La formule employée par le préfet du Haut-Rhin dans un courrier du 19 juin dans sa réponse aux organisateurs d’une expression collective sur la voie publique résume la question :
« Conformément au décret n° 2020 – 724 du 14 juin 2020, j’autorise ce rassemblement et vous demande de respecter les mesures de distanciation physique et d’hygiène permettant d’éviter la propagation du covid19. ».
Rappelons à ce sujet que le régime légal « normal » en vigueur prévoit une simple déclaration des expressions collectives sur la voie publique, et d’éventuelles interdictions pour risques de troubles à l’ordre public, et non une autorisation préalable !
Par ailleurs, le 16 juin un communiqué commun de la Ligue des Droits de l’homme, d’association, d’universitaires, d’avocats, réagissait au projet de loi « organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire » débattu à l’Assemblée nationale à partir du 15 juin, dénoncé comme portant atteinte aux libertés publiques.
Prolongeant l’état d’urgence sanitaire pendant une période de quatre mois sous couvert de l’appellation trompeuse de « fin de l’état d’urgence », il maintient bel et bien ledit état d’urgence en instaurant dans le droit commun un régime d’exception dont la durée maximale n’est pas définie.
Tout en sortant formellement du cadre de la loi précédente du 23 mars, le gouvernement veut ainsi créer un système à la carte où les évolutions du contexte sanitaire autoriseraient le ministre de la santé à prendre toutes mesures nécessaires pour répondre à la menace sanitaire, en application du code de la santé publique et/ou de la loi du 23 mars en vigueur jusqu’en avril 2021, mais pouvant être réactivé à tout moment par simple décret en Conseil des ministres.… mais aussi élargir aux prérogatives du Premier ministre les possibilités de la loi organique en préparation.…
Une futur loi qui n’oublie évidemment pas les dispositions les plus dangereuses pour les libertés publiques, très au delà des seules considérations sanitaires.
Ainsi du délit de violation réitérées des interdictions diverses édictées en lien avec la pandémie serait toujours applicable, malgré les innombrables cas de verbalisations abusives constatées durant la période de « confinement », comme d’entraves à la liberté d’aller et venir, de se rassembler et de manifester, très encadrées, alors qu’il s’agir d’une liberté politique essentielle en démocratie.
Le Conseil d’État avait tout récemment considéré sur recours d’associations et de syndicats que les interdictions de rassemblement de plus de 10 personnes constituaient une atteinte grave et illégale à la liberté de manifester, ces démonstrations pouvant être organisées, jusqu’à 5000 personnes du moins, en respectant les mesures nécessaires de protection (ce qui a conduit le gouvernement par décret du 14 juin à permettre aux préfets d’autoriser, ou pas, certaines manifestations sur la base de critères non précisés – dont le préfet du Haut-Rhin dans sa décision précitée).
Le gouvernement projette donc maintenant de passer à une étape bien supérieure avec le projet de loi organique.
Par un récent communiqué la Commission nationales Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) alerte sur le danger pour le respect des droits et libertés de cette loi organique supposée organiser la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Elle pointe « l’approche policière » de la santé publique et dénonce le pouvoir conféré au Premier ministre de restreindre (à des fins de préservation de celle-ci) la liberté de se réunir et de manifester sur la voie publique.
Elle rappelle que les « incertitudes » de la situation sanitaire ne sauraient donc conférer au Premier ministre le droit de porter atteinte à des droits garantis par la Constitution (rappelons que le Conseil constitutionnel est par ailleurs saisi sur la conformité de ces dispositions).
Dans sa mission de conseil des pouvoirs publics la CNCDH appelle à rétablir au plus vite les principes de l’État de droit.
Mais pourquoi donc refuser des mesures de contrôle sanitaire, peut-être nécessaires dans la lutte contre le virus ? Pourquoi attendre de nos parlementaires qu’ils refusent ces modalités de « sortie » de l’urgence sanitaire ?
Parce ce que notre arsenal juridique n’est pas basé sur la construction d’un système à la carte où les restrictions graves et pérennisées à des libertés publiques seraient uniquement dépendantes d’appréciations par le seul pouvoir de l’exécutif des « risques sanitaires », dans des conditions extrêmement imprécises, après des avis scientifiques souvent contradictoires, dans un contexte social gros d’expressions populaires et de contestations légitimes qui se multiplient avec les manifestations pour l’emploi, pour l’hôpital public, contre les violences policières, pour n’évoquer que les plus récentes.
La CNCDH, comme nombre de défenseurs des droits et de juristes, a rappelé l’expérience précédente de la frénésie législative liée à l’état d’urgence « anti – terroriste », cousine de l’urgence sanitaire, qui nous est proposée, riche en atteintes aux droits fondamentaux.
Dans leur communiqué précité du 16 juin associations, syndicats, universitaires, avocats, membres du réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire, évoquent un risque de « vérolisation » de notre appareil légal par ces textes en préparation, textes en trompe‑l’œil, textes-écrans pour satisfaire à des tentations autoritaires bien réelles.
La période qui vient ne sera pas paisible et ce gouvernement entend bien utiliser toutes les possibilités et opportunités pour contrôler, dissuader, voire empêcher, les expressions publiques des mécontentements populaires.
Une vraie question est posée : la démocratie est-elle soluble dans une pandémie ou est-elle la condition nécessaire pour combattre ce virus, tous les virus, y compris celui de l’autoritarisme ?