous les bâtiments du pays (propriétés privées, hôpitaux, universités…) comme il a été spécifié à la BBC, selon Le Guardian.
Il y a donc fort à parier que l’on pourra sortir les caméras uniquement dans les stades ou dans les rues, pour admirer ce décor où tout semble parfait, et où il n’est pas évident pour un travailleur surexploité, une femme, un homosexuel, de témoigner de ses conditions de vie. Le quotidien britannique The Guardian, qui a révélé cette nouvelle atteinte à la liberté de la presse, explique que, dans ces circonstances, il sera par exemple impossible de rendre compte des « mauvais traitements infligés aux travailleurs migrants ».
La police qatarie, renforcée par des pays amis comme la France (qui envoie deux cent vingt agents), aura les yeux grands ouverts. Un sacré défi pour les journalistes, nombreux, qui feront le déplacement pour parler d’autre chose que de ballon. À moins qu’ils décident de rester à la maison.
Les pratiques douteuses gangrènent le sport
Si le Qatar met en relief les méthodes mafieuses qui règnent dans les instances dirigeantes du foot, il n’en est pas à l’origine. Toutes les coupes du monde ont connu une attribution marquée par les dessous de table, les votes achetés… Les Jeux olympiques n’échappent pas à cette gangrène, car des sommes énormes sont en jeu. Les pays organisateurs en font un objet de promotion politique, la vente d’une image parfaitement ciselée par les communicants.
La vraie révolution du football reste à faire : ce sport a basculé depuis quelques années dans l’affairisme et est devenu une activité économique dont quelques joueurs sont récompensés par de mirifiques contrats faisant rêver nombre de gamins qui les prennent comme exemple, voire comme des héros.
Le football est entré dans une bulle financière capitalistique dont on ne se pose pas la question de savoir si elle va éclater, mais quand cela se fera. Le gonflement incessant de cette bulle sous la coupe de fonds souverains ou de fonds d’investissement est un défi pour des clubs dont la plupart accumulent d’énormes dettes…
Ce sera l’objet d’un deuxième volet de notre enquête sur les dessous du football.