Le vendredi 27 mars prochain à 19 h aura lieu à la Cave Dîmière, place Saint-Léger à Guebwiller, une soirée-débat Caméra Citoyenne intitulée « Justice et société, hier et aujourd’hui », organisée par un collectif d’associations locales et Europe Écologie Les Verts, en partenariat avec le Centre Départemental d’Histoire des Familles.
Le sujet de départ de cette soirée sera la présentation par Bernard Grunenwald du procès criminel contre Élisabeth Gewinner, une bourgeoise septuagénaire de Guebwiller, qui a été accusée de sorcellerie et brûlée sur le bûcher le 27 mars 1615, c’est-à-dire exactement quatre siècles plus tôt. Bernard Grunenwald a retrouvé dans les archives municipales de Guebwiller les documents du procès, écrits en allemand ancien, et les a retranscrits et traduits en français dans un fascicule de 130 pages que l’on pourra acheter lors de la soirée-débat.
Principale preuve : des aveux sous la torture
Ce document exceptionnel, qui dépeint aussi la société alsacienne au début du XVIIe siècle, montre comment une rumeur a déclenché une procédure criminelle conduite sous l’autorité du grand bailli de la principauté de Murbach dans le Saint-Empire romain germanique des Habsbourg, alors que jusqu’au XVIe siècle les procès pour sorcellerie étaient instruits par le inquisiteurs dominicains mandatés par le pape. Cette étude reprend les toutes sortes de ragots et dénonciations sur des faits remontant parfois à plus de vingt ans trente ans avant le procès expéditif : d’un supposé vol de tissu au marché, de la prétendue possession d’une racine de mandragore, de visites d’un inconnu vêtu de noir, jusqu’à des affirmations selon lesquelles elle ne savait pas prier correctement le Notre Père ou le Je vous salue Marie, et qu’elle participait à des sabbats. La principale preuve de la culpabilité retenue par le tribunal, qui était composé de bourgeois de Guebwiller, réside dans les aveux que l’accusée a faits sous la torture, aveux sur lesquels elle est revenue ensuite mais qu’elle a réitérés quand elle a été replacée devant les instruments de torture.
Le débat qui suivra l’exposé de Bernard Grunenwald permettra de porter des regards croisés sur l’évolution des mentalités, des lois et des jugements jusqu’à nos jours. Plusieurs intervenants y participeront : Philippe Legin, historien spécialiste de l’abbaye de Murbach et président de la société d’histoire et du Musée du Florival, Germain Sengelin, doyen des juges d’instruction honoraire de Mulhouse, Me Jeanne Roth, avocat au barreau de Mulhouse, et votre serviteur en tant que journaliste et écrivain.
Bûchers et hérésie
Si l’on prend du recul, il faut bien admettre que cette période du Moyen Âge et du début de la Renaissance où l’on brûlait par milliers les malheureux accusés de sorcellerie et d’hérésie est loin d’être une exception dans l’histoire de l’humanité. Dans l’Antiquité, on réprimait déjà les malificieurs diseurs du futur, du temps qu’il fera, et qu’on accusait de rendre impuissant et de faire devenir malades les gens et les bêtes. Avant que l’église catholique romaine ne se serve du diable pour lutter contre la Réforme protestante, elle a persécuté par exemple les minorités juives, les homosexuels et les Cathares pour hérésie. Mais toutes les religions ont toujours eu leurs fous que le fanatisme et l’aveuglement ont conduits à diaboliser et à assassiner ceux qui ne croient pas comme eux. Le massacre en janvier contre Charlie Hebdo et les suivants n’en sont qu’une illustration.
Cependant cela n’est pas seulement une question de dogme religieux et d’hérésie. Cette intolérance sert également des politiques. Aux États-Unis, deux siècles et demi après les sorcières de Salem, le maccarthysme s’est livré à une chasse aux sorcières communistes qui comptaient parmi les victimes Thomas Mann, Bertolt Brecht, Charlie Chaplin, Albert Einstein, Luis Buñuel ou encore Orson Welles.
« Mon cher Jacques… »
À L’Alterpresse68, on a aussi trouvé comme un drôle de clin d’œil que Bernard Grunenwald, qui sera le principal acteur de cette soirée du 27 mars à Guebwiller, a été en 1986 membre d’un comité de soutien à l’une de nos chevilles ouvrières, Bernard Schaeffer. Celui-ci était à l’époque professeur de mathématiques au lycée François-Mauriac de Wittenheim. Il avait été victime d’une scène de chasse aux sorcières car il avait le grand tort d’être militant socialiste et syndical dans cette ville dont le député-maire était à l’époque le RPR Antoine Gissinger. L’édile a réussi à faire virer Bernard Schaeffer en écrivant à son « cher Jacques » : Chirac, qui était alors Premier ministre. Il a fallu dix ans pour que justice soit rendue à notre camarade.
Comme quoi il ne faut jamais complètement désespérer, même si depuis toujours comme le chantait Brassens les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux.
Jean-Marie Stoerkel