Lettre ouverte d’a­lerte adres­sée aux par­ti­ci­pants au « Camp Cli­mat » 2019 de Kingersheim

campclimat@alternatiba.eu

Mili­tantes et mili­tants du Camp Cli­mat 2019,

Vous vous apprê­tez à par­ti­ci­per au « Camp Cli­mat » qui s’ins­tal­le­ra à Kin­ger­sheim pen­dant 12 jours, du 31 juillet au 12 août 2019. La lec­ture du pro­gramme des acti­vi­tés pro­je­tées laisse paraître ce que sont vos objec­tifs poli­tiques et sociaux et le dyna­misme qui vous anime.

Fran­che­ment, votre ini­tia­tive nous réjouit beau­coup. Nous le pré­ci­sons avec insis­tance, car ce que nous avons à vous dire est beau­coup moins réjouis­sant : Quoique mili­tant-e‑s de longue date et rela­ti­ve­ment atten­tifs aux déve­lop­pe­ments de l’ac­tua­li­té locale, nous venons en effet de décou­vrir, il y a moins d’un mois, que vous fré­quen­te­rez les abords d’une zone extrê­me­ment polluée(1). C’est le site – dit « Ese­la­cker » – d’une ancienne décharge de la ville de Mul­house, mais située sur le ban com­mu­nal de Kin­ger­sheim, où ont été déver­sés, au moins jus­qu’en 1969, des déchets toxiques de toutes sortes. Depuis cette date, cette pol­lu­tion a pu faire de nom­breux dégâts… (voir : Nos belles his­toires de pou­belles pour l’été : le site Ese­la­cker de Kin­ger­sheim, paru le 4 juillet der­nier sur le site de la revue élec­tro­nique L’Alterpresse68).

Une situa­tion et des camou­flages inquiétants

Les recherches que nous avons faites récem­ment ne nous ras­surent pas. A tra­vers ce dos­sier, il est pos­sible de mesu­rer à quel point le prin­cipe de pré­cau­tion et le prin­cipe de trans­pa­rence sont  bafoués. Notam­ment par les élus, du moins par ceux d’entre eux qui connaissent vrai­ment le pro­blème. En plein désar­roi, ils font tout pour que la réa­li­té reste cachée aux yeux de la majo­ri­té de nos concitoyens.

Des mili­tants qui pour­tant suivent de près les débats du conseil muni­ci­pal de la ville de Mul­house – qui a été l’ex­ploi­tant de la décharge Ese­la­cker et doit en assu­mer les consé­quences – ne s’é­taient pas aper­çu que depuis quelques années, et plus encore ces der­niers mois, des cré­dits ont été votés pour « le confi­ne­ment Ese­la­cker ». La fac­ture a explo­sé : de frais d’é­tude et de mise en place d’un pom­page pro­vi­soire pour un mon­tant de quelque 600 000 euros, on est pas­sé à une somme dépas­sant les 4 mil­lions d’euros.

On sait aujourd’­hui qu’il a fal­lu, à la mi-2018, (re)négocier le contrat à la hausse en faveur de l’en­tre­prise qui a décro­ché l’es­sen­tiel de ce mar­ché de confi­ne­ment. Elle avait déci­dé d’ar­rê­ter les tra­vaux pour faire pres­sion sur la ville de Mul­house afin d’ob­te­nir un ave­nant face à des dif­fi­cul­tés non pré­vues. Une grève patro­nale en somme ; en pre­nant « en otage » les habi­tants vic­times de la pol­lu­tion !… Et quelle est cette entre­prise ? C’est Vin­ci Construc­tion Ter­ras­se­ment. Vin­ci, ça vous dit quelque chose, non ?!

Et en quoi consiste le « ter­ras­se­ment » ? A éta­ler une énorme quan­ti­té de terre (100 000 m3) au des­sus de la masse de déchets toxiques. On appelle cela « un confi­ne­ment hori­zon­tal ». Il com­plète le « confi­ne­ment ver­ti­cal » ; là, c’est la méthode sha­dock qui s’ap­plique : on a com­men­cé à pom­per indé­fi­ni­ment l’eau de la nappe en aval du « panache de pol­lu­tion », puis on la réin­jecte en amont, après l’a­voir fil­trée, afin de créer une « boucle hydrau­lique ». Syn­drome Pel­le­rin : on est prié de croire que la com­mune voi­sine (Wit­ten­heim) n’est pas atteinte en aval par la pol­lu­tion. Pas plus que la nappe phréa­tique – la plus grande d’Eu­rope – qui cir­cule là-des­sous et qui serait res­tée indemne.

Pho­to satel­li­taire du site actuel. Au bas, la rue de Pfastatt

Au der­nier conseil muni­ci­pal de Mul­house, une ques­tion a été posée par une oppo­sante concer­nant « 2 mil­lions d’eu­ros » affec­tés au « confi­ne­ment Ese­la­cker ». Quand c’est déli­cat, c’est le pre­mier adjoint (ex maire) qui répond : Jean Rott­ner, qui n’est plus maire parce qu’il est deve­nu pré­sident de la région Grand Est, s’est conten­té, avec son aplomb habi­tuel, de van­ter ses mérites dans le trai­te­ment de ce dos­sier, taclant ses pré­dé­ces­seurs. Une tac­tique d’é­vi­te­ment qui res­semble beau­coup à celle adop­tée par la région Grand Est lors de l’é­la­bo­ra­tion de son pro­jet de PRPGD (Plan Régio­nal de Pré­ven­tion et de Ges­tion des Déchets) où, sur plus de 500 pages, on n’é­voque qua­si­ment pas les effets et le deve­nir des décharges dan­ge­reuses, pour­tant très nom­breuses dans la région, comme par­tout en France.

La non-réponse du pre­mier adjoint de Mul­house nous a cepen­dant aler­tés, d’au­tant que la presse locale avait signa­lé que la zone sera recou­verte d’un parc photovoltaïque(2). Quoi de plus éco­lo en somme ?…

Pour la pré­fec­ture, c’est grave

Cela peut paraître para­doxal  – et méri­te­rait d’être appro­fon­di en tenant compte du fait que, juri­di­que­ment, le payeur dési­gné pour la répa­ra­tion des dégâts est la ville de Mul­house -,   mais c’est du côté de l’au­to­ri­té pré­fec­to­rale que les choses ont été dites le plus clai­re­ment. On vous cite deux « consi­dé­rant », pré­sents dans au moins deux arrê­tés pré­fec­to­raux que nous venons de retrouver :

….

 CONSIDÉRANT que les dif­fé­rentes études menées par la ville concer­nant le site de l’ « Ese­la­cker » démontrent une pol­lu­tion impor­tante des sols et des eaux sou­ter­raines par des com­po­sés toxiques et cancérogènes,

CONSIDÉRANT que le site de l’ « Ese­la­cker » pré­sente, en l’é­tat, des risques pour la san­té humaine et l’en­vi­ron­ne­ment et que ses risques sont avérés, …

….

Les termes uti­li­sés sont sans ambi­gui­té : une pol­lu­tion impor­tante (…) par des com­po­sés toxiques et can­cé­ro­gènes (…) le site de l’E­se­la­cker pré­sente des risques pour la san­té humaine (…) et ses risques sont avé­rés. Les pres­crip­tions pré­fec­to­rales qui ont décou­lé de ces « consi­dé­rant » datent de 2013 et devaient s’ap­pli­quer sans tar­der. Elles ont – semble-t-il – com­men­cé à être mises en œuvre ces der­niers mois, soit près d’un demi-siècle après la fer­me­ture offi­cielle de la décharge Ese­la­cker ! En par­tie parce que le payeur juri­di­que­ment dési­gné a beau­coup traî­né les pieds. Mais en s’ac­ti­vant énor­mé­ment, par contre, pour trou­ver d’autres contri­bu­teurs (pour davan­tage de détails sur cet aspect finan­cier du dos­sier, voir l’ar­ticle publié le 21 juillet dans L’alterpresse68 : Décharge Ese­la­cker à Kin­ger­sheim : la fac­ture qui a pom­pé l’air et l’eau du SIVOM de la région mul­hou­sienne).

L’im­pact sur la san­té des riverains

Quel a été l’im­pact de la décharge sur la san­té humaine durant ces 5 décen­nies ? Une étude com­plète et claire reste à faire pour répondre vala­ble­ment à cette ques­tion, comme le laisse entendre le titre d’un mémoire de 2014 consa­cré à la décharge de « l’E­se­la­cker » et rédi­gé dans le cadre de l’E­HESP (L’E­cole des Hautes Etudes En San­té Publique) : « Etude cri­tique de l’é­va­lua­tion et de la ges­tion des risques sani­taires d’une ancienne décharge (..) ».

Il y a de quoi être « cri­tique », en effet :

Sur son blog, une rive­raine a noté dans son entou­rage « des mala­dies chro­niques et patho­lo­gies lourdes… des can­cers dans plu­sieurs  mai­sons voi­sines… des fruits et fleurs dif­formes dans les jar­dins… des sala­riés tous malades dans une grande enseigne… etc ». Hélas, ces obser­va­tions peuvent dif­fi­ci­le­ment faire l’ob­jet de témoi­gnages pré­cis de la part des vic­times dans un contexte social et idéo­lo­gique qui n’au­to­rise pas une parole libre sur le sujet.

Des mesures de pré­sence de pro­duits toxiques ont certes été effec­tuées. Mais leurs conclu­sions, éla­bo­rées à par­tir de modèles mathé­ma­tiques pro­ba­bi­listes, ne peuvent pas décrire les effets concrets sur une popu­la­tion d’ef­fec­tif trop limi­té. En l’ab­sence de dyna­mique et de pro­tes­ta­tions col­lec­tives, les annonces offi­cielles de niveaux de toxi­ci­té esti­més comme « inac­cep­tables » pour cer­tains pro­duits à cer­tains endroits de quelques habi­ta­tions n’ont pas sus­ci­té de riposte poli­tique visible chez les rive­rains concernés.

On peut même se deman­der si la publi­ca­tion de ces niveaux de toxi­ci­té par des orga­nismes offi­ciels n’a pas favo­ri­sé une cer­taine forme de silence rési­gné chez les pre­miers concer­nés, ali­men­té par la crainte d’une perte de valeur de leurs biens, ou la crainte de devoir chan­ger de lieu et de vie. En tout cas, aucune riposte col­lec­tive n’a émer­gé pour deman­der, par exemple, des indem­ni­sa­tions ou la mise en œuvre effec­tive du prin­cipe de pré­cau­tion en dépol­luant com­plè­te­ment le site.

Pour la trans­pa­rence et le prin­cipe de précaution

Nos pro­pos vous éloignent de l’as­su­rance qui vous a été don­née d’un Camp Cli­mat orga­ni­sé « à proxi­mi­té du « pou­mon vert » de la ville de Kin­ger­sheim ». Ils pour­raient même vous mettre mal à l’aise face à votre hôte(3). Ce n’est bien sûr pas ce que nous recher­chons. Notre but est de réus­sir à lever le voile et à sen­si­bi­li­ser sur un pro­blème éco­lo­gique de pre­mière impor­tance qui concerne des mil­liers de com­munes et dont les dégâts géné­ra­le­ment mécon­nus sont pour­tant déjà bien réels.

Nous venons de le consta­ter à Mulhouse/Kingersheim : l’o­pa­ci­té entre­te­nue entrave la mobi­li­sa­tion. Et, sans mobi­li­sa­tion, les vic­times prises au piège ne peuvent même plus trou­ver la force de faire valoir le prin­cipe de pré­cau­tion. Le nombre et la déter­mi­na­tion des per­sonnes réunies ces pro­chains jours à Kin­ger­sheim dans le cadre du Camp Cli­mat pour­raient peut-être per­mettre de sur­mon­ter rapi­de­ment cer­tains obs­tacles idéo­lo­giques et pra­tiques qui freinent le trai­te­ment de ces dos­siers répar­tis dans toute la France ?… Com­men­cer à bri­ser l’o­mer­ta qui pèse sur cette ques­tion à Mul­house-Kin­ger­sheim comme ailleurs serait déjà pas mal !

Pour un net­toyage des sites pol­lués par PCUK

Nous nous per­met­tons de vous faire une sug­ges­tion en par­tant d’une par­ti­cu­la­ri­té du dos­sier de Mulhouse/Kingersheim dont nous ne vous avons pas par­lé jusqu’ici.

Il se trouve que L’E­se­la­cker n’est pas une simple décharge d’or­dures ména­gères : des déchets de lin­dane (entre autres) y ont été mas­si­ve­ment dépo­sés par la socié­té PCUK (Ugine Khul­mann qui s’est asso­ciée à Péchi­ney). Les auto­ri­tés admi­nis­tra­tives, les élus et même les experts scien­ti­fiques en parlent assez peu, alors que ce pro­duit est can­cé­ro­gène et qu’il a été déver­sé en quan­ti­té consi­dé­rable, à « Ese­la­cker », comme dans beau­coup d’autres décharges.

PCUK, qui dis­po­sait d’une uni­té de fabri­ca­tion à Huningue (située à proxi­mi­té de Bâle), a en effet dépo­sé des déchets de lin­dane un peu par­tout en France. En par­tant de la décla­ra­tion d’un lan­ceur d’a­lerte bâlois, Mar­tin For­ter, inter­viewé par le jour­nal L’Al­sace en 2014 : « … seule la pres­sion poli­tique, en Alsace et du côté suisse, fera bou­ger les pou­voirs publics et l’industrie chi­mique (…)  il faut l’obliger à net­toyer les sites. Ce qu’a lais­sé Ugine-Kuhl­mann est une vraie catas­trophe et l’État fran­çais a oublié de la poursuivre… » nous vous fai­sons les sug­ges­tions sui­vantes, qui reprennent celles du « mou­ve­ment des coque­li­cots » : recen­ser le maxi­mum de dépôts en France où PCUK a semé ses cochon­ne­ries chi­miques, décrire dans quelles condi­tions ces dépôts ont été effec­tués, et exi­ger, comme l’a fait Mar­tin For­ter, un net­toyage des sites, en menant diverses actions.

C’est une manière de reven­di­quer l’appli­ca­tion du prin­cipe de pré­cau­tion, voire celui du pol­lueur-payeur (une manière, aus­si, d’ap­pli­quer le prin­cipe de réver­si­bi­li­té qui nous a été refu­sé, dans le Haut-Rhin, après l’en­fouis­se­ment de déchets ultimes à Sto­ca­mine – Wittelsheim…).

L’ap­pli­ca­tion de ce prin­cipe coû­te­ra plus cher, c’est sûr, que les pro­cé­dés dou­teux mis en œuvre à Ese­la­cker où le lin­dane conti­nue­ra d’être une menace pour la san­té. De bons ges­tion­naires, sou­cieux des deniers publics, s’y refusent par avance à Mulhouse/Kingersheim, comme ailleurs.

Il y a une excep­tion, cepen­dant, qui confine au para­doxe si on n’y regarde pas de près : à Huningue, NOVARTIS a héri­té, suite à une fusion de socié­tés, du ter­rain de l’an­cien site de fabri­ca­tion du lin­dane par PCUK (appe­lé site « STEIH »). Un site évi­dem­ment très pol­lué par les déchets de ce pes­ti­cide. Pour des rai­sons qui tiennent à des enjeux éco­no­miques énormes, la mul­ti­na­tio­nale de la phar­ma­cie – dont le siège est à Bâle et qui a construit une uni­té bio­tech à Huningue – a besoin de soi­gner son image et a déci­dé de dépol­luer à ses frais le site STEIH. Coût ini­tial, qui n’a pas effrayé NOVARTIS : 100 mil­lions d’eu­ros. Des dif­fi­cul­tés sur­gissent et les tita­nesques tra­vaux de dépol­lu­tion sont inter­rom­pus en sep­tembre 2013. Qu’à cela ne tienne : les tra­vaux ont repris en 2015 après un inves­tis­se­ment sup­plé­men­taire de 100 mil­lions d’eu­ros. Ils devraient s’a­che­ver en 2021.

200 mil­lions d’eu­ros ! Pour son image, l’en­tre­prise NOVARTIS ne mégote pas, elle… Elle est beau­coup moins géné­reuse dans d’autres cir­cons­tances, comme l’a déjà sou­li­gné Mar­tin For­ter (que nous cher­chons à contacter).

En espé­rant que le Camp Cli­mat 2019 et toutes les ini­tia­tives qui y seront déci­dées vont contri­buer à ren­for­cer les luttes éco­lo­giques et sociales dans les pro­chains mois, nous vous adres­sons, par écrit, nos cha­leu­reuses salu­ta­tions. Avec le sou­hait de pou­voir les for­mu­ler éga­le­ment de vive voix entre le 31 juillet et le 12 août (à Kin­ger­sheim ou dans les envi­rons, nous sommes tous haut-rhi­nois) à celles et ceux d’entre vous qui vou­dront bien s’in­té­res­ser aux sug­ges­tions que nous venons de vous faire (pour nous contac­ter : https://www.alterpresse68.info/nous-contacter/ ).

1) Les tra­vaux du « Camp Cli­mat » se dérou­le­ront près de l’en­trée de la rue de Pfas­tatt proche du col­lège Emile Zola. C’est en se diri­geant à l’autre bout de cette rue de Pfas­tatt, très longue, que l’on peut rejoindre le site « Eselacker ».

2) A véri­fier : est-ce que ce pro­jet de parc pho­to­vol­taïque ne serait pas le « pro­jet de ferme pho­to­vol­taïque » qui est annon­cé dans la pré­sen­ta­tion sédui­sante de Kin­ger­sheim des­ti­née à celles et ceux qui sou­haitent s’ins­crire au  « Camp Cli­mat » du 31 juillet au 11 août 2019 ?

3) La muni­ci­pa­li­té de Kin­ger­sheim ne porte évi­dem­ment pas la même regard que nous sur le site de l’E­se­la­cker. Pour elle, ce n’est qu’une ancienne décharge d’or­dures ména­gères pro­mise à « une seconde vie » avec une pol­lu­tion confi­née et dont on évi­te­ra doré­na­vant la dis­per­sion. Le pro­jet de créa­tion d’un champ pho­to­vol­taïque fera de L’E­se­la­cker « un lieu emblé­ma­tique d’une recon­quête éco­lo­gique et éner­gé­tique exem­plaire ». Voir ici la page 9 du n° 130 (mai 2019) du maga­zine d’in­for­ma­tion de Kingersheim.