Michel Sordi ne se représente plus aux législatives. Il ne répond plus aux questions qu’on lui pose. Le silence qu’il s’impose ces dernières semaines et l’omerta qu’il impose depuis toujours ne suffiront pas à nous faire renoncer à nos investigations. Surtout s’agissant d’un dossier de l’importance de celui de Stocamine, qu’un préfet veut enfouir fissa sous des tonnes de bentonite, au fond d’un trou.
Grossier bobard
Dans la région, le député-maire de Cernay est surtout connu pour un amendement auquel on a donné son nom. Cet “amendement Sordi“, composé de treize mots, date de février 2004. Avant cet amendement, il était prévu que le stockage des déchets au fond de l’ancienne mine de potasse Joseph Else à Wittelsheim devait être réversible. C’était la loi. Il a fait changer cette loi : après cet amendement, l’irréversibilité, c’est à dire le stockage pour l’éternité, devenait une option légale dont s’est saisi le préfet du Haut-Rhin, 13 ans après. Le représentant de l’État vient en effet de décider qu’un sarcophage va bientôt recouvrir définitivement ces déchets hautement toxiques, pour, du même coup, ensevelir des produits qui peut-être se trouvent là alors qu’ils ne devraient pas y être, et cacher à jamais des indices qui auraient pu confirmer les responsabilités dans l’incendie qui s’est déclaré en 2002.
13 ans, donc, se sont écoulés entre le vote de “l’amendement Sordi” et son effet recherché. Comble d’hypocrisie : le député n’a jamais publiquement reconnu les véritables raisons qui l’ont poussé à déposer son amendement en 2004. Pire : ces raisons, il les a niées en avançant un bobard si grossier qu’il aurait dû être perçu comme l’aveu d’une entourloupe minable. Comble de misère politique et démocratique : le député est resté crédible en se faisant régulièrement réélire.
C’est sur son blog que vous pourrez trouver le prétexte mis en avant par Michel Sordi. S’il a pondu cet amendement, ce n’était “pas pour autoriser le stockage illimité au fond, mais [pour ouvrir] la possibilité d’un débat“, ose-t-il affirmer en juin 2011. Cynique et misérable à la fois. Une énormité qu’aucune “expertise” – et il y en a eu ! – ne soulignera par la suite.
Une enquête parlementaire dès juillet
Emmuré dans son silence, Michel Sordi n’a évidemment pas commenté publiquement la décision préfectorale prise le 23 mars 2017 contre l’avis de presque tous les élus et de tous les citoyens qui se sont exprimés dans tout l’éventail politique. Il savoure sa victoire discrètement. Il a réussi son coup, apparemment seul contre tout le monde.
Seul ?… Citoyens ! Soyons donc un peu plus curieux et exigeants : la main du préfet rédigeant son arrêté en mars dernier a été actionnée par qui ? Cherchons un peu, il y a sûrement des découvertes à faire ! Poursuivons donc l’enquête menée depuis près de deux décennies.
Il paraît que nous traversons une phase de moralisation de la vie publique. En tout cas, il est avéré que nous sommes en campagne électorale pour les législatives. Profitons-en : demandons à tous les candidats haut-rhinois, et au-delà si possible, si oui ou non leur conception de la morale politique les incite, ici et maintenant, à s’engager, sitôt élus, à cosigner et à déposer devant la nouvelle Assemblée Nationale une résolution visant à créer une commission d’enquête parlementaire.
Rien que pour lever un peu le voile sur la genèse et les inspirateurs de l’ “amendement Sordi“, les députés membres de cette commission auront de quoi faire !…
L’épisode Séché
Il faudra leur suggérer d’approfondir d’autres aspects du dossier. En particulier les aspects politiques, que commanditaires et savants auteurs de longs rapports ont soigneusement évités… précisément pour des raisons politiques ! En écartant, ce faisant, les faits les plus éclairants et les plus décisifs. Ceux qui composent l’ épisode Séché en font partie :
Séché Environnement, société spécialisée dans le traitement et le stockage de déchets, achète en avril 2002 environ un tiers du capital public de Stocamine (via l’achat de Trédi, une filiale de la holding publique EMC/Trédi/MDPA/Stocamine). Jospin privatisait à tour de bras à l’époque. Séché salive : bingo !, il y a du potentiel et des profits à faire avec Stocamine. Puis Séché panique : patatras !, quelques mois plus tard, en septembre 2002, un incendie éclate au fond de la mine où la société cherchait à enfouir à tout va, usant de son statut intimidant d’actionnaire de Stocamine. Des “manquements graves et répétés [de la part de Stocamine, au regard des règles d’enfouissement]…” est-il écrit dans un jugement du TGI de Mulhouse en janvier 2007, “… traduisent la volonté d’accepter à tout prix les déchets adressés à Stocamine par l’un des actionnaires principaux [Séché]“. Le procureur l’avait souligné lors de ses réquisitions : “dès l’arrivée de Séché Environnement dans le capital [de Stocamine], il y avait une pression plus forte sur les résultats”.
Après cet incendie qui a duré plus de deux mois, la situation est si grave qu’une exploitation profitable de Stocamine n’est plus envisageable. Comment faire pour éviter d’assumer ses responsabilités dans ce désastre économique et écologique ? Se tirer, voyons !
Séché réussit alors, en 2004, une prouesse politico-juridique de haute volée. Les “experts” et autres “commissaires enquêteurs”, dans leurs rapports, n’ont jamais su (osé ?) mesurer l’ampleur des complicités et des talents requis pour cette opération : Séché est en effet parvenu à refourguer à EMC – à qui elle les avait achetées deux ans plus tôt – toutes ses actions Stocamine. Pour 1 euro (1€). Oui, 1 euro ! A priori, pour Séché, l’affaire est désastreuse. Mais réussir à refiler à son ancien propriétaire ce désormais monstrueux mistigri et tous les passifs, juridiques, écologiques et économiques qui vont avec, relève d’une performance qui devrait épater les députés de la commission parlementaire qui vont enquêter.
Si ils osent le faire. Car les questions à se poser les rendront hésitants : qui sont donc les complices que Séché a su convaincre pour réussir sa stupéfiante extirpation de l’enfer de Stocamine ? Et comment Séché les a-t-elle convaincus ? Une partie au moins de ces complices devaient se trouver dans la sphère publique. Au gouvernement ? Parmi les élus locaux influents ? Dans les rangs de la haute fonction publique ? Ou ailleurs encore ? Quelles sont les actions que M. Sordi a conduites pour empêcher cette scandaleuse dérobade de Séché ?
Un autre élément des tractations qui se sont déroulées en 2004 mérite attention. Les recherches citoyennes déjà menées ont permis de découvrir un “protocole d’accord transactionnel” associé à la cession à EMC pour 1 euro des titres détenus par Séché. Ce protocole, est-il précisé, “a pour principal objectif de limiter les possibilités de recours en recherche de responsabilité“. Bref, la société Séché a reçu dans l’échange bien plus qu’1 euro : on l’a dotée d’un pouvoir d’intimidation qui a pu orienter les analyses soit-disant techniques des différents rapports qui se sont succédés. Pour les guider vers des conclusions “souhaitées” ? Voilà un champ d’investigation qui devrait stimuler les députés/enquêteurs, ardents partisans – qu’ils seront sûrement !? – d’une moralisation de la vie publique : quel était donc le degré de moralité du contenu, et des conclusions, des nombreux rapports qui ont alimenté au fil des ans le dossier Stocamine ?!
A la même époque, un autre événement survient : c’est au début de cette année 2004 que le député Sordi a fait voter son génial amendement. Ça tombait bien, non ? Il y avait alors de quoi prescrire des conclusions “souhaitables”…
Le (bref) épisode Rol-Tanguy
Quand Francis Rol-Tanguy a été nommé en 2013 délégué interministériel chargé de la fermeture et de la reconversion du site de Fessenheim, M. Sordi a adressé un courrier rageur au Premier ministre, J.M. Ayrault. Visiblement, le député a très mal vécu le fait qu’en arrivant dans le Haut-Rhin, le délégué interministériel a fait savoir qu’il allait s’intéresser aussi au dossier Stocamine.
Sur son blog, en juin 2013, Michel Sordi s’emporte : “confier à M. Rol-Tanguy la médiation du dossier Stocamine en plus de la fermeture de la centrale de Fessenheim, c’est négliger chacune des deux missions. Celles-ci méritent chacune qu’on s’en occupe à temps plein !” et ajoute, comminatoire : “il serait grand temps que l’exécutif mette fin au mélange des genres autour des fonctions de M. Rol-Tanguy“.
…Et l’exécutif s’est exécuté ! En octobre 2013, sur le blog du député, le ton est beaucoup plus serein : dans un communiqué, parlant de lui à la 3ème personne, M. Sordi fait savoir que : “Le député Michel Sordi a appris par la presse le remplacement de M. Rol-Tanguy au poste de délégué interministériel à la fermeture de la centrale nucléaire et à la reconversion du site de Fessenheim“, et rappelle l’existence d’un “courrier du ministre M. Martin, en date du 10 septembre 2013, dans lequel il remettait à sa place M. Rol-Tanguy qui s’était immiscé dans le dossier Stocamine“.
Le député UMP M. Sordi est donc parvenu, en 4 mois, à convaincre le gouvernement socialiste de le débarrasser de F. Rol-Tanguy. Officiellement parce que le délégué interministériel a été jugé incapable de gérer son temps en inscrivant deux tâches à son agenda. Sérieusement, quelle est donc la véritable raison ?
En interrogeant F. Rol-Tanguy lui-même, l’enquête pourrait vite progresser. Sauf s’il renonce à décrire le rapport de forces et ses soubassements qui ont amené des ministres à soutenir M. Sordi dans sa volonté d’imposer l’omerta sur le dossier Stocamine.
En tout cas, la manière dont F. Rol-Tanguy répond à (la fin d’) une interview en mars dernier (vidéo de 6 minutes, cliquez ici) montre que l’enfouissement des déchets (nucléaires), ce n’est vraiment pas son truc.
Liquidation bâclée et salée
La question du financement n’a jamais empêché l’aggravation du dossier Stocamine au cours des ans, bien au contraire. Dans la mesure où les acteurs se sont toujours arrangés pour que l’argent soit d’origine publique et où les élus et administrateurs qui le gèrent vont puiser dans les caisses autant que nécessaire dès lors que l’objectif visé est présenté de manière rassurante et conforme à la doxa libérale.
Les sommes en jeu sont considérables, cela n’a jamais été souligné. Ainsi, dans un rapport sur le projet de loi de finances pour 2006 le député H. Novelli signale une dette de l’EMC de 1,1 milliard (oui, milliard) d’euros en janvier 2005. Une dette fourguée à l’Etat puisque les députés décident alors la liquidation de l’EMC. D’autres sommes sont évoquées dans ce rapport ; on jongle avec les dizaines, voire les centaines de millions d’euros… Pas une seule intervention du (ou des) député(s) haut-rhinois le(s) plus concerné(s) n’est signalée sur ce point de l’ordre du jour. Tous les députés ont voté, très vite, sans rechigner. Certain(s), sans doute, avec soulagement : les dégâts de Stocamine sont compris dans l’addition, y sont enfouis même, pourrait-on dire. Sachant que la plus grande partie de ces dégâts ont été planqués dans les comptes de la filiale MDPA – placée d’office sous la tutelle de l’Etat, lequel, bien sûr, va payer – dont la liquidation avait été programmée à une date ultérieure.
Des embrouilles et des montages financiers qui ne vont pas faciliter la tâche des futurs parlementaires/enquêteurs qui devront faire preuve de beaucoup de discernement et… de courage politique. D’autant que leurs prédécesseurs siégeant en 2005 ont prévu que les paiements devaient se poursuivre à caisses ouvertes aussi longtemps que nécessaire. La liquidation de l’EMC, prévue sur trois ans, durera en réalité 7 ans, jusqu’en 2012.
La cour des comptes épinglera le cabinet August & Debouzy, liquidateur qui aura perçu 3,3 millions d’honoraires sans demander de visa préalable au contrôleur. Etonnement du ministre des finances en juillet 2013 qui reconnaîtra qu’il n’est “pas en mesure d’apprécier le rapport entre les honoraires versés et la réalité du travail d’August & Debouzy“.
C’est encore moins clair qu’au fond de la mine !
Une résolution sans effet. En voilà une autre !
Francis Hillmeyer, le député UDI haut-rhinois d’une circonscription voisine de celle de M. Sordi a cherché, lui, à y voir plus clair. Il a été, et reste, partisan d’extraire tous les déchets du fond du trou. Et d’en extraire aussi toute la vérité. Il a eu plus de chance que F. Rol-Tanguy, puisque son collègue Sordi ne lui a pas reproché (du moins officiellement) d’encombrer son emploi du temps à se mêler de ce qui ne le regarde pas.
F. Hillmeyer avait présenté en mars 2005 à l’Assemblée nationale une “proposition de résolution” “tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions dans lesquelles les Mines De Potasse d’Alsace puis la Société SECHE ont créé et conduit l’exploitation du site de stockage souterrain Stocamine à Wittelssheim, sur les causes et les conséquences de l’incendie de ce site, sur le projet de « sarcophage » dans lequel on veut à présent murer ce site, et sur les conséquences financières de ce désastre“. In fine, sa démarche n’a pas été plus fructueuse que celle de F. Rol-Tanguy : la commission d’enquête n’a pas rendu de conclusions connues. A-t-elle seulement été créée ? Rien ne l’indique.
Bizarre, non ?… On ne peut quand même pas supposer que M. Sordi aurait réussi à empêcher cette commission de travailler ?! Que s’est-il donc passé pour que les députés se dérobent en mars 2005 ?…
Voilà un mystère supplémentaire qui nous incite à insister : il faut absolument que les élus créent une commission d’enquête dès le début de la session de juillet prochain. Pour accélérer le processus, et pour s’inscrire dans la phase de moralisation/démocratisation actuelle, L’Alterpresse68 publiera rapidement dans ses colonnes un projet de texte de “proposition de résolution” avec un “exposé des motifs”, dans les règles de l’art, quoi.
Le tout sera fortement inspiré de ce que F. Hillmeyer avait rédigé en 2005. Il suffira d’actualiser le propos. L’Alterpresse68, et, espérons-le, de nombreux citoyens, demanderont ensuite à tous les candidats s’ils s’engagent – ou pas – sur la base de la “proposition de résolution“, à solliciter, s’ils sont élus, la création d’une commission d’enquête parlementaire. En priant simultanément le préfet du Haut-Rhin de surseoir à ses pernicieuses intentions, dont les motivations et les origines restent, pour l’instant, douteuses. Précisons à ce sujet que le collectif “Déstocamine“ a projeté de déposer un recours en référé-suspension contre l’arrêté préfectoral du 23 mars 2017. Espérons que cette démarche va aboutir.
On espère aussi que des contributions et des enquêtes citoyennes apporteront sans tarder des éléments que les parlementaires/enquêteurs pourront prendre en compte. Car il ne faut pas être naïf : livrés à eux-mêmes, sans exigences fortes et permanentes de “ceux d’en bas”, nos futurs députés ne seront pas plus efficaces et moraux que leurs prédécesseurs.
L’équipe de L’Alterpresse68
Le 29 mai 2017
Lectures annexes
A lire si vous ne les avez pas encore lus – ou à relire – les 4 premiers articles de la série “Dossier Sordi“. Ils fournissent le contexte, passé et présent (car ces publications ont déjà produit des effets), qui éclaire le 5ème article publié ci-dessus :
Dossier Sordi : on l’approfondit ! (8 mars 2017)
Dossier Sordi : les 7 questions posées au député (22 mars 2017) (le contenu de cet article a fait l’objet d’un envoi à la HATVP)
Dossier Sordi : le député laisse béton ?! Nous pas ! (27 mars 2017)
Dossier Sordi : missions spéciales et mutisme spécieux (18 avril 2017) (avec un résumé des épisodes précédents contenant des liens menant à une vidéo de France 2 et à quelques documents utiles pour comprendre ce qui s’est passé récemment)
La “proposition de résolution” demandant la création d’une commission d’enquête parlementaire a été publiée le 29 mai 2017 dans un article qui la présente. Pour consulter cet article, cliquez sur le lien suivant :
Pour une enquête parlementaire sur le dossier Stocamine (29 mai 2017)
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