Réclamée depuis les années 90 par la Fédération du Spectacle CGT, une loi d’orientation de la culture semblait pouvoir enfin se concrétiser en 2012 avec l’annonce par François Hollande d’une loi sur le spectacle vivant, même si l’intitulé recelait déjà un sérieux rétrécissement du champ visé.
Des consultations ont été lancées par le ministère, interrompues notamment par le changement d’équipe gouvernementale, la loi a perdu son caractère d’ « orientation » et a atterri tout récemment sur le bureau de l’assemblée avec l’intitulé : « projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ». La première lecture du texte est prévue le 28 septembre prochain.
Après un premier article qui proclame pompeusement que « la création artistique est libre » – ce qui ne mange pas de pain -, quelques engagements formels sans précision sur le partage des responsabilités entre Etat et collectivités locales, le projet législatif accorde une place disproportionnée à des points non sans importance (« contrats conclus entre un artiste-interprète et un producteur de phonogrammes », « transparence des comptes de production et d’exploitation des œuvres cinématographiques de longue durée », « transparence des comptes d’exploitation » qui occupent à eux seuls plus de la moitié du texte consacré au spectacle vivant et enregistré, le chapitre III, « promouvoir la diversité culturelle et élargir l’accès à l’offre culturelle » limite le sujet à la seule mise à disposition de documents aux personnes handicapés.
Le chapitre IV, « développer et pérenniser l’emploi et l’activité professionnelle », évidemment le plus attendu par les professionnels du secteur en butte à une chute inédite de l’emploi, se contente de trois articles : le premier ajoute l’artiste de cirque et le marionnettiste à la liste des emplois artistiques du Code du travail, le deuxième porte sur l’assimilation des artistes permanents travaillant dans les collectivités territoriales à la fonction publique territoriale, ce qui n’est pas le cadre contractuel le plus avantageux, et un troisième fait obligation aux entrepreneurs de spectacles vivants de communiquer au ministère des données sur les représentations qu’ils organisent.
Il est peu probable que cela réponde aux urgences formulées par les artistes et techniciens du spectacle vivant et enregistré … La présidente UDI de la commission Culture, Éducation et Communication du Sénat déclare elle-même : « Nous notons que le projet de loi très attendu relatif à la création, à l’architecture et au patrimoine est une “loi tiroir” qui comporte un certain nombre de dispositions sectorielles attendues mais qui n’engage pas un vrai travail de fond. Il n’y a rien sur le patrimoine immatériel et rien sur l’enseignement et l’éducation artistique ».
Mais la colère des professionnels se porte avant tout sur un autre aspect du texte de loi, qui confine en outre à une réelle manipulation.
Une des attentes des professionnels, lors la rédaction du texte, portait sur la nécessaire réactualisation d’un décret de 1953 qui encadrait les pratiques en amateur dans le spectacle.
La question de l’utilisation d’amateurs dans des spectacles à caractère lucratif n’a pas cessé de revêtir une importance croissante ces dernières années (cf. …). Elle a fait l’objet de plusieurs séances (difficiles) de consultation à la DGCA (Direction Générale de la Création Artistique). Aussi, c’est avec étonnement que les syndicats du spectacle découvrent que le sujet a tout bonnement … disparu du texte de loi ! Après protestations, le ministère annonce qu’il sera réintroduit sous forme d’amendement déposé par le gouvernement…
COMMENT UN PETIT PARAGRAPHE PEUT DETRUIRE LA « SOCIETE SALARIALE »
La stupeur fait place à l’étonnement : l’amendement gouvernemental reprend en bonne part des éléments acceptables et acceptés par les syndicats (reprenant d’ailleurs en bonne part leurs propres propositions de rédactions), mais en y ajoutant le perfide paragraphe suivant :
« Par dérogation aux articles L. 7121‑3 et L. 7121‑4 du code du travail, les structures de création, de production, de diffusion, d’exploitation de lieu de spectacle visées aux articles L. 7122‑1 et L. 7122‑2 du code du travail peuvent faire participer des artistes amateurs à des représentations en public d’une œuvre de l’esprit sans être tenues de les rémunérer, dans la limite d’un nombre de représentations par an, défini par voie réglementaire, et dans le cadre d’un accompagnement de la pratique amateur ou d’actions pédagogiques et culturelles ».
La proposition de la Fédération du Spectacle CGT stipulait pour sa part que :
« Lorsqu’un amateur ou un groupement d’amateurs participe à un spectacle organisé dans un cadre lucratif, ce spectacle est réputé acte de commerce. Leur prestation relève des articles L.7121–3 et L.7121–4 du code du travail. Les artistes amateurs reçoivent une rémunération au moins égale au minimum conventionnel du champ concerné ».
Il est de la plus haute importance de prendre la mesure de ce qui est ici en jeu, en l’occurrence, la présomption de salariat des artistes du spectacle : car la porte est désormais ouverte pour remettre en question le statut salarial de manière générale et avec lui, l’ensemble de la protection sociale. Le rêve de Macron et du MEDEF devient réalité …
Daniel Muringer