Il fut un temps où les pistes cyclables étaient pré­su­mées des­ti­nées, de par nature, aux bicy­clettes et aux vélos, inter­dits aux véhi­cules à moteur, à l’ex­cep­tion de ceux de ser­vice ou d’urgences.

À noter que bicy­clette et vélo ne sont pas stric­te­ment syno­nymes ;  Michel Audiard, pas­sion­né de petite reine, (et dont on met­tra pro­vi­soi­re­ment le pas­sé vichyste entre paren­thèses), fai­sait déjà la nuance : le véliste a le nez dans le gui­don, éty­mo­lo­gi­que­ment sou­cieux de vitesse, quand le bicy­clet­teux est enclin à avoir le nez en l’air ou le regard autour de soi. Ce qui dis­tingue la pro­me­nade ou la ran­don­née du trek­king de haute mon­tagne, en quelque sorte.

Je relève de cette pre­mière catégorie.

Tou­te­fois, à y regar­der de près, l’ad­jec­tif cyclable acco­lé à « voie » ou « piste » n’ac­corde pas une exclu­si­vi­té très nette aux deux-roues (à pro­pul­sion méca­nique) : « cyclable », soit apte à être « cyclé », n’im­plique pas que les bicycles en soient les usa­gers uniques, ni même pri­vi­lé­giés. La voie reste ouverte à d’autres.

Plus expli­cites sont les termes anglais, néer­lan­dais, alle­mands : « cycle path », ou « bike lane,  « fiets­pad », Radweg/Fahrradweg.

Vélo­route, la 6 en l’oc­cur­rence pour ce qui nous concerne, est par contre plus lim­pide.  Et la « piste du canal », soit le tron­çon Mul­house-Mont­bé­liard, emprun­tant l’an­cien che­min de halage, en fait par­tie : bicy­clettes et autres vélos y ont de ce fait toute leur place.

Les pié­tons, « jog­geurs », pati­neurs en rol­lers évi­dem­ment aus­si, c’est le propre d’une « voie verte ». Ces der­niers, en rai­son du mou­ve­ment carac­té­ris­tique que leur impose leur sport, prennent beau­coup de place, et il est impé­ra­tif de les pré­ve­nir quand on les dépasse. Cela vaut pour les autres (le neveu « jog­ger » de mon épouse est mort ren­ver­sé par un VTTiste).

Quant aux pié­tons, s’ils sont iso­lés, ils se tiennent le plus sou­vent d’un côté de la piste. Quand ils sont deux,  un coup de gre­lot n’est pas super­flu pour se pré­mu­nir d’un écart intem­pes­tif. La son­nette est par contre indis­pen­sable en cas de groupe, sou­vent fami­lial, landau(s) com­pris : celui-ci va sou­vent mar­cher de front, occu­pant l’en­semble de la voie.  On com­plè­te­ra, dans ce cas comme dans les autres, l’a­ver­tis­se­ment avec un petit « bon­jour » et sou­rire au pas­sage, his­toire de dis­si­per toute inter­pré­ta­tion du signal sonore comme expres­sion d’a­ga­ce­ment ou d’ag­gres­si­vi­té (d’être « uff-drìng-lig », en alsa­cien !)  Il demeure qu’il est légi­time de s’in­ter­ro­ger sur à quoi songe un tel groupe obs­truant le pas­sage, sachant per­ti­nem­ment qu’à tout moment un cycliste peut arri­ver dans leur dos, puis­qu’il lui en arrive nombre d’en face auquel il leur faut bien lais­ser passage…

Une men­tion pour les jog­geur ou les jog­geuses, … qui ne sont pro­blé­ma­tiques que lors­qu’ils sont à trois côte à côte (rare, disons-le, unique pour ce qui me concerne, mais vécu !) sourds à votre gre­lot car tout absor­bés par leur papo­tage, consi­dé­rant sans doute que les 40 cm de piste qu’ils vous concèdent géné­reu­se­ment sont suf­fi­sants, visi­ble­ment indif­fé­rents à l’o­bli­ga­tion de vigi­lance accrue que leur qua­si-mono­pole de la piste vous impose pour ne pas ver­ser dans le canal !

Une res­pon­sable de VNF, jointe par télé­phone, me fait part du phé­no­mène, auquel je n’ai pas (encore) été confron­té, concer­nant des chiens tenus en laisse longue que le pro­prié­taire n’a pas le temps de rame­ner au pied lors du pas­sage de bicyclette.

Mais lais­sons là pié­tons et cyclistes de classe « tou­riste » qui, au prix d’un tant soit peu d’at­ten­tion à l’autre, peuvent coha­bi­ter sans pro­blèmes,  et inté­res­sons-nous aux vélistes, soit ceux qui n’ont pas le nez en l’air  mais l’oeil rivé sur le chro­no. D’ailleurs, la posi­tion aéro­dy­na­mique que leur impose leurs gui­dons en forme de cornes de bélier prêt à char­ger ne leur per­met pas de se livrer à la contem­pla­tion du paysage.

On les recon­naît aisé­ment à leurs tenues géné­ra­le­ment bigar­rées, arborent sou­vent sur leurs maillots  des noms de marques ou d’en­seignes. Il est d’ailleurs per­mis de dou­ter de l’au­then­ti­ci­té du lien de spon­so­ri­sa­tion ain­si affi­ché :  bla­sons de firmes pour la frime, pour plas­tron­ner, pour faire « pro » de la Grande Boucle , sans doute…

Ceux-ci ont la fâcheuse ten­dance de confondre la piste du canal avec un vélo­drome de com­pé­ti­tion et sub­sé­quem­ment de consi­dé­rer les autres usa­gers du che­min comme des impor­tuns, voire des intrus. Aus­si font-ils mine de les igno­rer, ou les ignorent réel­le­ment, sauf à les invec­ti­ver s’ils leur font obs­tacle. À leurs yeux, ils n’ont rien à faire là, la piste leur appar­tient à eux, les vrais, les seuls, les uniques.  Le pro­me­neur, à pied ou à roues est illégitime.

Une piste acces­sible aux vélos n’a pas à être uti­li­sée pour la vitesse, au même titre que la route ne doit pas ser­vir à tes­ter les per­for­mances des bolides de course. Ce n’est pas le lieu, peut-être en manque t‑il, mais là n’est pas le propos.

Ralen­tir ? Non mais ! Aver­tir avant dépas­se­ment ? Et puis quoi encore ! Une son­nette ? Vous n’y pen­sez pas ! Son poids pour­rait nuire à la per­for­mance ! De plus, son ins­tal­la­tion sur le haut du gui­don obli­ge­rait à renon­cer un ins­tant à la posi­tion pro­fi­lée pour la faire fonc­tion­ner, et le fait de se redres­ser  indui­rait une plus forte résis­tance à l’air.

Pas ques­tion de ralen­tir ne serait-ce qu’un ins­tant, quitte à se fau­fi­ler périlleu­se­ment, aus­si fili­formes soient nombre de vélistes, entre un cycliste devant soi et un autre en sens inverse, sans pré­ve­nir, et ce sur une lar­geur de piste de 2,5 mètres (et pas tou­jours), au risque d’ac­cro­cher l’un ou l’autre, sachant qu’un écart de l’un ou de l’autre est tou­jours pos­sible, ne serait-ce qu’en rai­son d’une imper­fec­tion ponc­tuelle du revêtement.

La vitesse maxi­male  sur la voie verte est fixée à 30 km/h, même si elle n’est indi­quée ou rappelée.

Il m’ar­rive par­fois, quand j’appuie sur le cham­pi­gnon – par­don, sur les pédales – à la faveur d’un vent arrière ou aiguillon­né par la pers­pec­tive proche d’un demi bien frais, de me méta­mor­pho­ser, certes briè­ve­ment, en qua­si-véliste et d’at­teindre la vitesse ver­ti­gi­neuse de  25 km/h, voire un peu plus. Ce qui ne m’empêchera pas d’être dépas­sé, et rapi­de­ment semé, par des for­ce­nés en selle.

Men­tion­nons encore les trou­peaux de cyclistes en club dont la phi­lo­so­phie en la matière est sans ambi­gui­té un « pousse-toi de là qu’on s’y mette » si caté­go­rique qu’il vous donne le sen­ti­ment d’être un intrus.

Mais voi­là que de nou­veaux usa­gers ont  fait pro­gres­si­ve­ment leur appa­ri­tion aux côtés des anciens : ceux dits à « assis­tance électrique ».

Pas­sons rapi­de­ment – et à leur image ! – sur les trot­ti­nettes élec­triques, dont la vitesse peut être impres­sion­nante et qui, au demeu­rant, ne sont pas « assis­tées », mais bien entiè­re­ment moto­ri­sées puis­qu’au­cun mou­ve­ment phy­sique ne par­ti­cipe à leur pro­pul­sion : d’où inter­ro­ga­tion sur le bien-fon­dé de leur accès aux voies cyclables, puis­qu’as­si­mi­lables à des deux-roues à moteur.

La pré­sence gran­dis­sante du VAE, vélo à assis­tance élec­trique, ne laisse pas de poser des ques­tions, sinon sur le fond, du moins sur leur utilisation.

Au pont d’E­glin­gen, un cycliste « clas­sique » en pause, à la vue du défi­lé conti­nu de ces machines sur la piste, s’ex­clame à leur pas­sage : « Ma parole, ça donne droit à un cré­dit d’im­pôt ? » (J’ai reçu récem­ment un appel com­mer­cial me deman­dant si j’a­vais tou­ché ma prime de 170 euros pour un tel engin..)

Les bicy­clettes « à l’an­cienne » sont en effet en passe – si ce n’est déjà la cas – de deve­nir mino­ri­taires et d’être remi­sées dans les oubliettes de l’his­toire locomotive.

Rien à redire, bien au contraire, quand telle pro­fes­seur de musique y a recours, se ren­dant quo­ti­dien­ne­ment d’All­sch­wil à Lies­tal (23 km dans chaque sens), en toute sai­son, par refus (louable) de prin­cipe de, non seule­ment uti­li­ser, mais encore de pos­sé­der une voiture.

On com­prend éga­le­ment son uti­li­té quand il s’a­git de vou­loir cou­vrir bien davan­tage de dis­tance, d’al­lon­ger les étapes en longue ran­don­née, tout en four­nis­sant un effort phy­sique équi­valent, en n’ayant recours à l’as­sis­tance que pour des coups de main dans les grim­pettes ou par vent contraire.

Mais ce n’est pas l’u­sage qu’en font beau­coup, voire la plu­part des uti­li­sa­teurs de VAE. À les voir, sans sacs à dos et sans bagage aucun, on devine qu’il s’a­git de simples pro­me­nades dans la jour­née (juste plus rapides que les miennes, puis­qu’ il m’est arri­vé de croi­ser cer­tains déjà sur le retour alors qu’ils m’a­vaient dépas­sé auparavant).

Un voi­sin m’a racon­té une sor­tie en amis au cours de laquelle il a été contraint d’é­chan­ger au retour son vélo avec une cama­rade qui avait entiè­re­ment épui­sé sa bat­te­rie à l’al­ler, alors que lui-même n’y avait pas eu recours du tout : l’u­sage de l’as­sis­tance devrait venir en appoint et n’être pas systématique.

Il est évident, à la vue de leurs mines ravies au moment de vous dou­bler, que la plu­part d’entre eux ne sont pas en train de four­nir un effort sur­hu­main. Même si elles n’at­teignent pas la vitesse limite de 30km, car ces machines sont nor­ma­le­ment bri­dés à 25 km, elles peuvent néan­moins, notam­ment en rai­son de leur poids plus impor­tant et de fait moins maniables, poser pro­blème au milieu d’une foi­son de pro­me­neurs dominicaux,

Les uti­li­sa­teurs de VAE ne sont pas néces­sai­re­ment des seniors ; si, en moyenne, ils ne comptent pas par­mi les plus jeunes, ce ne sont pas pour autant des gens que l’âge handicape.

Et il n’est d’ailleurs pas sûr du tout que les VAE soient une solu­tion pour les per­sonnes âgées  : notre cor­res­pon­dant bâlois de l’Al­ter­presse, octo­gé­naire confir­mé, a remi­sé rapi­de­ment son vélo à assis­tance car trop dif­fi­cile à manier et trop pon­dé­reux pour ne pas être dan­ge­reux pour lui.

On m’ob­jec­te­ra que sans VAE, ces gens ne feraient pas, ou plus, de vélo du tout : mais est-ce encore  du vélo ? Ils s’i­ma­ginent faire du sport, ils font de la mobylette.

Au vu du fré­quent enro­bage abdo­mi­nal consé­quent des adeptes de VAE, on est en droit de se deman­der si une action péda­lière plus ferme ne leur serait pas davan­tage béné­fique : le mol­let lâche et le jar­ret  flasque ne sont  pas vrai­ment com­pa­tibles avec l’in­jonc­tion de la Facul­té de pra­ti­quer une acti­vi­té phy­sique quotidienne.

La dépense (j’en­tends, phy­sique, car ces machines coûtent cher…) est dans bien des cas mini­male, voire nulle, la pro­pul­sion dic­tée par la recherche du moindre effort : une sorte de péda­lage dans le vide, proche d’une sen­sa­tion de roue libre en des­cente du Ven­toux ou du Bal­lon d’Al­sace perpétuelle…

Alors que la piste du canal ne pré­sente, hor­mis les courtes pentes à la hau­teur des écluses, aucun dénivelé.

J ‘avais sui­vi dans sa roue, pour mieux obser­ver le phé­no­mène, une dame « for­te­ment » assis­tée, le constat était fla­grant : c’est le péda­lier élec­tri­sé qui entraî­nait le mou­ve­ment des jambes et non l’inverse !

Géné­ra­le­ment moins véloces que les vélos dits « de course », ils ont néan­moins éga­le­ment ten­dance à dépas­ser sans pré­ve­nir et ce, en étant net­te­ment moins « fili­formes » que les fon­ceurs, autant par leurs mon­tures que par les cor­pu­lences phy­siques plus conséquentes.

Curieux que l’on ait ten­dance à réser­ver le bref salut aux cyclistes de sa propre catégorie !

Quel besoin, sauf à être affli­gé d’une quel­conque inva­li­di­té, de recou­rir à une assis­tance élec­trique sur une piste hori­zon­tale et sans vent ? Sur­tout pour une pro­me­nade domi­ni­cale ? Cela se conçoit pour un tra­jet tra­vail, mais pas pour des loisirs.

Notons encore ces cyclistes, qu’ils soient « assis­tés » ou non, fon­ceurs ou non, qui ne renon­ce­raient pour rien au monde à rou­ler côte à côte au moment de vous croi­ser, ce qui vous donne un pénible sen­ti­ment d’inexistence…

L’or­ga­nisme VNF (Voies navi­gables de France) en charge de la ges­tion de la piste du canal, est consciente des pro­blèmes de co-habi­ta­tion évo­qués plus haut et envi­sage de s’a­dres­ser dans un pre­mier temps aux clubs cyclistes.

On n’est pas à l’a­bri, usa­gers de toute nature des voies vertes, des inci­vi­li­tés et incons­ciences aux­quelles nous confronte la route au  volant.

À plein d’é­gards, ce que l’on peut consta­ter sur une piste verte est le reflet du com­por­te­ment de nom­breux auto­mo­bi­listes, ceux qui vous « poussent au cul », qui doublent en situa­tions dan­ge­reuses, qui klaxonnent si vous ne démar­rez pas illi­co quand le feu passe au vert, etc.

L’i­mage encore d’une socié­té qui a pris l’ha­bi­tude de n’a­voir que peu, voire aucun égard pour les autres.

La piste  dite « par­ta­gée » reste encore à le deve­nir et ce, on l’es­père, sans « flicage ».

On retien­dra à ce pro­pos la remarque bien­ve­nue autant que péda­go­gique d’un jeune Papi à son petit-fils haut de trois pommes  à l’ap­proche d’un vélo : « tu as vu, la dame, elle a fait gling-gling ! »

Et puis il y a encore ceux qui se gardent bien d’être véloces, qui prennent leur temps, voya­geurs à l’é­co­no­mie, au seul rythme du pay­sage, qui empruntent la Vélo­route, la 6 pour ce qui nous concerne, celle qui va de Nantes à la Mer noire. Ceux qui forcent l’ad­mi­ra­tion et qui donnent envie de faire de même, ceux dont les bécanes sont bar­dées de lourdes sacoches pleines à cra­quer har­na­chées à leurs bécanes devant, der­rière, des côtés. Soli­taires ou en couple, « élec­tri­sés » ou non, ils ouvrent  la voie à une autre manière de conce­voir les vacances dont la san­té des gens autant que celle de la pla­nète a bien besoin.