La for­mu­la­tion ins­crite dans le compte ren­du des déli­bé­ra­tions de la séance du 19 octobre 2017 du conseil muni­ci­pal de Mul­house pro­cède par euphé­mi­sa­tion, lorsqu’il s’agit d’expliquer l’usage par la ville des ter­rains du lieu-dit « Ese­la­cker » à Kin­ger­sheim. On y indique pudi­que­ment que la ville s’en ser­vait pour « dépo­ser les déchets ména­gers », entre en 1959 et 1969. Comme s’il ne s’agissait que l’é­qui­valent d’un « self-sto­ckage » ou d’un garde meuble, dont on vien­drait louer un espace pour satis­faire un besoin conjonc­tu­rel, puis qu’on res­ti­tue­rait à l’i­den­tique au pro­prié­taire.

Or, c’est un peu plus com­pli­qué, s’agissant d’une ancienne décharge à ciel ouvert, dans laquelle s’entasserait l’arrière-produit de la socié­té de consom­ma­tion triomphante. 

Le ban muni­ci­pal de Kin­ger­sheim, et le site Ese­la­cker en orange

Ain­si que nous le rap­pe­lions dans notre pré­cé­dent article, le lieu se trouve encore hau­te­ment dif­fu­seur de pol­luants toxiques, et à plus forte rai­son via la nappe phréa­tique (le plus grand aqui­fère d’Eu­rope) qui se déploie tout le long du site. 

Rap­pe­lons d’ailleurs qu’un arrê­té muni­ci­pal d’interdiction de pui­sage de l’eau a été pris par la muni­ci­pa­li­té de Kin­ger­sheim, le 24 novembre 2006. 

Pou­belles-boys

Et la ville de Mul­house, pro­prié­taire-exploi­tant, et res­pon­sable dési­gné par l’État pour assu­rer sa décon­ta­mi­na­tion, en sait quelque chose.
En effet, les études d’impacts envi­ron­ne­men­taux et quelques mesures de risques sani­taires finirent par rendre la cité du Boll­werk comp­table de tra­vaux d’envergure, pour ten­ter d’en venir à bout. Sur le long terme, de toute évi­dence.

Ce n’est pour­tant pas faute d’avoir essayé de se déles­ter d’une par­tie du site de Kin­ger­sheim (en l’oc­cur­rence la par­celle dite « Coche­ry-Gival », sans doute la plus pol­luante, car elle fut long­temps « sau­vage »), en ten­tant de décla­rer le site orphe­lin (comme ce fut le cas à Col­mar), pour n’avoir pas à vider la pou­belle des autres.

Mais le minis­tère de l’écologie mit rapi­de­ment le holà au net­toyage sélec­tif auquel vou­lait se livrer les mul­hou­siens. Il n’é­tait pas ques­tion de dis­so­cier les 2 sites. 

Le temps fut donc venu où les cochons de pol­lueurs se retrou­vèrent dans la mouise. 

Pom­peurs-pom­piers

En dépit de ter­gi­ver­sa­tions et de diverses déro­bades, Mul­house dut se résoudre à un plan d’action, à l’issue d’une série d’études dont les conclu­sions ont été ren­dues publiques en 2013, en liai­son avec la pré­fec­ture du Haut-Rhin et le Coderst (Conseil dépar­te­men­tal de l’en­vi­ron­ne­ment et des risques sani­taires et tech­no­lo­giques).

A cette occa­sion, une bar­rière hydrau­lique pro­vi­soire est ins­tal­lée. Il s’agit d’un sys­tème de pom­page des­ti­né à rendre les eaux propres à l’utilisation.

Un arrê­té pré­fec­to­ral du 22 décembre 2016, pres­crit les tra­vaux de confi­ne­ment pré­vus sur le site, en même temps que la mise en place de la bar­rière hydrau­lique défi­ni­tive. C’est que la com­mune de Kin­ger­sheim compte valo­ri­ser le site en y ins­tal­lant une cen­trale pho­to­vol­taïque.

Le confi­ne­ment pré­vu pro­cé­de­ra donc d’un « recou­vre­ment à l’aide d’une cer­taine épais­seur de rem­blais propres qui per­met de confi­ner la pol­lu­tion ». On craint notam­ment l’envol de pous­sières toxiques.

On appren­dra en mai 2018 par le conseil muni­ci­pal, alors que les tra­vaux sont en cours, qu’il s’agit de dis­po­ser 3 couches de maté­riaux sains d’un mètre d’épaisseur cha­cune, prises entre 3 épais­seurs de « géo­tex­tiles » (un tis­su syn­thé­tique qui a la pro­prié­té d’être per­méable aux fluides) pour assu­rer les sépa­ra­tions entre couches.

Quant au trai­te­ment des eaux sou­ter­raines, dont on sait qu’elles sont impropres à tout usage, il s’agira de : « limi­ter la pro­pa­ga­tion de la pol­lu­tion en aval du site par la mise en place d’une bar­rière hydrau­lique défi­ni­tive (pom­page, trai­te­ment puis rejet à l’amont avant nou­veau cycle) ».

En pra­tique, il s’agit de créer 2 nou­veaux puits de pom­page, de chan­ger les pompes et les filtres à char­bon actif, de sorte à « fixer » les pol­luants dans la nappe. 

Coup de pompe

Un sché­ma expli­ca­tif de la bar­rière hydrau­lique vous est four­ni ici. On doit cepen­dant vous avouer le scep­ti­cisme qu’il nous ins­pire. Sont-ce les Sha­docks qui sont à la manœuvre, et pompent encore et tou­jours le puits sans fin de l’absurde-qui-nous-regarde-et-se-gausse-finement ?

Il est per­mis de le pen­ser, tant la « boucle hydrau­lique » illus­trée ici nous parait illu­soire. Certes, mieux vaut quelque chose que rien du tout, mais peut-on croire que l’on va net­toyer l’eau conta­mi­née en manière cir­cu­laire, comme si une autre par­tie (peut-être essen­tielle) du flot ne conti­nuait tran­quille­ment son bon­homme de che­min pol­luant, en direc­tion de Wit­ten­heim ?

Mais nous aurons peut-être l’occasion d’y reve­nir en détail dans un pro­chain article. 

Gon­fle­ment d’ordures

Quoi qu’il en soit, un pre­mier bud­get esti­ma­tif des mar­chés de tra­vaux est alors éta­bli à cette occa­sion. Il est « supé­rieur à 2 000 000 d’euros ».

Une com­mis­sion d’appel d’offre attri­bue en mai 2017 à SOGEA Est (filiale de Vin­ci) un mar­ché d’un mon­tant de 2 099 412 euros HT pour assu­rer les tra­vaux de confi­ne­ment. 259 505 euros HT sont en outre déblo­qués pour l’installation de la bar­rière hydrau­lique défi­ni­tive, par la socié­té GRS Val­tech.

Le bureau d’étude Arte­lia cha­pote par ailleurs la mai­trise d’œuvre du chan­tier.

Pour­tant, bien plus que les finances mul­hou­siennes, c’est le SIVOM de la région mul­hou­sienne qui sera mis à sévère contri­bu­tion pour finan­cer l’ensemble des tra­vaux. En effet, l’établissement public local, qui ras­semble un total de 53 com­munes, règle­ra en défi­ni­tive 80% de la fac­ture. Une sacrée boule puante dans le voi­si­nage !

Nous sommes alors en octobre 2017. Et le coup de râteau mul­hou­sien s’avèrera plein de mau­vaises herbes.

On découvre ain­si qu’en mai 2018 « cer­taines pres­ta­tions doivent être modi­fiées ». Les fortes pluies de décembre 2017 et jan­vier 2018 ont mena­cé la per­méa­bi­li­té des maté­riaux, de sorte que des zones de stag­na­tion d’eaux plu­viales génèrent des écou­le­ments, notam­ment du côté de la rue de Rich­willer, par­tiel­le­ment inon­dée…

Las ! Il faut réa­li­ser des tran­chées drai­nantes, revoir les enro­bés. Du côté du confi­ne­ment ça confine aux gros impré­vus : la struc­ture est revue avec un maté­riau lavé des­ti­né à conte­nir une déstruc­tu­ra­tion. Le der­nier « géo­tex­tile » est décré­té dis­pen­sable. On l’élimine donc. 

On pose éga­le­ment des vannes com­plé­men­taires pour aug­men­ter l’efficience de la bar­rière hydrau­lique.

Enfin, il faut ren­for­cer la dalle sup­port du sys­tème de fil­tra­tion de l’eau, et revoir ses fon­da­tions. Cela entrai­ne­ra pro­lon­ga­tion et couts sup­plé­men­taires.

La fac­ture sup­plé­men­taire est salée : 496 761 euros HT, soit 23% d’augmentation du mon­tant du mar­ché pour Vin­ci. Et ce n’est pas ter­mi­né: « un occu­pant du site » a eu la bonne idée de mettre « hors ser­vice » l’un des puits. Tenu de main­te­nir abso­lu­ment leur fonc­tion­ne­ment, Mul­house (et donc le SIVOM) voit son ardoise s’ac­croitre encore de 34 695 euros HT, soit un bond de 13,36%.

Le maitre d’œuvre exige éga­le­ment une révi­sion à la hausse de ses hono­raires en rai­son des modi­fi­ca­tions : ce sera 22 580 euros HT, soit plus de 10,85% d’augmentation.

Le total des pres­ta­tions sup­plé­men­taires est donc por­té à 538 000 euros, payées à 80% par le SIVOM.

Mais les peaux de bananes jonchent encore le sol: en juin 2018, Vin­ci décide rien moins que l’arrêt uni­la­té­ral des tra­vaux. Pre­nant de fait ses com­man­di­taires et la popu­la­tion rive­raine en otage. La socié­té pré­tend sur­con­som­mer son stock de maté­riau de cou­ver­ture. Elle exige une nou­velle révi­sion de la fac­ture. Après quelques hési­ta­tions de la muni­ci­pa­li­té, et sans autre alter­na­tive que de céder, un pro­to­cole d’accord est trou­vé avec Vin­ci après 4 mois d’arrêt du chan­tier. Le mon­tant sup­plé­men­taire est de 228 000 euros, avec une fin des tra­vaux pré­vue en décembre 2018.

Le maitre d’œuvre exige éga­le­ment une révi­sion haus­sière de la fac­ture : ce sera 50 154 euros, soit une aug­men­ta­tion totale de 34% pour sa part.

Le mon­tant total du confi­ne­ment et du pom­page sera quant à lui éta­bli à 4 019 230,69 euros TTC, soit une ardoise sup­plé­men­taire de 2 770 900,06 euros pour le SIVOM et la ville de Mulhouse !

Grand sei­gneur de la com­mande publique, dont il se régale, Vin­ci res­ti­tue­ra quelques 27 198 euros, sur le fon­de­ment d’une strate de confi­ne­ment « moins impor­tante ».

A la longue, les odeurs de pou­belle, ça gâche­rait même le goût du lucre de ces mul­ti­na­tio­nales du BTP !