D’r Jonathan ìsch a verdàmmter Stettkopf ! Wenn ‘r ebbiswìll vu ebr’m, losst ‘r verdüsch mi nìt luk bis àss ma nohgìtt !

La ténacité et l’opiniâtreté de Jonathan ont eu finalement raison de mes réserves à entreprendre la traduction de « Heimat untrem Hakenkreuz » (« la Heimat sous la croix gammée ») pour laquelle il me relança à plusieurs reprises. J’ai finalement cédé, et il me faut avouer que je ne le regrette pas, le travail en valait la chandelle.

J’ai ainsi découvert, aussi intimement que le permet et l’exige la nécessité de traduire, ce curieux ouvrage édité par les cheminots CGT d’Alsace-Moselle en 1953, dédié et consacré à la mémoire de la résistance essentiellement cheminote dans la région et à sa figure emblématique, Georges Wodli.

Curieux, parce que non seulement il est composé d’éléments épars, aussi inédits qu’intéressants, mais également parce qu’il pose de nombreuses questions.

La pre­mière d’entre elles m’a été posée par plu­sieurs per­sonnes, dont nombre d’étrangères à la région, et qui se sont éton­nées, lorsque j’évoquais le tra­vail en cours : pour­quoi est-on obli­gé de tra­duire en fran­çais un livre édi­té en 1953 en Alsace par des Alsa­ciens, donc en France et par des res­sor­tis­sants fran­çais et sup­po­sés être, de par cette qua­li­té, francophones?

Et qui plus est, une tra­duc­tion de l’allemand, la langue de l’ennemi mor­tel, alors que l’ouvrage a pré­ci­sé­ment pour sujet le com­bat contre ce der­nier : à l’œuvre ici bien évi­dem­ment, l’équation alle­mand= nazi, tou­jours opé­rante, comme cette autre qui fait de tous les Suisses des ban­quiers en puissance !

D’autres encore ont pen­sé qu’il s’agissait de tra­duire de l’alsacien, un peu comme si cela eût consti­tué un moindre mal.

Il est inquié­tant qu’on ne sache pas davan­tage que, pour toute cette géné­ra­tion d’Alsaciens et de Lor­rains thiois, ain­si que pour les pré­cé­dentes, la langue écrite était l’allemand. Cer­tains, moins ignares, sont convain­cus que l’usage de l’allemand aurait été impo­sé aux Alsa­ciens, qui, si on les avait lais­sés tran­quilles, par­le­raient «  de par nature » fran­çais… On en est, hélas, encore là, alors que c’est au contraire l’usage exclu­sif du fran­çais auquel ils ont été contraints !

Ne sait-on pas plus que cela que l’allemand stan­dard était, pour nos grands-parents – et même encore pour nos parents – la langue écrite, et ce, non parce qu’imposée par les Alle­mands, mais qu’il en est ain­si depuis des siècles ?

La défense du bilin­guisme appa­raît à plus d’une occa­sion sous la plume de Georges Wodli, dont sous la forme d’un vibrant plai­doyer pour le bilin­guisme dans un des tracts de l’Humanité clan­des­tine, les langues de Goethe et de la Mar­seillaise, dit-il.

« Nach dem fre­chen Ver­bot der franzö­si­schen Sprache durch die Hit­ler-Tyran­nen, nicht wie­der die Verküm­me­rung der deut­schen Sprache, die nun ein­mal die Schrifts­prache eines gros­sen­Teiles unse­rer Bevöl­ke­run­gist, durch die Prä­fek­ten des franzö­si­schen Impe­ria­lis­mus, des­sen Füh­rende Poli­ti­ker uns jetzt pro­test­los Hit­ler preisgeben ».

« Après l’insolente inter­dic­tion de la langue fran­çaise par les tyrans hit­lé­riens, pas à nou­veau de dégra­da­tion de la langue alle­mande, qui est tout sim­ple­ment, et il en est ain­si, la langue écrite d’une grande par­tie de notre popu­la­tion, par les pré­fets de l’impérialisme fran­çais, dont les prin­ci­paux poli­ti­ciens nous aban­donnent pour l’heure sans pro­tes­ter à Hitler. »

Sur les treize points du pro­gramme pro­po­sé par le Par­ti com­mu­niste d’Alsace-Lorraine en vue de consti­tuer un « Hei­mat­front » , parus dans un tract de l’Humanité à des­ti­na­tion des catholiques,imprimé à Paris en 1941 ou 42, figure au onzième rang la proposition :

« Ver­wirk­li­chung einer tatsä­chli­chen Gleich­be­rech­ti­gung der bei­den Spra­chen im öffent­li­chen Leben, mit dop­pel spra­chi­gem Schu­lun­ter­richt, aus­ge­hend von der Mut­ters­prache des Kindes ». « Concré­ti­sa­tion de l’égalité effec­tive des droits des deux langues dans la vie publique avec ensei­gne­ment bilingue, à par­tir de la langue mater­nelle de l’enfant ».

Le fait que ce résis­tant de haut vol ait pu se pré­oc­cu­per, au milieu d’un com­bat sans mer­ci contre des forces redou­tables d’asservissement et de des­truc­tion, de ques­tions lin­guis­tiques aus­si « futiles » – vu de Paris, bien enten­du – ne man­que­ra pas de plon­ger plus d’un dans la per­plexi­té : ceux-ci oublient ou ignorent que la ques­tion a figu­ré au pre­mier rang des pré­oc­cu­pa­tions poli­tiques dans l’Alsace de l’entre-deux-guerres.

Et le juge­ment n’est pas sans me rap­pe­ler la remarque que m’a faite une mili­tante de « gauche-de-gauche » à pro­pos du carac­tère indé­cent que revê­tait le fait de se pré­oc­cu­per aujourd’hui des ques­tions de droits lin­guis­tiques en France et en Alsace alors qu’ « il y a tant de pro­blèmes plus impor­tants » : chô­mage, misère, salaires, retraites, ou encore la ques­tion kurde (sic) : impos­sible de lui faire com­prendre que l’oppression et la spo­lia­tion sont multiformes…

*

Pour­quoi ce livre?

Pour­quoi, à l’occasion du dixième anni­ver­saire de l’exécution de Georges Wodli par les nazis en 1943 à Stras­bourg, ses anciens cama­rades avaient-ils éprou­vé le besoin de publier un tel livre ? Peut-être sen­taient-ils que l’œuvre d’effacement mémo­riel était déjà en cours ? Leurs craintes se ne sont pas avé­rées sans fon­de­ment : le 8 mai der­nier (2018), lors de la céré­mo­nie com­mé­mo­rant l’écrasement du nazisme, un vété­ran de l’armée fran­çaise a conseillé à Emma­nuel Macron, en lui ser­rant la main : « Si je peux me per­mettre, soyez très ferme avec tous ces gau­chos de la poli­tique qui ne veulent que foutre la merde. Le fait que les « gau­chos » en ques­tion ont été les cibles prin­ci­pales des régimes fas­cistes, et ce, de part et d’autre du Rhin,  et qu’ils ont consti­tué le fer de lance de la résis­tance à ceux-ci est bien en cours de relé­ga­tion aux oubliettes de l’histoire et la dimen­sion essen­tiel­le­ment anti­po­pu­laire de la lutte contre le nazisme a été réduite avec le temps à un pur affron­te­ment natio­nal et chau­vin, nour­ris­sant une ger­ma­no­pho­bie qui n’en avait pas besoin,pour en occul­ter entiè­re­ment le carac­tère « de lutte de classes ».

Le livre des che­mi­nots AL (Alsace-Lor­raine, selon le sigle de l’époque) de 1953 est pour­tant expli­cite en bien d’endroits sur la col­lu­sion entre la bour­geoi­sie fran­çaise et le pou­voir hit­lé­rien –com­pli­ci­té qui reste encore aujourd’hui à étu­dier et à élu­ci­der – (1) ; il revient sur les moti­va­tions poli­tiques des « Müni­chois », s’interroge sur les rai­sons du carac­tère chao­tique de l’évacuation, puis de la ful­gu­rante débâcle mili­taire, celle que Marc Bloch nom­mait  « l’étrange défaite ». Des constats qui tendent à indi­quer qu’elle a été pré­pa­rée de l’intérieur.

 

Tra­duire de l’al­le­mand vers le fran­çais: pas qu’une ques­tion de mots…

La tra­duc­tion de l’ouvrage s’est heur­tée à quelques dif­fi­cul­tés, à com­men­cer par le pre­mier mot : « Hei­mat ». « Patrie » ? Trop viril, trop guer­rier, alors que « Hei­mat » , mater­nel, ne cor­res­pond aucu­ne­ment, car le terme ren­voie à l’ensemble plus large de « nation fran­çaise », ce qui est inexact ici, puisqu’il s’agit de la stricte Alsace-Moselle, voire par­fois d’un espace encore plus res­treint : quand René Birr l’utilise dans sa der­nière lettre aux parents, c’est pour par­ler d’un pay­sage fait de che­va­lets de mines, de fila­tures le long de l’Ill avant Col­mar, en fait, son vil­lage de Régui­sheim et les alentours.

À défaut d’un équi­valent adé­quat en fran­çais,  la moins pire des solu­tions s’est impo­sée :gar­der « Hei­mat » tel quel, au moins pour le titre.

Peut-être bien que Hei­mat est à l’exact oppo­sé de Patrie !

Des expres­sions et des for­mules par­fois obs­cures se sont trou­vée­sen tra­vers du che­min. Impu­tables à des rac­cour­cis de lan­gage, des réfé­rences à un contexte encore intel­li­gible à l’époque de la rédac­tion de l’ouvrage mais plus aujourd’hui, ou dus à une lan­gueé­cri­te­non maî­tri­sée, des alsa­cia­nismes, parfois.J’ai buté ain­si un bon moment sur un « aus­mer­glen » (exté­nuer, érein­ter) parce qu’écrit avec un « k » au lieu d’un « g », ambi­guï­té consé­cu­tive au phé­no­mène, propre à l’alémanique, de neu­tra­li­sa­tion de l’opposition de sono­ri­té des consonnes qui indif­fé­ren­cie pho­né­ti­que­ment les couples p/b, t/d, k/g en alsacien.

Très vite est appa­rue la néces­si­té de rédi­ger des notes expli­ca­tives, pour rendre compte de notions qui en 1953 fai­sait encore par­tie d’un vécu très proche.

Il a fal­lu retrou­ver et déve­lop­per la foul­ti­tude des orga­ni­sa­tions para-nazies évo­quées dans l’ouvrage uni­que­ment sous leurs sigles, ou encore  expli­ci­ter le jar­gon nazi et l’inextricable fouillis des grades admi­nis­tra­tifs et mili­taires propres à la SA ou SS, dif­fé­rents de l’armée régulière.

L’ac­ti­vi­té résis­tante en Alsace-Lorraine

L’ouvrage n’est pas, et de loin, entiè­re­ment consa­cré à Georges Wodli, même si sa figure et son évo­ca­tion appa­raissent régu­liè­re­ment au fil des pages. C’est de l’ensemble de l’activité résis­tante en Alsace-Lor­raine dont il est ques­tion, essen­tiel­le­ment ouvrière, sans être exhaus­tif sur le sujet.

Le livre est à peu près chro­no­lo­gique : éva­cua­tion, retour du sud-ouest, début de la résis­tance dans les dif­fé­rents centres fer­ro­viaires. Puis des élé­ments un peu épars, dont un dis­cours du maré­chal Sta­line du 3 juillet 41, des éclai­rages par­ti­cu­liers, notam­ment sur la résis­tance dans la haute-val­lée de la Bruche et un grand nombre d’anecdotes par­ti­cu­lières, par­fois non dépour­vues d’humour.

Les hor­reurs com­mises par les nazis, notam­ment au fort de Queu­leu et au Stru­thof sont ample­ment évo­quées. Un cha­pitre inti­tu­lé « Les traîtres à l’œuvre », dont beau­coup de « Ein­hei­mi­schen », des autoch­tones, un autre sur des des­tins par­ti­cu­liers et par­fois inso­lites de détenus.

Pour finir, une série de courtes bio­gra­phies, après celle de Jean Bur­ger, accom­pa­gnées de por­traits pho­to­gra­phiques, de che­mi­nots résis­tants, essen­tiel­le­ment mosel­lans, ce qui tend à mon­trer que le col­lec­tage de docu­ments et de témoi­gnages et l’appel à contri­bu­tions pré­cé­dent la concep­tion de l’ouvrage s’est vrai­sem­bla­ble­ment effec­tuée de manière inégale sur les trois départements.Sans doute était-il dif­fi­cile d’organiser une recherche de contri­bu­tions plus sys­té­ma­tique, qui auraient per­mis de recueillir nombre de nar­ra­tions indi­vi­duelles aujourd’hui défi­ni­ti­ve­ment per­dues et leurs sources taries.

Beau­coup de récits et anec­dotes sont réel­le­ment savou­reux et cap­ti­vants, et on vient à regret­ter qu’ils soient trop courts.

En marge du texte figurent de nom­breux docu­ments, pho­tos, repro­duc­tions de jour­naux clan­des­tins, dont des « Huma­ni­té »et des numé­ros du« Freie­Ge­werk­schaft­ler », « le syn­di­ca­liste libre ».L’alternance des deux types de docu­ments montre que la fron­tière entre syn­di­ca­lisme et poli­tique était très mince, voire qua­si inexis­tante pour les édi­teurs de l’ouvrage.

Ce qui frappe, c’est la lon­gueur des rédac­tions, ain­si la remar­quable adresse de Wodli aux catho­liques d’une éton­nante acui­té poli­tique, sous forme de tract de plu­sieurs pages, clan­des­tins, en outre (com­pa­ré à la briè­ve­té des tracts d’aujourd’hui !)

On trouve éga­le­ment des textes et docu­ments offi­ciels éma­nant de l’occupant nazi, dont des consi­dé­ra­tions tara­bis­co­tées sur l’appartenance natio­nale des Alsa­ciens-Lor­rains ou une enquête sur l’état d’esprit de la population.

Le « Freie­Ge­werk­schaft­ler »donne des infor­ma­tions éma­nant de diverses entre­prises du nord au sud, infor­ma­tions pro­ba­ble­ment recueillies et relayées par des che­mi­nots, en rai­son de leur mobilité.

On trou­ve­ra éga­le­ment l’émouvanteultime lettre de René Birr à ses parents, le sub­til dis­cours de l’ex « socia­liste » Mersch en faveur de la mobi­li­sa­tion de l’Alsace pour le Reich,  pré­fi­gu­ra­tion du détour­ne­ment popu­liste et déma­go­gique des concepts de conscience de clas­se­tel qu’on les ren­contre aujourd’hui dans la nou­velle mou­ture de l’extrême-droite française.

Dans un cha­pitre inti­tu­lé « des­tins », se trouvent d’intéressants récits de ren­contres avec des pri­son­niers dont les moti­va­tions de résis­tance sont mul­tiples et com­plexes, par­fois intéressées.

Régu­liè­re­ment, dans divers tracts, on exhorte les incor­po­rés de force à déser­ter et à rejoindre l’Armée rouge qui, disent-ils, les accueille­ra à bras ouverts ; il convient de modé­rer tou­te­fois cet opti­misme, car nous revient imman­qua­ble­ment ici en mémoire le récit de Léon Heyer, de Gueb­willer, qui savait, en mar­chant les bras en l’air vers la forêt qui abri­tait les par­ti­sans bié­lo­russes aux côtés des­quels il ter­mi­na la guerre, qu’il avait une chance sur deux d’être abattu…

À noter encore une inté­res­sante lettre manus­crite d’un gar­dien SS d’origine slave que j’ai pris l’initiative de tra­duire (après un labo­rieux déchif­frage !), de peur de la voir pas­ser défi­ni­ti­ve­ment à la trappe, « Ach­tung, ach­tung, hier spricht der SS Mann… », qui dénonce les petits tra­fics quo­ti­diens aux­quels se livrent de bas en haut la hié­rar­chie mili­taire du camp du Struthof.

*

Il y a de grandes dif­fé­rences de style d’écriture, indi­ca­teurs d’une rédac­tion à plu­sieurs mains pour la plu­part ano­nymes: à côté d’un lan­gage sté­réo­ty­pé et pous­sié­reux, on croise des expres­sions très per­son­nelles et avec des nar­ra­tions d’une indé­niable qua­li­té lit­té­raire : ain­si, une ambiance qua­si de roman poli­cier pour racon­ter une pre­mière réunion clan­des­tine, ou des lignes poé­tiques comme :

Cela fai­sait déjà long­temps que les ombres ves­pé­rales des ver­sants sombres et boi­sés de la val­lée s’étaient cou­chées sur le camp comme un doux et fami­lier manteau.

Les pas régu­liers des sen­ti­nelles remuaient le gra­vier concas­sé le long des bar­be­lés en le fai­sant crisser.

Puis vint ce dimanche matin, terne et humide en juin. De la val­lée grise et emplie de brume mon­tait la réso­nance pro­fonde des cloches de l’angélus. Au plus pro­fond de nous-mêmes s’éveillaient de loin­tains sou­ve­nirs d’autrefois, et le regard errait nos­tal­gi­que­ment entre les bar­reaux de fer de l’étroite lucarne vers en haut, là où à droite les lourds et hauts sapins, tels des fan­tômes, se mon­traient çà et là entre les nuages et des lam­beaux de brouillard.

« Pour la créa­tion d’une Répu­blique Alsace-Lorraine »

Par­mi les choses que j’ai décou­vertes ou qui m’ont par­ti­cu­liè­re­ment mar­quées, je cite­rais les suivantes :

  • le main­tien de reven­di­ca­tions stric­te­ment syn­di­cales aux côtés de la lutte poli­tique anti-nazie, d’autant plus éton­nantes qu’elles s’effectuent dans un contexte extrê­me­ment répres­sif. Il est vrai que salaires, durée de tra­vail se dégradent rapi­de­ment, ce qui met à jour l’aubaine qu’a consti­tué le fas­cisme pour le patro­nat : la pro­tec­tion sociale d’Alsace-Moselle, les caisses sociales sont ain­si cédées, tiens, tiens !à des com­pa­gnies privées.
  • la remar­quable clar­té de vue poli­tique et la capa­ci­té d’anticipation dont fait preuve Georges Wodli, notam­ment dans son adresse aux catholiques.
  • la pro­po­si­tion de natio­na­li­sa­tion des bras­se­ries qui figure dans le pro­jet de pro­gramme com­mun de « Hei­mat­front »  du Par­ti com­mu­niste, soit la bière conçue comme un ser­vice public (je n’ai rien contre…)
  • l’ampleur de la pres­sion exer­cée par l’appareil nazi sur la popu­la­tion alsa­cienne-mosel­lane à fin d’embrigadement inexis­tante en France de l’intérieur, ce que Wodli dit d’ailleurs expli­ci­te­ment dans un dia­logue reconstitué.
  • la pré­oc­cu­pa­tion expri­mée par le Par­ti com­mu­niste por­tant sur la liber­té reli­gieuse et de conscience et le réta­blis­se­ment de tous les cultes : à dif­fé­rents moments, le PC dénonce les atteintes à l’exercice des cultes per­pé­trées par les nazis, ou rap­pelle que, à l’occasion, le PC a sou­te­nu élec­to­ra­le­ment des can­di­dats en sou­tane défen­seurs de la cause popu­laire contre des can­di­dats patro­naux : on est loin de l’image cari­ca­tu­rale des bouf­feurs de curés
  • le main­tien de la reven­di­ca­tion d’avant-guerre du « droit à l’auto-détermination pour le peuple alsa­cien-lor­rain » ain­si que la « concré­ti­sa­tion de l’égalité effec­tive des droits des deux langues dans la vie publique avec ensei­gne­ment bilingue, à par­tir de la langue mater­nelle de l’enfant » :

« Après l’expulsion de cen­taines de mil­liers de nos com­pa­triotes au-delà des Vosges, nous ne vou­lons pas de vague d’expulsions chau­vine inverse d’Alsaciens et de Lor­rains ; après le départ de la Ges­ta­po, pas de Sûre­té tout aus­si dépour­vue de scru­pules et autant étran­gère au pays, pas à nou­veau de Gardes mobiles qui chargent des ouvriers se bat­tant pour leur pain. Après l’insolente inter­dic­tion de la langue fran­çaise par les tyrans hit­lé­riens, pas à nou­veau de dégra­da­tion de la langue alle­mande, qui est tout sim­ple­ment, et il en est ain­si, la langue écrite d’une grande par­tie de notre popu­la­tion, par les pré­fets de l’impérialisme fran­çais, dont les prin­ci­paux poli­ti­ciens nous aban­donnent pour l’heure sans pro­tes­ter à Hitler.

A cette fin, nous t’appelons, ouvrier catho­lique, pay­san, repré­sen­tant des classes moyennes, au com­bat, pour des efforts com­muns avec nous afin de ren­ver­ser le fas­cisme hit­lé­rien, pour la créa­tion d’une Répu­blique popu­laire d’Alsace-Lorraine. »

Georges Wodli, dans les lignes qui pré­cèdent, anti­cipe et redoute ce qui pour­tant allait arri­ver : l’épuration aveugle et chau­vine sous cou­vert de laquelle cer­tains vont se refaire une vir­gi­ni­té (les FFI « de la der­nière heure », dont ceux qui vont rou­vrir le camp du Stru­thof qu’on rem­pli­ra avec de pré­ten­dus « col­la­bos » sur simple dénon­cia­tion ano­nyme),  l’époque hon­teuse où l’on rasait les crânes des femmes tout en lais­sant, sans les inquié­ter , de nom­breux vichystes à la dis­po­si­tion de De Gaulle pour consti­tuer son appa­reil admi­nis­tra­tif. Ailleurs, l’ouvrage dénonce aus­si l’impunité de nom­breux cri­mi­nels nazis – dont les res­pon­sables du fort de Queu­leu – accor­dée par l’appareil judi­ciaire français.

Il convient d’évoquer encore la colère et l’indignationéprouvée à la lec­ture de l’évocation de cet offi­cier fran­çais, « Ehrenhäft­ling » (déte­nu d’honneur) à Dachau, que les Amé­ri­cains chargent, après la libé­ra­tion du camp, de dis­tri­buer les colis de la Croix-Rouge et qui les refuse aux déte­nus alsa­ciens-lor­rains, pré­ci­pi­tant la mort de cer­tains d’entre eux.

 

* Pour éclair­cir quelques zones d’ombre, l’aide de Ber­nard et de Syl­via UMBRECHT ont été pré­cieuses, ain­si que celle de Jona­than SEILLER sur les aspects tech­niques fer­ro­viaires remon­tant à l’épique époque de la vapeur, (dont les fameuses « boîtes chaudes », cibles­fa­vo­rites de sabo­tage pour les che­mi­nots). (2)

Je men­tionne éga­le­ment l’aide de mon épouse Cathe­rine pour le tra­vail ingrat de relec­ture simul­ta­née de l’original avec la tra­duc­tion à fin de véri­fi­ca­tion, cor­rec­tion de la langue à la clé, un exer­cice qui, effec­tué tout seul, est une vraie tor­ture optique.

Je res­sai­si­rai dès que pos­sible le texte en alle­mand, par fidé­li­té à la langue de ceux qui l’ont écrit ain­si que pour le rendre acces­sible à nos cama­rades syn­di­ca­listes allemands.

Les inter­titres sont de la rédaction

(1) Dans deux ouvrages parus récem­ment, l’historienne Annie Lacroix-Riz a effec­tué un tra­vail appro­fon­di et fort consé­quence, à par­tir d’archives qui sont à pré­sent libres d’accès, sur la com­pli­ci­té des milieux finan­ciers et indus­triels fran­çais dans la prise du pou­voir des nazis en Alle­magne, puis en France ain­si que l’attitude des élites fran­çaises toutes dévouées, sauf à de très rares excep­tions, à la poli­tique de col­la­bo­ra­tion de Pétain. Parus chez Armand Col­lin, « Le choix de la défaite » et « Les élites fran­çaises entre 1940 et 1944 » sont des livres qui donnent un indis­pen­sable éclai­rage sur la situa­tion réelle de la France de la période d’avant-guerre jusqu’à la Libération

(2) L’ouvrage tra­duit par Daniel Murin­ger est dis­po­nible sur com­mande à

jo.seiller@hotmail.fr