Crédit photos : Martin Wilhelm
Puits de biodiversité
A Wittelsheim, en périphérie de Mulhouse, des associations de défense de l’environnement mènent une bataille acharnée pour la sauvegarde d’un écosystème unique.
L’objet de leur attention (et de leurs inquiétudes), se concentre notamment sur une étendue de landes, nichée aux abords d’un site industriel désaffecté, Classé « ZNIEFF 1 » (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique).
Le lieu exploité par les mines de potasse d’Alsace (MDPA) constitue un vestige de l’ère des mines de potasse d’Alsace (MDPA), lesquelles ont exploité le minerai pendant plus de 70 ans.
Ce sanctuaire de biodiversité, surnommé « le Moos » par les naturalistes locaux (ce qui signifie « milieu humide » ou « prairie marécageuse), abrite aujourd’hui un éventail impressionnant d’espèces, dont certaines protégées au niveau international.
Parmi elles, des papillons nocturnes rares, des amphibiens menacés, et une variété d’oiseaux nicheurs inscrits sur les listes rouges des espèces en danger.
Les ornithologues y ont repéré par ailleurs de nombreuses espèces d’oiseaux nicheurs, dont plusieurs inscrites sur les listes rouges régionale ou nationale des espèces menacées : fauvettes de diverses variétés, hypolaïs polyglotte, locustelle tachetée, torcol fourmilier, tarier pâtre, bruant jaune, rossignol philomèle, pouillots fitis et véloce, tourterelle des bois…
Ce havre de paix écosystémique a en effet été bouleversé par un agriculteur défrichant sans autorisation connue un terrain de 5,7 hectares de landes sauvages, en l’espace de quelques mois, entre 2022 et 2023. Cette dénaturation réalisée au pied du terril « Amélie 1 » (du nom du premier puits extrayant la potasse), est suivie d’une transformation en champ agricole. Le tout réalisé avec avec le concours de la mairie de Wittelsheim.
Ce saccage, mené sans les autorisations environnementales requises, a provoqué l’indignation des défenseurs de la nature. Ces militants écologistes alsaciens sonnent alors l’alarme auprès de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), la Direction départementale des Territoires (DDT), l’OFB (office français pour la biodiversité).
Comment cela a‑t-il été rendu possible ?
Le site, longtemps exploité par les mines de potasse d’Alsace (MDPA), voit aujourd’hui se dresser une centrale photovoltaïque sur quelques dizaines d’hectares, à l’est et au sud du site.
Propriété des sociétés Krannich Solar et Aventron, le coût de construction de la « ferme solaire » sur le site est estimé à 40 millions d’euros, pour une puissance totale développée de 50 mégawatts.
Le fait est que sa construction s’est traduite par un empiétement foncier sur un hectare de terrain, qu’un agriculteur laissait en jachère au pied du terril, et dont l’exploitation lui avait été une première fois concédée par la municipalité de Wittelsheim, héritière des MDPA.
L’agriculteur a donc bénéficié de « mesures de compensation agricoles exploitables » octroyée une nouvelle fois par la municipalité de Wittelsheim, afin de le dédommager pour l’hectare de terrain jugé « perdu » pour l’agriculture.
Cette opération de compensation lui fut largement profitable, puisqu’elle lui permit de récupérer plus de cinq hectares de terre située sur site, en lieu et place de l’hectare perdu !
Pour autant, cette « remise en culture de terres incultes » au profit de l’exploitant agricole, se traduisant par le défrichement de cinq hectares de zone naturelle, aurait dû faire l’objet d’une demande d’autorisation par l’”Autorité Environnementale”, institution chargée d’en évaluer le bien-fondé.
En février 2023, les associations de défense de l’environnement constatent la destruction de ces 5 hectares de landes par l’agriculteur. Ils alertent aussitôt la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), la Direction départementale des Territoires (DDT), l’OFB (office français pour la biodiversité) et la commune de Wittelsheim.
Silence assourdissant des autorités
Depuis lors, les environnementalistes n’ont bénéficié que d’une courte entrevue avec le directeur de l’urbanisme de la commune, alors même que celui-ci n’a pas compétence pour apprécier la situation, ni a fortiori pour la remettre en cause.
Outre le mur d’indifférence opposé par la municipalité de Wittelsheim, aucune des institutions contactées depuis 2023 (DREAL, DDT, OFB) ne daignera réagir davantage.
Stéphane Giraud directeur d’Alsace Nature, Daniel Nahssan de la ligue protectrice des oiseaux (LPO), Marc Ringenbach pour le comité des sciences de la Société industrielle de Mulhouse, Jean Barbery pour l’association Buffo, Christian Rust pour l’association Imago, Michel Bourguet animateur du groupe local M2A d’Alsace Nature, et Yann Flory chargé du groupe local M2A pour Alsace nature, décident alors de dénoncer le statu-quo pratiqué par Wittelsheim.
Ils invitent les journalistes à découvrir le site, ce mercredi 18 septembre en matinée, de sorte à faire constater par le grand public les conséquences directes de la dénaturation du site.
Le problème qui en cache une foultitude d’autres
Pour les écologistes, l’enjeu n’est pas tant de lutter contre la modernité technique ou technologique, mais d’anticiper ces enjeux du point de vue de l’intérêt général écosystémique.
Stéphane Giraud essaie quant à lui de faire la part des choses, pour ne pas s’afficher en écologiste forcené ou procédurier, auprès de ceux qui défendent les agriculteurs :
« Nous souhaitons montrer qu’avec le dialogue on peut s’éviter des situations de tension. Il y a nécessité d’équilibrer les rapports entre ce que la nature nous offre gratuitement, et l’économie, notamment agricole, comme on le voit avec la maïsiculture en Alsace. Qu’un agriculteur cherche à compenser des terres perdues, ce n’est pas illégitime, mais il ne peut pour autant se dédouaner de la destruction d’espèces protégées. »
Ce problème, précise-t-il, est le reflet de ce qui se passe sur d’autres sites alsaciens :
« Cette affaire est une illustration de ce qui est en train de se passer sur le territoire en plein d’endroits différents. Ici, outre l’agriculteur qui défriche, un acteur économique cherche à tirer un bénéfice de l’installation de panneaux solaires, alors même que l’étude environnementale liée à cette implantation est largement en deçà de ce qui serait nécessaire aujourd’hui ».
Et l’avenir ne s’annonce pas des plus rayonnants. D’autres projets sont pressentis dans le secteur du Moos, sans que l’on ne dispose encore de calendrier. Une nouvelle centrale solaire serait prévue sur le terril (habitat du crapaud vert) et plus certainement l’installation d’une « Gigafactory » (usine de batteries électriques appartenant au groupe Bolloré), qui menace de détruire les derniers lambeaux de milieux naturels secondaires présents sur le site…
Les associations et collectifs écologistes envisagent de porter l’affaire devant les tribunaux, si la mairie de Wittelsheim continue sa fin de non-recevoir en matière de défense du milieu naturel au sein du “Moos”, et de la nécessité de lui garantir sa pérennité.
Dépité, Stéphane Giraud, directeur d’Alsace nature, fait volontiers place à l’amertume, sinon à la colère. Il voit les mouvements écologistes radicaux monter en puissance, et cela ne l’étonne guère :
« Il y aura de plus en plus de réactions virulentes de la part de personnes, notamment jeunes, qui ont une haute conscience de ce qui est en train de se passer. A partir de là, on pourra toujours tenter de maintenir le lancinant discours hostile aux « écoguerriers », ou autres « ayatollahs » de l’écologie, mais il ne faudra pas s’étonner d’en revoir, car les enjeux écologiques sont de plus en plus dramatiques.
« On fêtera les 60 ans de l’association [Alsace nature] l’année prochaine. Qu’est-ce que je peux répondre à mes adhérents qui me disent que l’on perd tous nos combats depuis 60 ans ? Qui peut croire qu’on laissera l’orchestre continuer à jouer tandis que le Titanic va se briser contre l’iceberg climatique ? ». « On a besoin d’un vrai plan de restauration de la nature en Alsace ! ».
Depuis mercredi, le maire de Wittelsheim, Yves Goepfert, a répondu aux écologistes dans les DNA/L’Alsace : « Nous n’avons pas tout détruit, il reste assez de milieux naturels pour que la faune trouve sa place. Les animaux sauront se déplacer vers le terril ou ailleurs, nous n’avons pas prévu d’autres destructions. »
Rassurons-nous : ils n’ont pas « tout détruit ». Alors juste ce qu’il fallait ? On appréciera l’aveu à sa triste mesure…