Cou­rant mai et juin der­niers, Jean Rott­ner, pré­sident de la méga-région qu’on sait, et la pré­fète d’icelle, Josiane Che­va­lier, ont été à l’initiative d’une opé­ra­tion nom­mée « Busi­ness Act Grand-Est ».

Déjà envi­sa­gée avant la crise sani­taire, elle fut rebap­ti­sée bien oppor­tu­né­ment « Busi­ness Act post-covid ».

22 thèmes éco­no­miques et indus­triels ont fait l’objet de « mas­ter-classes » ou de groupes de tra­vail aux­quels ont été conviés des « experts », des « sachants », par­mi les­quels ne figu­raient qu’en marge les repré­sen­tants des sala­riés : l’épidémie comme occa­sion d’exclure les corps inter­mé­diaires qui dérangent ?

L’un des thèmes était consa­cré à la culture. La note de syn­thèse du groupe de tra­vail qui plan­cha sur le sujet a sus­ci­té les remarques suivantes.

Remarques sur syn­thèse Busi­ness Act « culture – filières créa­tives – rayonnement »

Uti­li­sant une phra­séo­lo­gie dans l’air du temps, recou­rant à des for­mules dont on a du mal à sai­sir la per­ti­nence dans le domaine de la culture (« éco­no­mie cir­cu­laire locale et durable »? « modèle éco­no­mique ver­tueux » ?),  la majeure par­tie de la res­ti­tu­tion est consa­crée à pré­sen­ter – de manière qua­si incan­ta­toire – les tech­niques numé­rique comme étant la réponse abso­lue à l’interruption d’activité du sec­teur due à l’épidémie. Sans doute cette der­nière ne sert que de pré­texte pour pro­mou­voir des objec­tifs déjà envi­sa­gés auparavant.

Appli­quée ne serait-ce qu’au spec­tacle vivant, acti­vi­té sociale par excel­lence, on aura vite com­pris à quel point cette pana­cée uni­ver­selle est dénuée de sens.

Sans nier tou­te­fois entiè­re­ment l’intérêt que peut avoir un déve­lop­pe­ment de l’offre cultu­relle en ligne,  elle ne sau­rait pour autant se sub­sti­tuer à la ren­contre phy­sique avec les objets cultu­rels, ni consti­tuer une solu­tion aux pro­blèmes d’emploi des métiers de la culture, carac­té­ri­sées par une forte pré­ca­ri­té, ni davan­tage amé­lio­rer en soi un élar­gis­se­ment des publics, ce qui devrait être la prio­ri­té d’une poli­tique cultu­relle au ser­vice de la population.

La ques­tion des moyens et finan­ce­ments du sec­teur n’apparaît que sous forme d’incitation à recou­rir au mécé­nat, vieille recette qui n’a rien d’innovant, qui per­met aux pou­voirs publics de se défaus­ser de leurs res­pon­sa­bi­li­tés en la matière et dont on connaît les limites (attente d’un retour sur inves­tis­se­ments en terme d’image, ce qui peut peser sur les conte­nus). Il est en outre dou­teux que le mécé­nat cultu­rel soit avant long­temps une pré­oc­cu­pa­tion majeure des entre­prises aujourd’hui mises à mal par la crise sanitaire.

Les termes de « com­mer­cial » et d’ »oppor­tu­ni­tés busi­ness » sont  des mots qui fâchent dans un sec­teur qui relève en bonne part d’une concep­tion de ser­vice public.

La culture est abor­dée de manière tota­le­ment dés­in­car­née, sans prise en compte de la diver­si­té des branches d’activité, alors que les pro­blèmes se posent d’évidence de manière dif­fé­rente de l’une à l’autre (spec­tacle vivant, audio­vi­suel, ciné­ma, livre, arts plas­tiques, musées, archi­tec­ture, etc.).

L’apologie du recours à un tout-numé­rique, qui implique un rap­port indi­vi­duel, voire consu­mé­riste, aux œuvres, marque en creux un retour à l’idée de « la culture pour cha­cun » – id est « à cha­cun sa culture », en place de « la culture pour tous », chère à Fré­dé­ric Mit­ter­rand – soit une culture non par­ta­gée, pri­son­nière des  usages propres aux caté­go­ries socio-cultu­relles, géné­ra­tion­nelles ou com­mu­nau­taires, ce dont il est expli­ci­te­ment fait men­tion : « des par­cours usa­gers en fonc­tion des pré­fé­rences de l’utilisateur (âge, centre d’intérêt…) ».  

L’absence de dis­tinc­tion faite entre pra­tiques pro­fes­sion­nelles et non-pro­fes­sion­nelles (dites « en ama­teur ») pose ques­tion et inquiète.

La pro­po­si­tion de créer « un évé­ne­ment majeur pour créer des oppor­tu­ni­tés busi­ness et per­mettre la signa­ture de contrats » sonne comme une inten­tion de mettre en place une sorte de grande foire, à l’instar du « mar­ché d’esclaves » que consti­tue le fes­ti­val « off » d’Avignon, où des mil­liers d’artistes (léga­le­ment pré­su­més sala­riés) jouent pen­dant un mois sans rému­né­ra­tion et dont les spec­tacles sont mis en concur­rence, une aubaine pour les dif­fu­seurs qui y font leurs emplettes à bon compte pour rem­plir les pro­gram­ma­tions de leurs salles : on ne sau­rait mieux contri­buer à la mar­chan­di­sa­tion de la culture !

La pré­oc­cu­pa­tion d’assurer le « rayon­ne­ment » (« vitrine »  –  de quoi, sinon de la région GE et de son pré­sident ?) tra­hit une ins­tru­men­ta­li­sa­tion de la culture à des fins autres que le ser­vice à la popu­la­tion (la liai­son uti­li­ta­riste habi­tuel­le­ment faite avec le tou­risme est par ailleurs éga­le­ment pré­sente dans le texte – « mar­ket­place »).

L’accès aux œuvres en ligne sup­pose la créa­tion de pla­te­formes publiques (pour télé­char­ge­ments légaux et/ou vision­nages), exempts de publi­ci­té, afin d’écarter des opé­ra­teurs sou­vent ins­tal­lés hors de l’hexagone, peu sou­cieuses de rem­plir, ni leurs obli­ga­tions fis­cales, ni de rétri­buer cor­rec­te­ment les créa­teurs.  Car il reste à régler les ques­tions de rému­né­ra­tions des inter­prètes (et des auteurs) – salaires, droits voi­sins, droits d’auteur – en matière de dif­fu­sion numé­rique, ce qui est loin d’être le cas, sou­vent dérisoires.

À noter que la ques­tion des rému­né­ra­tions pour les cap­ta­tions de spec­tacle vivant n’ont pas davan­tage fait l’objet de négo­cia­tions satisfaisantes.

En tout état de cause, il y a lieu de s’inquiéter, à la lec­ture du texte, des poten­tielles menaces sur l’emploi, la diver­si­té cultu­relle et la liber­té d’expression artis­tique qu’il recèle.

Quelques pistes reven­di­ca­tives CGT :

- Enga­ge­ments concrets de la région, notam­ment bud­gé­taires, à fin de contri­buer à la reprise et à la relance des branches cultu­relles, notam­ment du spec­tacle vivant, par­ti­cu­liè­re­ment tou­ché par la crise sanitaire.

- assu­rer un accès réel­le­ment égal des popu­la­tions à la culture (cf. carte implan­ta­tion des scènes natio­nales et CDN ci-des­sous : le GE se révèle être en bonne part un « désert culturel »).

- péren­ni­sa­tion de l’emploi (notam­ment per­son­nels tech­niques des struc­tures de spec­tacle vivant)

- Renouer avec le tra­vail d’action cultu­relle (recherche de nou­veaux publics, dont les publics « empê­chés » ou « éloi­gnés » – pas uni­que­ment géo­gra­phi­que­ment mais éga­le­ment socio-culturellement)

- inféo­der l’attribution de sub­ven­tions aux pro­jets au res­pect de la légis­la­tion sociale.

- orga­ni­ser la ren­contre régu­lière des publics sco­laires avec les dif­fé­rentes formes de spec­tacle vivant.

La syn­thèse du groupe de tra­vail culture est dis­po­nible ici.