Rapports glacés à la frontière
Tous ces yeux penauds de badauds alsaciens ne pouvant retourner déguster une excellente glace italienne… en Allemagne, fermeture de la frontière oblige !
Faisant fi de cette vague de peur expansive, dont il faut espérer qu’elle ne se répétera pas incessamment, nous eûmes recours, en ce jeudi ascensionnel encore embrumé par le vertige de l’aventure, à une solution désespérée afin de satisfaire l’irrépressible désir de crème glacée qui nous étreignit.
Nous nous résolûmes ainsi à tenter une percée par le Sud en territoire hostile, sur le pont routier et ferroviaire qui traverse le Rhin, peu après le canal d’Alsace, à 47° 49′ 17″ de latitude nord, au niveau de Chalampé, et à quelques encablures de la petite cité bien nommée de Neuenburg am Rhein, qui jadis fut la royale possession de Louis-le-quatorzième.
Ce faisant, nous remarquons que toutes les minutes environ, un véhicule immatriculé en Allemagne franchit le Rhin pour glisser sur la chaussée alsacienne dans l’une de leurs grosses berlines, dont le beignet du même nom ne parvient pas à ternir l’éclat étoilé.
Ragaillardis, nous pressons le pas et crapahutons le long du pont sur le Rhin. Alors qu’en venant nous n’avions rencontré qu’une éphémère douane volante française, qui s’évapora aussi fugacement qu’elle apparut, nous distinguons au loin une sorte de casemate roulante, à mesure que nous nous approchions de l’entrée du village riverain.
Franchissant quelques mètres encore, nous vîmes alors un jeune planton coiffé de blond en sortir. Armé jusqu’aux flancs, un masque chirurgical pendouillait sous son menton, de sorte qu’on eut dit un juvénile à bavoir.
- « Stop » ; « Vous parlez allemand ? »
- « Je parle le français autant que l’allemand »
Fit celle qui m’accompagnait, ceinturant son impulsion bravache d’un tréfond cocardier, qui me permit de mettre à l’épreuve les limites de mon jacobinisme enfiévré.
- Vous ne pouvez rester ici, sauf si vous travaillez, enterrez ou visitez quelqu’un, exposa-t-il étrangement
- Nous choisissons de visiter le glacier italien au risque de notre vie, crus-je bon de répliquer
- Pas de glacier !
- Mais vos concitoyens allemands passent la frontière française, et sous nos yeux !
- Oui, mais vos douaniers ne stationnent pas, alors…
Une peur plus contagieuse que les virus
Comment ne pas sombrer devant l’éloquente philosophie du « pas vu, pas pris », mise en oeuvre par notre jeune ami garde-frontière ?
L’espace Schengen à géométrie variablement hypocrite, qui se décompose devant nos yeux, fut la seule concrétisation politiquement opérante d’une modeste et relative utopie de la libre circulation des personnes, à l’échelle de 22 pays membres de l’UE signataires de la convention, dont font partie la France et l’Allemagne.
La pandémie du covid-19 est venue souligner la dimension formelle, et plutôt chimérique, de cette construction géopolitique, d’importance accessoire par ailleurs, eu égard à sa principale vocation : la facilitation transfrontalière du flux de marchandises, qui reste, elle, toujours d’actualité.
L’apparition du coronavirus illustra de manière édifiante combien les systèmes de santé européens étaient si largement dissemblables, et les stratégies sanitaires de lutte si divergentes, qu’elles ne pouvaient apparemment soutenir la continuation du libre passage des personnes à l’intérieur de cet espace.
Tout afflux de personnes non-nationales étant présenté à dessein comme une charge supplémentaire pour les différents systèmes de soins.
Ceux des citoyens européens qui avaient pu croire en un dépassement éventuel de l’État-nation par un espace international, redécouvrent effarés qu’à défaut de remplir une fonction économique, ils n’étaient que fardeaux à externaliser.
Difficile dans ces conditions de ne pas voir dans ce phénomène aussi unilatéral que simultané autre chose que ce qu’il est: l’expression d’un repli nationaliste. La quasi-totalité des pays à travers le monde, tout comme en UE, ne prenant pas même soin de se coordonner avec son ou ses voisins.
Le seul accord tacite des belligérants en état de « guerre » antivirale, fut de considérer que l’échelle nationale était la plus opérante pour venir à bout de la pandémie.
Or on sait pertinemment combien c’est faux. Car seul le niveau le plus local, y compris transfrontalier, reste l’espace politique le plus judicieux pour connaitre et agir efficacement en situation d’urgence, comme en d’autres domaines.
Pour ce qui nous concerne, le centralisme français aura donc rajouté la calamité jacobine à l’amateurisme décisionnel.
Isolement nationalo-sanitaire
En rembobinant le fil, rapiécé, des surcoutures européennes, on constatait, dès l’amorce épidémique, que l’Italie, épicentre européen de l’épidémie, a simplement été abandonnée à elle-même.
L’Allemagne et la France allant dans un premier temps jusqu’à interdire l’exportation de matériel médical de protection, au mépris de tout principe de solidarité.
L’ampleur des mensonges d’État sur l’existence (ou plutôt l’inexistence) de stocks stratégiques de masques de protection allait expliquer pourquoi le gouvernement français avait surréagi de la sorte.
Les États, à l’image des institutions communautaires, ont choisi de prendre des mesures visant à freiner la propagation du virus dans le désordre le plus total, ce qui aura par ailleurs contribué à accroître la panique des opinions publiques.
Marine Le Pen, à l’unisson de toute l’extrême droite en Europe, aura fait pression pour obtenir la fermeture des frontières nationales. De sorte que la doctrine macronienne consistant à les laisser ouvertes, pour ne pas donner de gages aux nationalistes, ni entretenir l’impression d’un repli chez ses partenaires européens, n’aura fait que souligner l’isolement français à l’échelle européenne.
Des proches du gouvernement l’avouant d’ailleurs : « Le coronavirus a montré tout à la fois une absence de réflexe européen des États et une absence de réaction de l’UE ».
Du côté de chez les voisins germains, on avait décidé d’instaurer des contrôles renforcés à ses frontières avec la France, la Suisse et l’Autriche, dès le lundi 16 mars, à 8h.
Foirades de hamster
Outre la gestion de l’épidémie, la mauvaise éducation supposée des gaulois aurait, dit-on, contribué à l’instauration de la mesure à la frontière française.
Il fallait éviter que les oniomaniaques alsaciens saisis par la panique et l’état de « guerre », ne viennent réaliser des achats de masse dans les magasins allemands. Phénomène déjà constaté dès avant l’instauration du confinement en France.
Comme on l’a vu dans de précédents articles, les Allemands ont un mot pour décrire ces acheteurs compulsifs : Hamsterkäufe ou acheteurs façon hamster.
Même la Chancelière Merkel a cru bon de les brocarder au nom du civisme, dans l’une de ses interventions consacrées au covid-19.
Comme des hamsters, les acheteurs frénétiques font nerveusement des provisions, et les stockent dans leurs abajoues.
Ce qui ajoute une touche d’absurde à l’irrationalité des Hamsterkäufe, que les allemands croyaient voir en les frontaliers submergeant les supermarchés allemands de leur fièvre acheteuse, est leur étrange obsession pour le papier toilette.
Le phénomène fut d’ailleurs mondialisé : des gens s’entretuant pour satisfaire à ce besoin urgent… d’acheter du PQ. Une obsession qui put même voisiner le crime.
La journaliste québécoise Isabelle Hachey racontait en mars dans le quotidien La Presse, qu’à Hong Kong, « deux hommes ont dérobé des rouleaux à la pointe d’un fusil ». À Sydney, « une mère et sa fille ont été accusées d’avoir tabassé une cliente ». Et un homme « a dû être maîtrisé au pistolet à impulsion électrique alors qu’il tentait d’étrangler un autre client ». En Australie, il a même été rationné, et placé sous surveillance.
Même dans la vertueuse Allemagne, on a vu une consommatrice s’installer sur le tapis de caisse d’une chaine de droguerie (très prisée par les frontaliers alsaciens), avant d’y être délogée par la police, puis de s’excuser piteusement, afin de protester contre l’interdiction qui lui était opposée d’acheter 2 packs de rouleaux.
Nul ne semblant réaliser que de nombreux journaux, que nous n’énumérerons pas ici par décence confraternelle, dont des quotidiens régionaux, peuvent aisément servir de substitut, et connaitre ainsi une seconde vie, voire trouver une utilité sociale qui leur faisait défaut jusque-là.
Cela dit, l’Allemagne, tout comme ses voisins autrichiens et suisses, ont « le clair objectif d’un retour d’une libre circulation en Europe à partir de la mi-juin », à condition que la pandémie de coronavirus reste sous contrôle, a annoncé mercredi 13 mai le ministre de l’Intérieur fédéral allemand, Horst Seehofer.
C’est heureux, en cette perspective (provisoire) de renouveau européen, il est temps que les alsaciens manifestent concrètement leur solidarité avec les glaciers italiens d’outre-Rhin !
Deux considérations:
‑deux mois et quelques miliers de morts après le début de l’épidémie en Alsace, avec 500 morts (plutôts: personnes laissées mourir) dans les EHPADs du Haut-Rhin, il y a encore beaucoup d’alsaciens dans le déni.
– la fermeture de la frontière franco-belge de la part des autorités françaises en quoi diffère-t-elle de celle dont vous parlez? A mon avis les deux sont raisonnables et motivées.
c’est ridicule et honteux dans le cas de la dame qui se rendait dans un magasin, je sais, mais il faut pas oublier que les frontaliers allemands ne peuvent pas se déplacer non plus ! J’en connaît pas mal … passer la frontière ne veut pas dire ne pas se faire verbaliser. Et en France, on est champions en ce qui concerne les amandes 😉
les francais aiment le beurre et l’argent du beurre! ca se fait pas.
@Lloyd: « A mon avis les deux sont raisonnables et motivées. »
ah? il faudra m’expliquer en quoi fermer une frontière a un intérêt quelconque dans la situation… si le virus est installé de part et d’autre de la frontière, et que des gestes barrière sont appliqués, pourquoi a t‑on alors plus de chances de contaminer ou être contaminé en Allemagne ou Belgique qu’en France ?