Peut-être y a-t-il encore des artistes interprètes, acculés au système D auquel les contraint la dégradation des conditions d’exercice de nos métiers, peut-être y en a-t-il pour ignorer que cette dégradation est une conséquence directe du désengagement constant de l’État qui frise une véritable démission dans sa mission de soutien et de financement de la création artistique, notamment dans les secteurs du spectacle vivant.
Le rétrécissement de nos activités de créations artistiques a donc avant tout des causes économiques. Mais les attaques – on devrait parler de démolition organisée de ce qui a été mis en place dans le service public de la culture depuis la Libération – prennent des formes diverses et d’autant plus dangereuses qu’elles se cachent derrière des considérations apparemment généreuses et démocratiques.
Le Syndicat Français des Artistes (SFA) attire l’attention des artistes interprètes sur les graves dangers qui pèsent sur nos métiers par la programmation croissante de spectacles non-professionnels dans des théâtres, salles diverses, festivals – en lieu et place des spectacles qu’ils avaient coutume, voire mission de programmer et dans lesquels nous exercions nos métiers.
Ce phénomène n’a cessé de gagner en importance ces quinze dernières années, passant d’un rang quasi marginal à une place prépondérante dans la hiérarchie des problèmes auxquels nos professions – et notre syndicat – sont confrontées. Il semble en outre que le phénomène ne cesse de s’accélérer.
Quelques précisions ne sont cependant pas inutiles.
Les salariés défendant leurs métiers sont d’ordinaire taxés de corporatistes par ceux qui ne les voient jamais d’un très bon œil résister et ils tentent toujours de les discréditer (non sans quelque succès !). Nous savons d’expérience combien notre position en la matière est habituellement dénaturée et falsifiée. Soyons donc clairs pour la énième fois.
Les pratiques culturelles sous toutes formes par le plus grand nombre sont une condition essentielle du développement démocratique ; ou pour leur part les pratiques artistiques en amateur concourent à l’épanouissement des individus et doivent être encouragées et développées. C’est un postulat intangible du SFA et de la Fédération du spectacle CGT. Nous le proclamons hautement !
La pratique amateur est légitime
La légitimité incontestable de l’exposition publique des spectacles nés de la pratique en amateur est de ce fait pleine et entière. L’alarme que nous tirons ici vise exclusivement des spectacles non-professionnels utilisés – il conviendrait de dire détournés et dévoyés – par des employeurs et organisateurs de spectacles dans un contexte marchand.
Il devient donc indispensable et urgent de fournir à ces expositions un cadre et un terrain propres afin d’empêcher qu’elles ne fassent l’objet d’exploitations commerciales et n’entrent en conflit avec l’emploi de professionnels.
Le décret qui réglemente aujourd’hui encore ce secteur d’activités date de 1953 et se nomme d’ailleurs décret « relatif à l’organisation des spectacles amateurs et leurs rapports avec les entreprises de spectacles professionnelles. » La préoccupation ne date pas d’hier…
Un décret est devenu depuis longtemps un véritable gruyère
En 2008, une tentative ministérielle de légiférer dans ce domaine a été rapidement remisée après la montée au créneau des organisateurs de festivals amateurs, et le dossier fut enterré. Il vient de resurgir à l’occasion du projet de loi sur le spectacle vivant, promesse du candidat François Hollande, projet de loi dont l’intitulé, l’ampleur et le statut n’ont cessé d’être dégradés et rabougris, passant de « projet de loi d’orientation et de programmation pour la culture » à « loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine », perdant dans ces fluctuations en ambition et en portée démocratique.
Lors de la consultation préalable à son élaboration, la question des pratiques non-professionnelles a sollicité pendant deux années consécutives une réflexion et un travail assidus de notre syndicat et, conjointement avec le Syndicat national des musiciens (SNAM), nous avons formulé des propositions sérieuses, suffisamment intéressantes pour qu’une des plus importantes fédérations de groupements amateurs, la Coordination des Fédérations des Associations de culture et de communication (COFAC), s’y rallie.
Plusieurs réunions se sont déroulées sous l’égide de la DGCA (Direction générale de la création artistique), souvent assez houleuses, opposant en particulier les points de vue des organisateurs de festivals amateurs bretons et des représentants du Puy du Fou à ceux des représentants des syndicats d’artistes de la Fédération du spectacle CGT. On assistait cependant à quelques avancées, mais elles étaient totalement remises en question à la réunion suivante par les formulations écrites du ministère.
Il y a quelques semaines, le projet de loi en question propose soudainement en guise de solution à cette question épineuse son évacuation pure et simple de la rédaction.
La disparition surprenante de la question des pratiques en amateur de la dernière version du projet de loi est particulièrement inquiétante. On ne peut en effet imaginer que l’importance de ce sujet ait tout à coup échappé à la vigilance du ministère.
Disons-le clairement : l’occultation de ce qui a pourtant fait le plus débat dans les consultations préparatoires cache mal un choix libéral, une volonté du « laisser-faire » qui laisserait le champ totalement libre à l’utilisation d’amateurs, constitués en ensembles ou non. Et les artistes de chœur font amèrement le constat qu’ils sont de plus en plus souvent remplacés par des choristes amateurs, les tournages faisant appel à des figurants bénévoles font florès, telle compagnie ou metteur en scène voyage d’une institution à l’autre, reproduisant le même spectacle avec chaque fois des comédiens amateurs locaux…
Recourir à des amateurs: uniquement pour des raisons financières
En 2011, le directeur d’un relais culturel en Alsace annonce, lors de la présentation de saison, que la programmation s’est ouverte davantage aux amateurs, et il en donne la seule et unique raison : les difficultés financières de la structure.
L’aveu, dont on pourrait saluer la sincérité, est intéressant à plusieurs titres : le recours aux amateurs est ici strictement une nécessité pour remplir convenablement la saison, et ne s’encombre pas du fard d’une quelconque «promotion des pratiques amateurs». Le spectacle amateur est donc uniquement une aubaine économique.
Nous pourrions ici affirmer que la programmation de spectacles et concerts non-professionnels ne sont pas une cause de la raréfaction de l’emploi artistique, mais une conséquence : elle constitue en effet la seule manière de répondre aux besoins du public dans un contexte de diminution de moyens et de perte d’ambition en matière de politiques culturelles qui sont les seules racines du problème : les spectacles non-professionnels remplissent le vide laissé par la défection des politiques culturelles en matière de création artistique et l’absence des moyens financiers pour les mener.
Confusion entre pratiques amateurs et professionnelles
La confusion entre pratiques amateurs et professionnelles des arts du spectacle s’accentue fortement dès qu’on s’éloigne des métropoles et particulièrement en milieu rural : en est cause la faiblesse de l’implantation d’artistes professionnels.
Il s’ensuit un isolement dramatique des artistes de métier dont les revendications professionnelles sont totalement incomprises dans ce contexte et sont même inconcevables pour les édiles locaux.
Pour résumer : parallèlement à un encadrement des pratiques non-professionnelles – dont l’obligation de salarier les artistes, amateurs ou non, dès lors qu’ils interviennent dans un contexte commercial – c’est l’exigence de moyens suffisants pour la création artistique, et tout particulièrement dans le spectacle vivant, qui contribuera à résoudre ce problème aussi délicat que crucial.
Si ce double combat n’est pas mené, si nous ne prenons pas conscience du danger, tel ce comédien s’écriant lors d’un débat : « qu’est-ce que vous avez contre les amateurs, j’ai du boulot grâce à eux », l’avenir de nos métiers promet d’être fortement compromis ; ne resterait probablement plus aux artistes interprètes qu’à former les amateurs destinés à les remplacer sur scène !
Ce ne sont pas que nos emplois qui s’envolent, ce sont les pratiques artistiques professionnelles elles mêmes, salariées et déclarées avec fiche de paie et protection sociale afférente (retraite, maladie, assurance chômage) qui sont menacées, en un mot la présomption de salariat.
OUI, il est à craindre, c’est même tout à fait plausible, si nous n’y prenons garde et si nous laissons faire, que, à quelques célébrissimes exceptions près, nous ne soyons prochainement confrontés à la disparition pure et simple des métiers du spectacle en tant que métiers.
Aristide DEMONICO – Daniel MURINGER – Laurent VOITURIN
Ce qui est évoqué dans cette contribution est également valable pour les indépendants, non artistes, mais auteurs divers et variés. Je fais allusion aux graphistes, dessinateurs, photographes pigistes, auteurs divers … qui doivent faire face à une concurrence déloyale de plus en plus envahissante. Les journaux font appel aux correspondants de toutes obédiences, qu’ils payent avec un pourboire. Pour le correspondant, ça lui fait une occupation, dans laquelle il peut exprimer sa passion. C’est fort enrichissant sur le plan personnel certes, mais c’est dramatique pour les vrais professionnels, déclarés avec SIRET et INSEE, qui doivent vivre de leur travail. Les professionnels ont des caisses de retraite, des caisses maladie, des frais professionnels à couvrir, afin de pouvoir exercer en toute légalité et c’est un point important de leur budget annuel. L’amateur est souvent retraité ou travailleur salarié par ailleurs. Ses problèmes de bouclage de budget ne sont absolument pas les mêmes et de plus, cette manière de faire est un coup de poignard dans le dos des professionnels, au sens large du terme. Ces petits points de détail ne sont jamais pris en compte par les instances politiques, syndicales et autres. Pourtant, ils ne sont pas moins importants que les problèmes des salariés d’entreprises diverses et variés.