Dans les ins­tances de la com­mu­nau­té de com­munes de la val­lée de St Ama­rin, on assiste à un scé­na­rio clas­sique : des élus s’enthousiasment à l’i­dée qu’un entre­pre­neur s’in­té­resse à leur ter­ri­toire pour y créer des emplois. Même si, s’a­gis­sant de la socié­té Cycla­men – qui envi­sage de prendre racine sur le ban de Mal­mers­pach et de s’é­pa­nouir dès la belle sai­son – le nombre de sala­riés qu’il est pré­vu d’embaucher s’an­nonce assez modeste. Un défaut lar­ge­ment com­pen­sé par une com­mu­ni­ca­tion bien maî­tri­sée qui fleure bon l’écologie.

Mais quand on renifle avec un peu d’in­sis­tance – comme on l’a déjà fait dans un pré­cé­dent article paru dans nos colonnes – on détecte des sen­teurs qui manquent sin­gu­liè­re­ment de fraîcheur.

Insis­tons encore, en ana­ly­sant cette fois quelques éma­na­tions du pas­sé. Il y a vingt ans déjà, et même avant…

Dans le jour­nal « Le Monde » du 19 novembre 1999 (à lire ici à la page 10 de cet exem­plaire du quo­ti­dien qui date de près de vingt ans), le jour­na­liste Her­vé Kempf invi­tait déjà à s’in­ter­ro­ger sur les anté­cé­dents des diri­geants de Citron, une socié­té de recy­clage de déchets au patro­nyme frui­tier dont le PDG suisse, Adrien Ante­nen, n’é­tait autre que l’ac­tuel diri­geant de la socié­té à déno­mi­na­tion flo­rale qui cherche aujourd’­hui à s’im­plan­ter à Malmerspach.

En 1997, Au Havre, Adrien Ante­nen avait sub­ju­gué le Pré­fet et des élus de Haute-Nor­man­die qui ont géné­reu­se­ment sub­ven­tion­né son entre­prise nais­sante pré­sen­tée comme moderne et per­for­mante. Il affir­mait pou­voir cas­ser les prix de trai­te­ment des déchets « en créant une grosse capa­ci­té ». Mais ren­ta­bi­li­té et éco­lo­gie ne font pas bon ménage : en octobre 1998, grosse fuite à Citron, 14 000 litres d’a­cide nitrique se répandent ; en mai 1999, méga incen­die à Citron qui sto­ckait des déchets com­bus­tibles sans autorisation.

« Ces inci­dents ne sont peut-être que des erreurs de jeu­nesse » avance pru­dem­ment le jour­na­liste du Monde, tout en sou­li­gnant qu’A­drien Ante­nen avait été quelques années aupa­ra­vant consul­tant de la firme suisse de recy­clage de piles Batrec dont le direc­teur géné­ral était un de ses potes ; c’est ensemble qu’ils ont créé Citron. Chez Batrec, le tan­dem n’a pas fait des mer­veilles : « Batrec a mis en œuvre un pro­cé­dé nou­veau, oné­reux, qui a connu beau­coup de pro­blèmes de démar­rage. La socié­té n’a échap­pé à la faillite, en 1998, que grâce à une reca­pi­ta­li­sa­tion par des fonds publics » pré­cise Her­vé Kempf.

Un enfer éco­lo­gique et social qui… prend feu en 2010

En février 2007, débor­dé par le vice-pré­sident d’une banque suisse qu’il a intro­duit dans les ins­tances de Citron et qui donne aux action­naires une image beau­coup plus ras­su­rante que le PDG Adrien Ante­nen, ce der­nier perd le contrôle de la situa­tion et se fait débar­quer de la socié­té qu’il avait fondée. 

Avec ce ban­quier aux com­mandes, une logique finan­cière sans rete­nue fait des ravages. Sur les sala­riés d’a­bord : mis en dan­ger, bles­sés, har­ce­lés. Citron devient un véri­table enfer social et éco­lo­gique qui… prend feu une nou­velle fois en octobre 2010, sans qu’une « erreur de jeu­nesse » puisse être invo­quée, cette fois : l’in­cen­die est une consé­quence mani­feste de nom­breuses vio­la­tions des obli­ga­tions régle­men­taires de sécu­ri­té. Des infrac­tions com­mises mal­gré des mises en demeure répé­tées de la DREAL. Les seules lois qui étaient encore res­pec­tées chez Citron, celles de la finance, ont conduit à pra­ti­quer des méthodes très par­ti­cu­lières en matière de trai­te­ment des déchets : impor­ta­tions et expor­ta­tions inter­dites, éli­mi­na­tion irré­gu­lière, aban­don et dépôt illi­cites., etc. Les stig­mates de cet enfer ne sont tou­jours pas effa­cés aujourd’­hui (voir par exemple un extrait vidéo de l’é­mis­sion « pièces à conviction » dif­fu­sée le 3 octobre 2018).

Adrien Ante­nen, quant à lui, est deve­nu, après 2007, le direc­teur géné­ral de Immark France dans la zone indus­trielle de Beau­caire (Gard). Et ce, jus­qu’en 2012 où il est remer­cié « en appli­ca­tion des sta­tuts de la socié­té ». Pas d’in­cen­die détec­té cette fois, mais une liqui­da­tion judi­ciaire est pro­non­cée, un peu plus tard…

Qu’à cela ne tienne, il repart pour un tour dans le sec­teur d’ac­ti­vi­té de la récu­pé­ra­tion des déchets : on le retrouve, aujourd’­hui, PDG de Cycla­men, une socié­té implan­tée à Cla­piers (Hérault). C’est de là qu’il lorgne vers l’Al­sace, séduit et convainc élus com­mu­nau­taires et auto­ri­tés admi­nis­tra­tives qui ignorent ses per­for­mances pas­sées, ou qui font mine de les ignorer.. 

Un petit coin de paradis

Pour offi­cia­li­ser sa demande d’ins­tal­la­tion d’une uni­té de recy­clage de métaux à Mal­mers­pach, Adrien Ante­nen a fait par­ve­nir un rap­port au Pré­fet du Haut-Rhin. Bien enten­du, pour la socié­té Sterne (ser­vices et conseils en envi­ron­ne­ment) qui a été payée pour rédi­ger ce rap­port de plus de 100 pages, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes éco­lo­gique. L’en­fer de Citron n’a jamais exis­té. Au contraire, un petit coin de para­dis sera recréé à Mal­mers­pach. C’est promis.

Alors, de quoi se plaignent donc les asso­cia­tions Thur Eco­lo­gie Trans­ports (TET) et Alsace Nature (AN) ?… Fran­çois Tac­quard, qui pré­side la com­mu­nau­té de com­munes, leur a pré­ci­sé que cette der­nière est prête à finan­cer une « étude » menée par un « orga­nisme indé­pen­dant » qui « mesure(rait) les impacts de l’ac­ti­vi­té (de l’en­tre­prise Cycla­men) ». Mieux : le Pré­sident de la com-com sug­gère aux éco­los-râleurs de « pro­po­ser quelques noms d’or­ga­nismes ou de pres­ta­taires capables de répondre à cette demande, mais éga­le­ment digne de confiance et de neu­tra­li­té sur ces sujets ».

Chiche ! Les docu­ments par­fai­te­ment neutres et irré­pro­chables que sont l’ar­ticle du Monde du 19 novembre 1999 et les rap­ports d’en­quêtes menées par la jus­tice sur les pra­tiques de Citron pour­raient par­fai­te­ment ser­vir de base à une « étude », non ?! Une syn­thèse de ces docu­ments ne coû­te­rait rien, puis­qu’ils ont déjà été ras­sem­blés par des mili­tant-e‑s béné­voles, pers­pi­caces et « dignes de confiance ». Ils conti­nuent de cher­cher, notam­ment sur cer­tains aspects qu’au­cun « orga­nisme ou pres­ta­taire » paten­té n’o­se­rait aborder.

Peut-être trou­ve­ront-ils aus­si pour­quoi diantre la DREAL pour­rait don­ner le feu vert à l’i­dée sau­gre­nue d’im­plan­ter l’u­ni­té de recy­clage à proxi­mi­té d’habitations – et qui plus est, à l’é­cart des grandes voies de com­mu­ni­ca­tion – alors qu’il existe tant de sites plus adap­tés sur tout le dépar­te­ment. En cher­chant, entre autres, à savoir ce que cache la réponse alam­bi­quée qu’A­drien Ante­nen a faite aux DNA du 25 avril 2019 pour ten­ter d’ex­pli­quer pour­quoi il a choi­si Mal­mers­pach plu­tôt que d’autres sites : « j’ai appré­cié l’ap­proche pro­duc­tive et construc­tive des inter­lo­cu­teurs sur ce ter­ri­toire ».

Des rive­rains et deux asso­cia­tions réagissent

Les asso­cia­tions AN et TET disent « OUI au trai­te­ment des déchets, à leur valo­ri­sa­tion, en refu­sant qu’ils soient expor­tés ». Elles disent « OUI aux éco­no­mies d’éner­gie et de matières pre­mières ». Mais elles consi­dèrent que le pro­jet Cycla­men tel qu’il se pré­sente n’est pas acceptable.

Avec les rive­rains qu’elles sou­tiennent, elles ont orga­ni­sé le 13 mai à Saint-Ama­rin une réunion publique, au grand dam des élus qui ont annon­cé par un com­mu­ni­qué de presse qu’ils ne seraient pas pré­sents, « tout d’a­bord parce que l’in­dus­triel Cycla­men n’a même pas été convié ».

Pour­quoi les élus éprouvent-ils le besoin de défendre à ce point l’ « indus­triel » ? Lequel, d’ailleurs, pou­vait par­fai­te­ment être pré­sent à cette réunion publique. « Les habi­tants ont besoin d’a­voir toutes les infor­ma­tions en main, et pas uni­que­ment celles éma­nant de l’en­tre­prise », ont ripos­té les orga­ni­sa­teurs qui avaient deman­dé en vain aux élus, « par trois fois déjà, d’or­ga­ni­ser une réunion publique ».

Dans la grande salle du CAP de Saint Ama­rin, devant une nom­breuse assis­tance, les res­pon­sables d’AN et TET, appuyés par des rive­rains et un jour­na­liste suisse qui suit le dos­sier depuis très long­temps ont pré­sen­té les ren­sei­gne­ments affo­lants col­lec­tés sur le pas­sé de « l’in­dus­triel », ain­si que les lacunes, les contra­dic­tions et autres indices inquié­tants du dos­sier. Comme le fait que les élus se sont bien gar­dés de faire savoir à la popu­la­tion que l’en­tre­prise Cycla­men-Mal­mers­pach existe juri­di­que­ment depuis le 1er jan­vier 2018 !…

Per­sonne n’a pu répondre, cepen­dant, à une ques­tion angois­sante pour cer­tains : com­ment se fait-il que des élus s’a­veuglent et choi­sissent de faire cou­rir des risques consi­dé­rables à la popu­la­tion ? Un des rares élus pré­sents a plai­dé une forme d’in­com­pé­tence résul­tant de la com­plexi­té tech­nique du pro­blème et sem­blait décou­vrir les don­nées du pas­sé. Par­mi les autres, com­bien vont se déro­ber comme ils se sont déro­bés en refu­sant de par­ti­ci­per à la réunion publique ?…

Et peut-on pla­cer quelques espoirs dans l’a­vis que ren­dra la DREAL que Citron a pu nar­guer pen­dant des années ? Il sera sûre­ment plus rai­son­nable de contri­buer à la mobi­li­sa­tion en com­men­çant par faire cir­cu­ler lar­ge­ment les infos col­lec­tées par les mili­tant-e‑s, pour inter­pel­ler ensuite les élus, sans négli­ger les recours juri­diques tou­jours possibles.

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