Photographies de Martin Wilhelm
MAJ : Le groupe LIOT a retiré sa proposition de loi.
Chant du cygne syndical ? La (sans doute) dernière manifestation mulhousienne du 6 juin contre la réforme des retraites, désormais « votée », et dont les premiers décrets sont parus, inspire à Martin Wilhelm, notre photographe, un travail photographique monochrome, fondé sur des verticalités agissantes.
Des ombres projetées sur un asphalte chauffé à blanc, en ce mardi après-midi mulhousien, semblent projeter la fin d’un cycle politique, outre le mouvement social le plus ancré et unitaire, lissé sur 5 mois de combat.


Ces reflets agitant leurs doléances sur panneaux rectangulaires, semblent avoir lâché la proie pour l’ombre d’un rituel démocratique obsolète, tant il a perdu ses effets dans la temporalité politique actuelle.

Comme un spectre supplémentaire qui hante le débat public, Yaël Braun Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale, agite ce jeudi l’article 40 de la Constitution, promettant d’entraver définitivement la tentative désespérée d’un nombre (sans doute majoritaire), de députés, de mettre au vote un article abrogeant le report de la retraite à 64 ans.
En exerçant une censure a priori de l’initiative parlementaire, et du droit (constitutionnel) d’amendement des députés, alors que le groupe LIOT utilisait sa « niche parlementaire » (article 48 5ème alinéa), Yaël Braun Pivet entérine de fait l’idée de subordination du Parlement à l’exécutif. Un fait sans précédent dans l’histoire de la représentation nationale, le tout le plus légalement du monde.

La cécité démocratique semblant gagner toutes les strates sociales, il se trouve même des universitaires pour déplorer les attaques portées contre l’article 40, l’un des nombreux prodiges que recèle cette Constitution, décidément pleine de chausse-trappes liberticides.
« Ce mécanisme constitutionnel évite que des dispositions législatives ayant des conséquences financières importantes, y compris sur l’équilibre même des finances publiques, soient votées à l’initiative de parlementaires, alors même qu’il appartient au gouvernement de déterminer la politique de la nation ».
Et puisque la politique de la nation est déterminée par un Président incapable du moindre équilibre délibératif et démocratique, tout choix politique devient le succédané d’une pratique managériale, se bornant à atteindre les objectifs d’un agenda scellé par son diariste-président, et obtenu par voie de subordination parlementaire.
Le gouvernement et ses représentants au parlement, ne sont ainsi que répétiteurs des caprices et orientations budgétaires définies par le Grand Manager.
Mais cette apparente homéostasie comptable, où des lignes budgétaires s’écoulent en vases-communicants, sans aucune diligence pour le facteur humain, n’est en rien équilibre.
Elle soustrait la réalité concrète des existences sociales, par laquelle la vie s’instille quotidiennement pour chacun de nous.

Les experts de la comptabilité publique pratiquent le réductionnisme budgétaire comme si toute politique se résumait à un goulet d’étranglement financier.
Peu importe le projet politique, pourvu qu’on tienne la laisse des nombres.
Les deux idiots utiles de l’Université abjurent le chaos qui naitraient forcément d’un défaut de l’article 40 : « En appeler à une absence de contrôle des conséquences financières des propositions de loi et amendements parlementaires ne serait pas raisonnable ».
Pire, « ce serait en appeler aux vieux démons de la démagogie et à des jeux d’alliances politiciens pour permettre d’adopter, comme sous des régimes passés, telle ou telle mesure financière contre la position du gouvernement mais en faveur de tel ou tel secteur économique, au risque de dégrader un peu plus les finances publiques et l’image de la politique ».
L’inoxydable, Charles de Courson lui-même, aujourd’hui qualifié par la majorité, et la droite en général, de « Che Guevara de La Marne », pour sa détermination à lutter contre la violence de cette réforme, disait il y a 15 ans toute son admiration pour cet article, alors qu’il passait alors pour le « moine soldat de l’Assemblée » en matière de finances publiques !
Quelque chose a changé pourtant. Certes, Charles de Courson, tout modéré, social-libéral, et réformiste des retraites qu’il soit, demeure un moine soldat, malthusien de la dépense publique.
Mais, il a toutefois persisté à penser en politique, soucieux de l’équilibre des engrenages sociaux, que toute réforme à visée budgétaire entraine fatalement, avant que de jouer les contempteurs des paniers percés de l’argent public.
Et il ne cesse de répéter l’injustice profonde de cette réforme, comprenant, en politique, qu’elle s’est bâtie sur le corps ployé de ceux qui ont le moins, et à qui on demande le plus, quand nos badernes universitaires, demeurent quant à elles, complètement à l’ouest.

Cette réforme illustre au passage combien les enjeux sociaux ne sont perçus par les analystes qu’au travers du prisme socioprofessionnel au travers duquel ils s’expriment.
L’universitaire, comme tout représentant d’une élite intellectuelle ou économique, ne se représente que fugacement la vie de l’égoutier, lorsque le sort lui fait croiser une odeur nauséabonde, le long d’un « regard de chaussée ». Au fond du trou d’égout, l’ouvrier d’entretien, quant à lui, n’aura pas même le temps de se rêver universitaire, tant la surmortalité décime nombre d’entre eux.
On pense irrésistiblement à ce passage de « L’homme qui rit » de Victor Hugo :
Je suis celui qui vient des profondeurs. Milords, vous êtes les grands et les riches. C’est périlleux. Vous profitez de la nuit. Mais prenez garde, il y a une grande puissance, l’aurore. L’aube ne peut être vaincue. Elle arrivera. Elle arrive. Elle a en elle le jet du jour irrésistible. Et qui empêchera cette fronde de jeter le soleil dans le ciel ? Le soleil, c’est le droit. Vous, vous êtes le privilège. Ayez peur. Le vrai maître de la maison va frapper à la porte. Quel est le père du privilège ? Le hasard. Et quel est son fils ? L’abus. Ni le hasard ni l’abus ne sont solides. Ils ont l’un et l’autre un mauvais lendemain. Je viens vous avertir. Je viens vous dénoncer votre bonheur. Il est fait du malheur d’autrui. Vous avez tout, et ce tout se compose du rien des autres.

Parce que ce « rien des autres » n’est plus aujourd’hui un motif d’action ou d’intérêt politique, sinon pour des « extrêmes », comment renouer encore le fil d’un dialogue serein, amorcer une dispute politique de choix, quand l’abus caractérise terminalement un système et une pratique politique ?
La Cinquième république est définitivement percée à jour. Son efficacité relative se paye du prix de sa violence, y compris symbolique.

Le jeu social et politique suppose que les règles mettent en forme et mettent des formes. A condition que ces formes soient vues comme respectables.
Or, l’ensemble de l’édifice constitutionnel aspire aujourd’hui à la secousse tellurique, car plus rien n’y tient, structurellement et symboliquement.


Le jeu actuel de la démocratie française, et ceux qui s’y reconnaissent, procèdent d’une règle épuisée, et d’une finalité servant des objectifs étrangers au corps social, c’est-à-dire à l’intérêt public.
Sauf à prendre délibérément ses concitoyens pour d’aimables idiots, comment supposer qu’un texte organisant les pouvoirs, établi sur-mesure pour qu’un ancien chef militaire s’impose chef d’État, il y a de cela 65 ans, dans le contexte d’une guerre civile, puisse répondre aujourd’hui aux besoins et aspirations d’un ensemble politique et social protéiforme et éduqué, tel que le nôtre ?






