Il y a eu des élec­tions muni­ci­pales à Mul­house, comme dans 5000 autres com­munes fran­çaises. En dépit de la déso­la­tion démo­cra­tique locale avé­rée, des gens, bien-aise, se sont congra­tu­lés, ce dimanche 26 juin. Cer­tains d’avoir par leur vic­toire satis­fait à l’exigence de léga­li­té publique formelle.

On oublie­ra vite la petite ses­sion de pro­pa­gande vélo­ci­pé­dique en la jour­née de same­di, pré­cé­dant le second tour, com­mise par les pom-pom girls (et boys) de la majo­ri­té muni­ci­pale, dont on nous serine, y com­pris chez nos lec­teurs, qu’elle n’a pas don­né lieu à dis­tri­bu­tion de tracts électoraux.

C’est dire si l’i­ni­tia­tive était légale, et loyale, envers les autres candidat-es !

Toutes les condi­tions étaient donc réunies au mieux pour faire de la vic­toire du clan Rott­ner-Lutz, bour­sou­flé d’autosatisfaction ce soir là dans les locaux de la mai­rie, mais très sou­cieux de fau­der­chi­ser l’ambiance, sur l’air de « ce fut une élec­tion pas ordi­naire », et de « je veux une bonne oppo­si­tion ». Oui, mais des Pan­za­ni, soit « une oppo­si­tion ayant le devoir de s’opposer », ain­si que le klaxon­nait la sémillante, et tou­jours tau­to­logue, Mme Lutz, ci-devant mai­resse de la cité.

Donc le résul­tat brut de décoif­fage énonce que la liste de Rott­ner-Lutz arrive en tête dans la majo­ri­té des bureaux de vote (48 sur 64). Celle de la gauche verte et fron­deuse de Loïc Mine­ry arrive en tête dans 12 bureaux, et Lara Mil­lion n’au­ra fait la course devant que dans à peine 4 d’entre eux.

Oublions Ritz, même si sa sor­tie de route élec­to­rale ne nous aura débar­ras­sé que très momen­ta­né­ment d’une énième chauf­farde d’ex­trême droite, dont la cité du Boll­werk fut trop long­temps coutumière.

Ter­mi­nus civique 

En fait, le seul évè­ne­ment fon­da­men­ta­le­ment remar­quable, à point tel qu’on s’est empres­sé de l’ou­blier chez les « vain­queurs », est la déser­tion qua­si ter­mi­nale de l’électorat mul­hou­sien. Plus des trois-quarts par­mi celui-ci (75,43 %) a en effet choi­si de s’abstenir. 

Dif­fi­cile d’en blâ­mer le seul contexte sani­taire, même si l’abstention a été par­ti­cu­liè­re­ment mar­quée natio­na­le­ment, à plus de 58%, en hausse de 20 points par rap­port à 2014. 

Il parait donc dif­fi­cile d’exclure com­plè­te­ment la psy­chose pan­dé­mique comme phé­no­mène péri­phé­rique d’explication à cet état de fait, sur­tout à Mul­house, foyer ori­gi­nel de la dif­fu­sion lors des pre­miers jours.

On évo­que­rait bien le carac­tère dis­sua­sif créé par la sur­vi­vance des machines à voter, machines à fau­ter, héri­tage pathé­tique du Bocke­lisme naze-tech, mais cela parait même improbable. 

Un poli­to­logue média­tique (Brice Tein­tu­rier) pré­fère quant à lui s’en remettre à son concept pro domo de « PRAF atti­tude » ou « plus rien à faire » de la part du citoyen, qui ver­rait désor­mais arri­ver les échéances élec­to­rales avec le même entrain que la pers­pec­tive de se faire dévi­ta­li­ser une dent.

Il se trouve que l’électoralisme quin­quen­nal ou sexen­nal (sans gri­voi­se­rie), dans le cas des élec­tions muni­ci­pales, semble en fait rele­ver de l’orage inflam­ma­toire au sein du cor­tex pré­fron­tal du citoyen moyen. Celui qui gère la pen­sée de court terme asso­ciée à la croyance poli­tique en une prise sur le réel, pro­por­tion­née à la mesure de son inves­tis­se­ment civique. 

Or, cet échauf­fe­ment de rage impuis­sante dans la pen­sée réflexe des citoyens, qui ne veulent ou ne peuvent plus enca­drer la tête du moindre poli­ti­cien arbo­rant sa mine réjouie sur les pla­cards élec­to­raux, semble ron­ger plus par­ti­cu­liè­re­ment la modeste, mais néan­moins moyenne cité mul­hou­sienne, comme peu de cités alsa­ciennes ou fran­çaises par ailleurs. 

l’Al­sace tout entière n’est pas mieux lotie que la si peu repré­sen­ta­tive « Milhü­sa ».

La maire la moins muni­ci­pale de France 

A com­men­cer par l’état de son corps élec­to­ral, déla­bré à nul autre pareil. Il est vrai cepen­dant que l’Al­sace tout entière n’est pas mieux lotie que la si peu repré­sen­ta­tive Milhü­sa.

rien ne vaut Mul­house, sur­tout lorsque les résul­tats expli­citent com­bien ses repré­sen­tants ne repré­sentent plus qu’eux-mêmes

Notre esti­mable confrère « L’Al­sace » (que son action­naire unique soit sanc­ti­fié), s’est même fen­due d’une inves­ti­ga­tion minu­tieuse des résul­tats, et note que des « maires des com­munes alsa­ciennes de plus de 1 000 habi­tants ont gagné leur fau­teuil avec, en moyenne, les bul­le­tins de vote de seule­ment 28 % des ins­crits. Trente et une têtes de liste ont même rem­por­té le scru­tin sans être élues par au moins 20 % des électeurs ».

Mais rien ne vaut Mul­house, sur­tout lorsque les résul­tats expli­citent com­bien ses repré­sen­tants ne repré­sentent plus qu’eux-mêmes. Le double quo­ti­dien unique alsa­cien consacre d’ailleurs sa pre­mière magis­trate comme la « maire la moins bien élue de France dans les com­munes de plus de 1 000 habi­tants » !

Mais quelle mouche semble avoir piqué nos si res­pec­tables confrères, d’or­di­naire si velou­tés avec les baron­nies alsaciennes ? 

Mul­house, ses 109 443 habi­tants, et ses misé­rables 49 046 élec­teurs ins­crits. Soit 44% de la population. 

Bien sûr, le phé­no­mène est connu de longue date.

Exa­mi­nons ce qu’il en est chez la voi­sine du 68, avec Col­mar, ses 69 105 habi­tants et ses plan­tu­reux 42 585 élec­teurs ins­crits, soit 61% de sa population !

Si l’on addi­tionne les employés, les ouvriers, les retrai­tés, et les per­sonnes sans emploi, on obtient plus de 80% de la stra­ti­fi­ca­tion démo­gra­phique mulhousienne

On vous entend déjà rai­son­ner trom­pette autour de « Mul­house, ville jeune et immi­grée », comme expli­ca­tion ter­mi­nale du défi­cit démo­cra­tique. Réen­four­chons nos vélos. 

Mais le cirque élec­to­ra­liste est-il deve­nu si rédhi­bi­toire, au point de dis­sua­der l’ins­crip­tion sur les listes élec­to­rales quand on est en droit de le faire, ou pra­ti­quer l’é­vi­te­ment du recen­se­ment lors­qu’on est jeune ? 

La struc­ture socio-démo­gra­phique de la ville apporte l’essentiel de la réponse.

Si l’on addi­tionne les employés, les ouvriers, les retrai­tés, et les per­sonnes sans emploi, on obtient plus de 80% de la stra­ti­fi­ca­tion démo­gra­phique mul­hou­sienne (selon les chiffres INSEE de 2017).

Mul­house est une sin­gu­la­ri­té dans le pay­sage urbain national

En matière de niveau sco­laire, plus de 34% des habi­tants n’ont aucun diplôme, 4% un bre­vet des col­lèges, et 25% est titu­laire d’un CAP. Soit les deux tiers de la population.

Mul­house est une sin­gu­la­ri­té dans le pay­sage urbain natio­nal. Mais c’est aus­si là le pro­duit de son héri­tage indus­triel et historique.

Seule Mar­seille peut ser­vir par­tiel­le­ment de point de com­pa­rai­son socio-démographique.

Ouvriers et employés res­tent pareille­ment majo­ri­taires dans la moi­tié des quar­tiers de la cité pho­céenne, et forment avec les retrai­tés les deux tiers de la population.

863 310 habi­tants, et plus de 507 000 élec­teurs, c’est 59% de sa population.

Le clan Rott­ner-Lutz conserve donc la mai­rie avec 9,24 % des ins­crits, rafle 39 sièges sur 55 du conseil muni­ci­pal, dans une ville ou seule 44 % de ses habi­tant sont ins­crits sur les listes électorales

Un ratio d’électeur supé­rieur à 50% se véri­fie dans presque toutes les villes moyennes et grandes, sauf à Mul­house, donc. La ville cumule à la fois le corps élec­to­ral le moins repré­sen­ta­tif de la popu­la­tion, et le score élec­to­ral muni­ci­pal le plus insi­gni­fiant qui soit en Alsace, et dans toutes les villes moyennes et grandes. 

A la léga­li­té de l’élection, qui per­met au clan Rott­ner-Lutz de conser­ver la mai­rie avec 9,24 % des ins­crits, qui rafle 39 sièges sur 55 du conseil muni­ci­pal (mer­ci à la « prime majo­ri­taire », dont nous par­le­rons dans ces colonnes), dans une ville ou seuls 44 % de ses habi­tant sont ins­crits sur les listes élec­to­rales, que peut-on oppo­ser, et attendre de bon, alors même que nous assis­tons à un camou­flet démo­cra­tique d’envergure ? 

Léga­lisme cla­nique VS légi­ti­mi­té populaire

Ce clan, issu d’un double hold-up élec­to­ral (Bockel vers Rott­ner, Rott­ner vers Lutz), se cram­ponne ain­si sur une pra­tique du fait accom­pli, en s’ap­puyant conti­nu­ment sur le fait légal, quand bien même cha­cune de ses redis­tri­bu­tions poli­tiques semble rele­ver du hold-up, puisque son socle élec­to­ral réel est marginal !

Un fait légal qui lui per­met de sur­croît d’a­gir par écrê­te­ments suc­ces­sifs. Au pré­texte d’une brouille inepte avec la com­mu­nau­té d’agglomération, fon­dée sur des que­relles d’égo et des ambi­tions per­son­nelles pitoyables, on dis­pose de son équipe, on exclut et on remo­dèle à sa guise. 

Quel­que­fois parce qu’un tel n’est plus suf­fi­sam­ment en confor­mi­té avec la ligne, ou en odeur de sain­te­té. Tel autre peut-être déles­té de ses délé­ga­tions ou sim­ple­ment ban­ni par lettre de cachet, selon les vapeurs du Prince sacer­dote ou de la Prin­cesse embaumeuse.

Inca­pable de sai­sir et s’ou­vrir à de nou­velles pra­tiques d’engagement citoyen actif, c’est à dire déci­sion­naires, sans vou­loir le contrô­ler obses­sion­nel­le­ment, et le confor­mer à sa mes­qui­ne­rie ordi­naire, tant il est vrai que la majo­ri­té du per­son­nel poli­tique oublie la manière dont il a été élu.

A cette léga­li­té creuse, depuis laquelle le clan mul­hou­sien innerve son auto­ri­ta­risme miel­leux, il s’a­git d’op­po­ser la légi­ti­mi­té du fait citoyen, en tant que pra­tique active de la résis­tance poli­tique, contre toute gla­cia­tion dans laquelle sera assu­ré­ment main­te­nue tout renou­veau citoyen, pour cet exé­cu­tif municipal. 

Inca­pable de sai­sir et s’ou­vrir à de nou­velles pra­tiques d’engagement citoyen actif, c’est à dire déci­sion­naires, sans vou­loir le contrô­ler obses­sion­nel­le­ment, et le confor­mer à sa mes­qui­ne­rie ordi­naire, tant il est vrai que la majo­ri­té du per­son­nel poli­tique oublie la manière dont il a été élu. 

Des fâcheux appellent cela le syn­drome « Chi­rac 2002 ». Élu avec 80 % des voix à l’é­lec­tion pré­si­den­tielle, dont celles, mas­sives, de tout le spectre de gauche, contre la menace Front Natio­nal, Chi­chi connut à cette occa­sion ses pre­mières absences mémo­rielles pen­dant la durée de son mandat. 

A Col­mar, le roué Eric Strau­mann, nou­veau maire élu, réa­lise quant à lui que le contexte mérite mieux qu’une simple addi­tion élec­to­ra­liste : il vient de pro­po­ser un poste d’ad­joint à Fré­dé­ric Hil­bert (can­di­dat éco­lo­giste arri­vé en seconde place à la municipale). 

Alors, qu’at­tendre de démo­cra­ti­que­ment nova­teur dans l’es­pace public, hors les ice­bergs muni­ci­paux sous les eaux gla­cées des­quelles roule l’éternel cal­cul égoïste ? 

Une pre­mière réponse pour­rait notam­ment être appor­tée par La Conven­tion Citoyenne pour le Cli­mat (CCC), qui vient juste de rendre ses tra­vaux. Il ne s’a­git que d’un pre­mier feu expri­mant une modeste mais nette volon­té directe et popu­laire de trans­for­ma­tion sociale et environnementale. 

Même si le gou­ver­ne­ment s’y est déjà empres­sé d’éteindre les quelques vel­léi­tés de rou­geoie­ments sub­ver­sifs qui y prennent racine, comme le chien­dent de toujours… 

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