Qui ne se prend par intermittence à rêver une existence pacifiée, libre de rapports sociaux marchands ou serviles, et où l’absence de plumitifs barrés, ou ivres de complaisance, rendrait la presse d’information réellement d’intérêt public ?
Aujourd’hui, elle parait aussi poilante que les sketchs de nos meilleurs humoristes. A ceci près qu’elle se pare du plus grand sérieux.
Journaliste aux DNA, le journaliste Nicolas Roquejoffre nous apprenait, par exemple, dans un papier publié le 26 novembre, avec un art consommé de la componction, que le (discret) « Centre interarmées des actions sur l’environnement » (CIAE) basé à Lyon, lequel intervient en matière d’actions civiles et militaires sur des opérations extérieures, opérait pareillement en matière de « lutte informationnelle », et sur de la « veille des réseaux sociaux ».
C’est que le CIAE a notamment pour tache de « contrer les campagnes de propagande ». Rien que cela ! D’ailleurs, 250 personnes y travaillent, dont une centaine est chargée de la « lutte informationnelle d’influence avec des profils très divers : analystes, spécialistes des systèmes d’information, de la communication, du renseignement mais aussi professionnels de la mise en scène, sociologues et même une anthropologue ».
« Il faut savoir maîtriser les codes culturels », déclare à raison le colonel Lambolez. Un exemple, un exemple ! « Un vecteur de communication comme le dessin pourra avoir plus de poids qu’une photo dans certains pays africains par exemple ».
C’est que l’Africain, ce grand enfant, se régale des croquis produits par le chef de village, lorsque celui-ci illustre un problème communautaire à résoudre au moyen de quelques illustrations bien senties, au frais, en sirotant un petit vin blanc de palme sous l’arbre à palabres.
Ivre d’action, la Grande muette venait tout juste d’achever son problème à elle par un exercice grandeur nature dans la région de Valence (Drôme).
Et pour ce faire, les géopoliticiens du canon n’ont pas lésiné sur la déconne. Ils ont inventé la République (fictive) de l’Isardro, dont la capitale, Valence (une ville pivot !), se remet d’un siège, par le secours inopiné des forces de l’Otan venues repousser l’odieuse armée qui a envahi le pays. Toute ressemblance avec un épisode survenu en ex-Yougoslavie n’étant absolument pas fortuit.
On apprend ainsi que de nombreux civils sollicités ont joué leur propre rôle : secouristes de la Croix-Rouge, salariés de Veolia ou ou de Télédiffusion de France, et même des élus !
Outre les « situations complexes », entendez humaines et ethniques, que le poste de commandement doit gérer lors du déploiement de troupes sur un théâtre d’opération étranger, les militaires ont notamment pour charge de « neutraliser ceux qui distillent un poison informationnel », et ce faisant « savoir communiquer de bonnes informations », sur le terrain, aussi bien que par écrans interposés.
Le commandant Christophe gère le groupe dédié à la « lutte informationnelle ». Le réseau social de l’ennemi lui aussi créé de toutes pièces, diffuse de « fausses informations », que « les équipes doivent pouvoir contrecarrer ».
« Les miliciens font croire que les déplacés regroupés dans le camp subissent de mauvais traitements, photos à l’appui. Aux équipes sur le terrain de rapporter des clichés qui prouvent le contraire. »
Mais tout réside dans les « limites de la légalité », selon le colonel Lambolez.
« On a plusieurs lignes rouges : on ne fait pas d’influence sur le territoire national. Nous sommes toujours en appui des opérations sur les théâtres extérieurs et la mission est de lutter contre la propagande et la manipulation de l’information. Nos compétiteurs peuvent avoir recours à des fake news, des mensonges, de la désinformation, chose que la France s’interdit. »
Conclusion du journaliste (mal) embarqué : « la ruse de guerre oui, mais pas la perfidie ». Nuance !
Il est vrai que le distinguo entre « ruse » et « perfidie » est on ne peut plus étanche. Le dictionnaire Larousse nous l’énonce assez clairement : perfidie est un nom féminin, du latin perfidia, dont les synonymes sont déloyauté – (familier entourloupe) – fausseté – mauvaise foi.
Tandis que la ruse (nom féminin du latin recusare), que s’autorisent exclusivement les canonniers de la Grande Nation, renvoie davantage à la fourberie – le machiavélisme – la roublardise (familier) ou la rouerie. Rien à voir, donc !
C’est que « la France s’interdit » surtout d’être complètement différente en matière de propagande !
De sorte que le message institutionnel des armées, repris sans filtre ni réserves par un journaliste apparemment en état second, nous propulse alors tout droit vers le sketch de Bourvil. « L’alcool non, mais l’eau ferrugineuse, oui ! »
Et si vous n’étiez pas encore entièrement dégrisés par tant d’ivresses sémantiques, sachez que la troupe compte remettre la ruse informationnelle au gout du jour, dès l’année 2023.
Un exercice national et international des rusés armés va en effet s’y tenir entre février et mai. Avec le recours à un « internet privé » (savent-ils que cela existe depuis longtemps et s’appelle un intranet ?), et des réseaux sociaux fictifs. Bigre.
« Notre mission sera d’imposer notre narratif et contrecarrer celui des ennemis », résume le général Metayer.
« L’éducation aux médias », si chère à l’Éducation nationale, sera désormais assurée par l’armée, un régal d’intelligence en perspective.
A commencer par » une fameuse « lutte informationnelle » garantie sans morceau d’information !
De quoi assurer la victoire de la Vérité bombardée par les publications du groupe EBRA…