Mul­house ver­ra donc son désor­mais célèbre et réus­si fes­ti­val des arts de la rue « Scènes de rue » se muer en fes­ti­val pour enfants une année sur deux, sur le prin­cipe d’une biennale. 

Ain­si en a déci­dé Anne-Cathe­rine Goetz, adjointe à la Culture de la cité du Bollwerk. 

L’évènement avait atti­ré 29 com­pa­gnies, et drai­né près de 50 000 spec­ta­teurs lors de son édi­tion 2022. 

Quant à l’édition 2021, elle avait réus­si à réunir quelques 35 000 spec­ta­teurs au sor­tir de mul­tiples confinements. 

On a peine à réa­li­ser la popu­la­ri­té d’un évè­ne­ment cultu­rel de cette dimen­sion, dans une ville qui comp­tait 108 000 habi­tants en 2019, et des frac­tures sociales abys­sales entre habi­tants, selon leur situa­tion géo­gra­phique res­pec­tives et les stra­ti­fi­ca­tions fines entre les quartiers. 

Et comme à l’accoutumée, les argu­ments déli­vrés par la muni­ci­pa­li­té pro­cèdent des mêmes effets : veiller à ce que les admi­nis­trés réitèrent indé­fi­ni­ment leur consen­te­ment à prendre les ves­sies bud­gé­taires pour des lan­ternes culturelles. 

Et cela com­mence par l’argument matri­ciel cen­sé faire ava­ler la cou­leuvre (L’Alsace du 29 novembre) : « Nous tenons à conser­ver du spec­tacle vivant, gra­tuit, dans les rues en été, mais on m’a fait remar­quer que dans Scènes de rue il n’y avait pas beau­coup de spec­tacle pour les enfants et que sou­vent, ils ont du mal à voir ».

Car, bien enten­du, « Dès les pre­miers temps de la vie, les jeunes mul­hou­siens doivent être en contact avec l’art, la culture, je suis très sen­sible à cela. ».

Peut-on orien­ter une poli­tique cultu­relle sur la base de constats aux contours oiseux, et sans même consul­ter les pro­fes­sion­nels inté­res­sés ? Évi­dem­ment, d’autant que le par­ti-pris cultu­rel de la muni­ci­pa­li­té est géné­ti­que­ment modi­fiable : « Nous vou­lons que la culture entre dans l’ADN des Mul­hou­siens », s’esbaudit Anne-Cathe­rine Goetz. 

Le fait est qu’un tel réduc­tion­nisme infan­tile, fon­dé sur une appré­cia­tion arbi­traire, risque bien de déna­tu­rer l’événement, jusqu’à lui faire perdre l’essentiel de son iden­ti­té.

Car la pro­gram­ma­tion du fes­ti­val a tou­jours inté­gré le cirque, les déam­bu­la­tions, le théâtre de rue, la danse et les concerts…

Et de nom­breux spec­tacles accueillent lar­ge­ment les enfants. Scènes de rue est un fes­ti­val fami­lial, aux pro­po­si­tions artis­tiques mul­tiples et poin­tues, à des condi­tions tari­faires, des horaires et dans des lieux qui per­mettent à tous les publics de s’y rendre, une ou plu­sieurs fois. C’est un véri­table ser­vice public de la culture pour toutes et tous.

L’adjointe à la Culture indique au sur­plus que beau­coup d’enfants ne partent pas en vacances à Mulhouse.

Les artistes, très inquiets par les consé­quences de cette refonte, consi­dèrent que beau­coup d’enfants ne ver­raient pas de spec­tacle vivant sans ce festival. 

Car pour eux « Scènes de rue » est « Un fes­ti­val fédé­ra­teur, gra­tuit pour tous les publics, acces­sible, poin­tu et enga­gé dans une démarche locale et natio­nale forte ». Soit un fes­ti­val géné­ra­liste et populaire. 

Ils avancent que lors de la der­nière édi­tion, « sur 23 spec­tacles, gra­tuits, la grande majo­ri­té de la pro­gram­ma­tion est acces­sible au jeune public, et très peu de spec­tacles sont fina­le­ment réser­vés aux plus de 16 ans ». 

Anne-Cathe­rine Goetz agite par ailleurs l’argument d’une modi­fi­ca­tion des usages et de la consom­ma­tion du public, rai­son de plus, selon les artistes mobi­li­sés pour sou­te­nir des entre­prises cultu­relles comme le festival. 

De sorte que lorsqu’elle déclare « Gar­der un fort niveau de pro­po­si­tion, de sup­ports, spec­tacles, livres, expo­si­tions, et ren­for­cer l’intérêt qu’ont les gens pour la culture. Limi­ter les inéga­li­tés entre les diverses classes sociales est éga­le­ment une néces­si­té « , ain­si qu’énoncé dans un article « jour­na­liste d’un jour » publié par L’Alsace le 17 novembre, les artistes se demandent pour­quoi le démem­bre­ment d’un fes­ti­val comme « Scènes de rue » y contribuerait… 

Mais, au fait, pour­quoi ne pas avoir étof­fé la pro­gram­ma­tion jeune public de Scènes de rue, tout en conser­vant le reste ? Se ques­tionne la jour­na­liste de L’Alsace. 

Réponse, aus­si peu sur­pre­nante que la vue d’un comp­table consom­ma­teur de Pro­zac : il s’agit clai­re­ment d’une ques­tion bud­gé­taire. Pla­quée au sol la Culture ! « Scènes de rue, c’est déjà 600 000 € », pré­cise Anne-Cathe­rine Goetz, laquelle recon­nait que « la ver­sion jeune public sera pro­ba­ble­ment moins coû­teuse ».

Les artistes s’inquiètent par ailleurs des annonces récentes du ministre de l’Intérieur Gérald Dar­ma­nin, quant à de poten­tielles annu­la­tions de fes­ti­vals durant les JO de 2024, menaces qui font l’objet d’une péti­tion en ligne, et pour­raient pareille­ment impac­ter « Scènes de rue »…

Se pose évi­dem­ment la ques­tion des emplois. « Com­bien de per­sonnes, salarié·es, intermittent·es, pres­ta­taires risquent de se voir ampu­ter de nom­breuses heures de tra­vail ? Com­bien pour­raient envi­sa­ger de quit­ter Mul­house si les évé­ne­ments cultu­rels du ter­ri­toire se réduisent sai­son après sai­son (Momix, Scènes de Rue…) ? » S’interrogent de nom­breux sala­riés du spectacle. 

Sans comp­ter les effets éco­no­miques induis par quatre jours de spec­tacles pour la ville et ses infra­struc­tures hôtelières. 

Enfin, les com­pa­gnies et artistes contestent la méthode et le calendrier. 

Une agence de conseil est man­da­tée pour réa­li­ser un audit sur la culture à Mul­house. Il s’agit d’une struc­ture pari­sienne (qui d’autre pour réa­li­ser cette pres­ta­tion !), nom­mée « ABCD culture », qui se veut « agence pion­nière et un labo­ra­toire cultu­rel ».

Conseillère pour les plus grandes villes de métro­pole, la socié­té est consti­tuée d’anciens élèves de Sciences po, écoles de com­merce ou d’architecture… Sur les 12 per­sonnes qui semblent consti­tuer l’équipe, deux dis­posent d’une for­ma­tion en matière de poli­tique culturelle. 

La socié­té de conseil est par ailleurs une filiale de « Han­ni­bal Bar­ca groupe ». Rien de tel que les héri­tiers mana­gé­riaux du célèbre géné­ral Car­tha­gi­nois pour écra­ser les couts de la culture de manière éléphantesque… 

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