Notre ami et col­la­bo­ra­teur Chris­tian Rube­chi relate en témoin actif le choix des étapes et le sens de la démarche amor­cée à l’oc­ca­sion de cette cara­vane mul­hou­sienne, par le col­lec­tif conver­gences et diver­si­tés.

6 octobre 2019, Place de la Concorde, 10heures, une soixan­taine de cyclistes équi­pés pour affron­ter un cra­chin très « bri­tish » mais prêts à péda­ler pour bou­cler le par­cours pro­po­sé par le Col­lec­tif  « Conver­gences et Citoyen­ne­té » et les trois Centres socio­cul­tu­rels Afsco Coteaux, Lavoi­sier, Pax.

Ras­sem­ble­ment par un matin fris­quet et plu­vieux. Tout le monde n’est pas encore arrivé. 

15 kilo­mètres d’un par­cours urbain avec haltes sym­bo­liques de l’histoire de Mul­house, de sa diver­si­té sociale, cultu­relle, cultuelle, de sa « plu­ra­li­té » pour reprendre l’expression de Marie-Claire Vitoux, uni­ver­si­taire et  his­to­rienne recon­nue de la Mul­house indus­trielle, qui rap­pe­lait au moment du départ quelques évi­dences… non évi­dentes pour beaucoup.

« Mul­house plu­rielle », Mul­house à l’identité spé­ci­fique qui en fait une ville alsa­cienne dif­fé­rente des autres, ville d’immigration, ville his­to­ri­que­ment ouvrière et pauvre, ville mul­ti­con­fes­sion­nelle, ville d’accueil des tra­vailleurs pau­pé­ri­sés arri­vant hier de Suisse et du pays de Bade, avant hier d’Italie, sou­vent maçons, bri­que­tiers, Mul­house accueillant dans l’entre- deux- guerres des polo­nais qui n’étaient pas encore « plom­biers » mais sou­vent mineurs, ville rece­vant après la seconde guerre mon­diale magh­ré­bins et por­tu­gais venus faire tour­ner les usines locales.

« Mul­house, ville mul­ti­con­fes­sion­nelle » rom­pant au fil de son his­toire avec l’uniformité pro­tes­tante pour accueillir les cam­pagnes catho­liques dans ses usines, les Israé­lites sou­vent à par­tir de 1820, notam­ment dans le contexte d’une urba­ni­sa­tion et de la pro­mo­tion sociale de grandes familles (Drey­fus par exemple), ville de forte pré­sence musul­mane, par­fois décla­rée « inas­si­mi­lable » avec ces mêmes argu­ments de rejet des iden­ti­tés reli­gieuses enten­dus aujourd’hui mais oppo­sés hier aux catho­liques, en par­ti­cu­lier ita­liens (ter­ro­risme et anar­chisme, com­por­te­ments « machistes, vol des emplois, inas­si­mi­la­bi­li­té culturelle… ).

Pre­mière halte de la cara­vane, le monu­ment au Capi­taine Drey­fus, né à Mul­house, vic­time sym­bo­lique  d’un anti­sé­mi­tisme  fran­çais que la Ligue des Droits de l’Homme condamne et com­bat, comme tous  les racismes, comme l’a rap­pe­lé à la cara­vane son Pré­sident local, Gérard Moine.

Halte encore sur le site des anciens bâti­ments indus­triels Doll­fus-Mieg et Cie (dite friche DMC), lieu de mémoire s’il en est de la ville, lieu sym­bo­lique d’une époque qui vit s’ériger de colos­sales for­tunes liées aux « pôles d’excellence » mon­dia­le­ment connus que furent les pro­duc­tions locales: tex­tiles, machines – outils, impres­sion, chi­mie jusqu’au 20ème siècle.

Michel Mul­ler, syn­di­ca­liste, inter­ve­nait devant le bâti­ment 75 de DMC (aujourd’hui Motoco)

Un chiffre rap­pe­lé par Michel Mul­ler, syn­di­ca­liste ouvrier et ancien­ne­ment membre du Comi­té éco­no­mique et social qui accueillait la cara­vane sur le site : 17 000 tra­vailleurs à Mul­house en 1835 pour…une ville de 14 000 âmes.

Mais rap­pel aus­si des ter­ribles condi­tions de tra­vail dans ces indus­tries mul­hou­siennes, tra­vail défiant les normes sociales et sani­taires élé­men­taires, par­ti­cu­liè­re­ment pour les femmes et les enfants, qui pous­sèrent  la Socié­té indus­trielle locale à inci­ter  le gou­ver­ne­ment à  l’adoption de la loi de 1841  pour enca­drer, voire inter­dire, le tra­vail des enfants, à la tâche dès 8 ans, voire 7..

« Mul­house donc ville labo­ra­toire des pre­mières lois sociales du tra­vail », pour­tant bien timides, mais aus­si  ville d’un riche uni­vers asso­cia­tif, syn­di­cal, poli­tique, aujourd’hui remis en cause par les évo­lu­tions d’un monde numé­ri­sé et désor­mais clas­sée par­mi les villes le plus pauvres et les plus inéga­li­taires de France –  si l’on rai­sonne à l’échelle de la com­mu­nau­té de com­munes – dans la caté­go­rie des villes de plus de 100 000 habitants. 

Quelques kilo­mètres plus loin halte à la mos­quée « An Nour », incon­tes­table réus­site archi­tec­tu­rale qui marque désor­mais une entrée de la ville. 

Audience à la mos­quée. Thé à la menthe et petits gâteaux accom­pagnent la visite du bâtiment

Visite des lieux – impres­sion­nants de sobrié­té et d’élégance -,  petits gâteaux, thé à la menthe, bien­ve­nus après les kilo­mètres par­cou­rus… mais aus­si  expli­ca­tions et infor­ma­tions détaillées four­nies aux  par­ti­ci­pants à la cara­vane par les auto­ri­tés du lieu :  bud­gets du pro­jet glo­bal  « An Nour », point sur les demandes de conven­tion­ne­ment des ensei­gne­ments sco­laires pré­vus avec les Minis­tères  com­pé­tents,  cir­cuits des finan­ce­ments de la mos­quée dont ceux d’États arabes divers aux phi­lo­so­phies contri­bu­tives diverses mais sous la res­pon­sa­bi­li­té et le contrôle reven­di­qués de l’association « Amal » qui gère le com­plexe « An Nour ».

Et au long du par­cours les haltes dans les  trois centres sociaux par­te­naires de la jour­née pro­po­sant aux cara­va­niers et aux habi­tants des quar­tiers inté­res­sés des ani­ma­tions de qua­li­té  (le concert pro­po­sé par le centre socio­cul­tu­rel des Coteaux pour lequel l’énergie élec­trique était four­nie…. par le péda­lage inten­sif sur vélos fixes des spec­ta­teurs, la pré­sen­ta­tion en trois D au Lavoi­sier d’un pro­jet archi­tec­tu­ral inno­vant et « vert » pour le quar­tier, la pré­sen­ta­tion au Pax du plan vélo de la M2a par le conseiller com­mu­nau­taire  et le tech­ni­cien res­pon­sables des « Trans­ports doux » (res­pec­ti­ve­ment Paul – André Strif­fler et Fran­çois Ber­ger) et dont les échanges qui ont sui­vi ont contri­bué à pré­ci­ser les pro­jets « vélos » M2a, leur impor­tance, leurs contraintes dans un contexte encore obs­ti­né­ment « bagnole ».

Les dyna­mos humaines ! Démons­tra­tion de pro­duc­tion d’éner­gie néces­saire à l’a­li­men­ta­tion d’une sono… sur un vélo 
Bataille paci­fique au centre social des Coteaux (AFSCO)

Place orga­ni­sée de la Concorde pour le départ des cyclistes, haltes dans trois quar­tiers popu­laires et devant trois lieux « emblé­ma­tiques » mul­hou­siens, réunion d’énergies citoyennes locales, hors tout affi­chage asso­cia­tif, syn­di­cal, poli­tique, pour mar­quer la conduite de la jour­née, avec le concours de ser­vices de la muni­ci­pa­li­té, ont peut être contri­bué, très modes­te­ment,  à « faire battre le cœur de la ville » pour reprendre la belle expres­sion de l’association « CADRes ».

Vélo donc, bobo, éco­lo, pro­lo, vélo contre les pol­lu­tions, vélo pour des dépla­ce­ments doux à l’heure de ce tout bagnole qui a du plomb dans l’aile, vélo fes­tif et enga­gé pour une ville aux valeurs de convi­via­li­té à réaf­fir­mer, aux conver­gences citoyennes à expri­mer dans un contexte de ten­sions, voire d’anxiétés, de replis, de risques de conflits et de ghettoïsations. 

Et après ?

La cara­vane pour­ra conti­nuer sa route et invi­te­ra encore plus lar­ge­ment à péda­ler toutes et tous, pour la conver­gence des diver­si­tés, les syner­gies citoyennes, la prise en compte des enjeux sociaux comme cli­ma­tiques à par­tir de thèmes signi­fi­ca­tifs pour notre vie sociale et cultu­relle, pour contri­buer à une image renou­ve­lée de Mul­house, ville jeune, ville aux 100 natio­na­li­tés, riche de sa multiculturalité.

C.R, membre du Col­lec­tif  « Conver­gences  et diversités ».