Contexte
Cela fera près de 8 mois que nous avions sollicité auprès de la direction du GHRMSA de pouvoir consulter les procès-verbaux du Conseil de surveillance, organe décisionnel du groupement hospitalier, dont le vaisseau amiral est l’hôpital Émile Muller de Mulhouse.
Nous pensions, bien naïvement il est vrai, nous en remettre spontanément à son administration afin de recevoir rapidement ces documents, qui sont publics par nature, et doivent être remis sur simple demande à tout citoyen, quand d’autres établissements, plus grands encore, tels le gestionnaire d’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP), les met directement à disposition sur leur site internet institutionnel.
Les dirigeants du GHRMSA préférèrent quant à eux ignorer la loi, quand bien même le président de son Conseil de surveillance, Jean Rottner, fut le premier magistrat de la ville dont le groupement hospitalier est le siège.
Ne pouvant pas plus compter sur la sollicitude des élus des communes impactées par les décisions prises, et représentées directement ou non au sein du conseil, il nous fallait agir autrement.
Raison pour laquelle le modeste média que nous formons a dû s’en remettre à une commission parisienne spécialisée, nommée la CADA (commission d’accès aux documents administratifs), qui, après 5 mois d’instruction, finit par nous donner raison.
Nous pouvions en effet avoir accès à ces procès-verbaux de plein droit. Mais la direction de l’hôpital préféra encore faire trainer les choses, et nous fit lanterner plusieurs semaines encore, avant de nous en remettre une partie, alors que nous nous apprêtions à saisir le Tribunal administratif de Strasbourg.
Le procédé, particulièrement méprisant, et illégal de surcroit, s’agissant d’élus et de fonctionnaires ne méconnaissant par leurs obligations en matière de transparence publique, ne pouvait que nous raffermir dans la conviction que quelque chose devait nécessairement les embarrasser, pour multiplier ainsi les fins de non-recevoir à notre endroit.
A l’origine, nous n’avions voulu consulter les documents que pour tenter de nous faire une idée sur les choix et délibérations ayant mené à l’instauration d’un parking payant. Mais le diable se logeait dans le détail de ces phrases lacunaires et impersonnelles.
Après examen de ces documents, nous avons résolu d’y distinguer deux thèmes essentiels : l’affaire de mise en place d’un parking payant (qui fera l’objet d’un article à part entière), et le processus de fermeture de services au sein des hôpitaux de proximité à Thann et Altkirch.
Tout n’est hélas pas consigné en détail dans ces pages aussi glaciales qu’une synthèse de réunion de comité d’entreprise. Et cela pour au moins deux raisons : de nombreuses décisions sont arrêtées par des commissions secondaires et autres conseils spécialisés, pour lesquels nous ne disposons pas des rapports. Et enfin parce que les politiques, surtout les deux présidents successifs, que sont Bockel et Rottner, se sont bien gardés de multiplier les réserves ou oppositions au cours de ces assemblées.
Cependant, de nombreux éléments mis en perspectives permettent de mieux comprendre et cerner les enjeux de pouvoir qui s’y jouent entre les différents acteurs, notamment entre le directoire (c’est à dire l’exécutif de l’hôpital) et les élus des communes tributaires de leurs décisions.
Le directoire ayant toute marge de manoeuvre, dès lors qu’il est téléguisé par l’ARS, pour agir et décider. Le Conseil ne semblant alors servir que de chambre d’enregistrement.
La covid-19 a placé comme jamais en exergue les failles de notre système de santé. Celles-là mêmes que tous les soignants, notamment mulhousiens, dénonçaient depuis des mois voire des années, au cours de grèves à réplétion au service des urgences, aussi bien que dans les EHPAD, à l’agonie depuis de nombreuses années, ou encore dans les services de psychiatrie saturés, notamment.
Il n’est donc que temps d’y voir plus clair dans la chaine de décision politico-administrative de notre hôpital public, laquelle aura conduit à des impasses lourdes de conséquences pour l’ensemble des patients et de notre système de soins.
Mue par une autosatisfaction affligeante, simplement inspirée par le paradigme budgétaire et managérial, les errements de cette gouvernance se paye aujourd’hui au prix fort. Pour autant, comme on le verra plus bas, certains membres du Conseil de surveillance continuent impunément à se glorifier de leurs actions.
Nous vous proposons aujourd’hui une première partie consacrée à la manière dont est pensée et relatée une « restructuration de l’offre de soins » selon le leitmotiv euphémisant recensé au sein des procès-verbaux consultés.
Soit l’examen des modalités dont le Conseil de surveillance du GHRMSA aura usé afin d’envisager l’avenir des sites de Thann et d’Altkirch, à partir de l’année 2017, c’est à dire au moment même où les urgences thannoises fermaient leurs portes.
Mars 2017
Jean-Marie Bockel, président du Conseil de surveillance du GHRMSA déclare ne pas solliciter un nouveau mandat.
Jean Rottner, seul candidat en lice, et encore maire de Mulhouse, est élu par 9 voix sur 14. 5 électeurs ont voté blanc.
Les dossiers qui attendent le nouveau président sont d’envergure. Le site de Thann a vu son service d’urgences disparaitre, et l’on sent déjà poindre quelques critiques contre les sites d’Altkirch et la maternité de Thann.
D’abord à fleuret moucheté, les échanges vont progressivement se durcir au fil des mois entre les membres du conseil.
Jean-Marie Bockel avait jusque-là réussi à louvoyer entre eux, en s’appuyant notamment sur ses accointances et amitiés personnelles avec les maires dont les territoires sont pourvus d’établissements de soins, en veillant à obtenir leur adhésion au groupement hospitalier en constitution depuis l’année 2012.
Jean Rottner bénéficie moins de cet avantage lors de son arrivée. Moins « florentin » que son prédécesseur, il s’y entend mal en matière d’esquive. D’autant qu’il est davantage perçu comme un opportuniste politique, quand bien même sa connaissance du secteur hospitalier lui donne naturellement voix au chapitre.
Mai 2017
Lors du Conseil de surveillance de mai 2017, les hostilités sont ouvertes, à mots couverts, par l’ex-directeur général de l’hôpital, Marc Penaud.
Parmi la liste des projets qui doivent être réalisés dans les prochains mois, il annonce l’ouverture du « Centre de soins non programmés » sur le site de Thann, enterrant définitivement le service des urgences qui s’y trouvait.
Mais c’est surtout la signature du contrat de performance avec l’ARS qui est perçue par certains membres, dont des élus, comme une ombre menaçant des structures sanitaires de proximité intégrées au groupement hospitalier. D’autant qu’un contrat de retour à l’équilibre financier s’y trouve associé.
L’enjeu y est clairement explicité : résorber le déficit structurel de l’établissement, qui s’élève alors à 16 millions d’euros.
Parmi les diverses annonces qu’effectue Marc Penaud (dont un projet « managérial » pour la période 2018–2022), les mois d’octobre et novembre 2017 seront ceux de l’inauguration du site « Émile Muller 3 », autrement dit, du pavillon « mère-enfant » destiné à servir de super maternité dans le Sud-Alsace.
Penaud précise que les travaux y ont repris après renégociation de l’ensemble des contrats, obtenant ainsi des gains financiers importants. Un sujet sur lequel nous espérons revenir très bientôt.
Le nouveau Président n’aura d’autre souci de que de s’aligner sur la méthode de son prédécesseur : en alternant remerciements de pure forme et considérations aussi générales que pusillanimes, à l’occasion de prises de paroles potentiellement polémiques.
Ainsi Rottner souligne-t-il la « densité et l’ambition de ce programme », ainsi que « l’engagement de l’établissement dans l’ensemble de ces démarches qui sont porteuses de sens »...
Mai – Juin 2017
À la fin du mois de mai 2017, un autre Conseil est convoqué. On y traite cette fois du « contrat performance », qui doit être signé avec l’ARS à la fin du premier semestre, et dont l’objectif est toujours de réorganiser l’offre de soin sur le territoire, d’abord dans une perspective budgétaire.
Marc Penaud fait remarquer que l’hôpital de Thann a perdu en attractivité depuis que le service d’urgence a fermé. Mais que le centre de soins non programmés connait une fréquentation haussière.
Temporisant sur d’éventuelles conclusions budgétaires, il rappelle ce faisant que les établissements de Thann et Altkirch perdent de l’argent, mais qu’ils constituent un atout dans l’offre de soins.
Les quelques détails du « contrat performance » stipulés dans le procès-verbal indiquent un point tout à fait significatif : « restructuration de l’offre territoriale en tenant compte de l’évolution des pratiques médicales et de la démographie médicale ».
Après avoir déclaré que les établissements de Thann et Altkirch sont des « atouts », on va voir que bien des membres du conseil de surveillance leur trouvent de nombreux griefs.
Juillet 2017
En juillet 2017, à l’occasion d’un rapport de gestion, le directeur des services financiers, Christian SIMON, aborde la situation de l’hôpital d’Altkirch.
Le résultat comptable y est largement déficitaire : – 4 011 212 euros de résultat principal et – 9 668 690 euros de résultat à affecter.
Le directeur Marc PENAUD souligne que l’ARS a versé une aide de 5 000 000 euros. Mais ce faisant, il rappelle que l’établissement était dans l’incapacité de poursuivre son activité avant la fusion.
C’est assez dire si « les réorganisations à venir permettront de redonner du sens à cet établissement ».
Soucieux de ne pas effaroucher les élus, surtout l’ancien maire d’Altkirch, il est dit que « M. Rottner souligne la qualité du dialogue qui a lieu avec M. Reitzer ».
Là encore, le Président Rottner cherche à anticiper d’éventuelles réactions épidermiques au sein de l’assemblée, par une joliesse rhétorique totalement creuse. Cela en pure perte, comme on le verra plus bas.
On demande aussitôt quel est l’impact financier de l’intégration du centre hospitalier d’Altkirch au GHRMSA. Ce à quoi il est répondu que les 10 millions de déficits impactaient les fonds propres du GHRMSA, et que l’ARS venait directement abonder la trésorerie d’Altkirch.
À l’occasion du point consacré au projet médical partagé (c’est-à-dire la prise en charge conjointe des pathologies entre divers établissements), la question de la maternité de Thann, et de sa conservation, apparait explicitement, pour la première fois.
Et c’est le maire de Cernay, Michel Sordi, qui sort du bois à ce sujet.
Le Directeur du GHRMSA se charge alors de souffler le chaud et le froid sur le devenir du site.
Il rappelle que le souci du groupement est l’augmentation d’activité sur tous les sites, que le centre de soins non programmés connait un grand succès, et que la chirurgie en hospitalisation complète sera conservée sur Thann et Altkirch.
Toutefois, prévient-il, le « taux de fuite » d’Altkirch s’élève à 70%, et que cela démontre la nécessité de modifier l’offre de soins.
Nombre de qualificatifs managériaux et de barbarismes lexicaux sont utilisés par les directions d’hôpitaux, et cela depuis une trentaine d’années au moins. Avec le Covid, on a ainsi la vague impression que la dimension gestionnaire et budgétaire des hôpitaux a été placée au second rang des préoccupations. Apparence hautement illusoire.
Ainsi, le « taux de fuite » caractérise la capacité de choix, et donc d’évitement, du patient à se faire soigner dans un établissement de santé publique, dont il dépend territorialement, lui préférant notamment une clinique privée.
Pour les administratifs hospitaliers, la santé est un « marché » comme n’importe quel autre. Au demeurant, la notion de « part de marché », locution managériale par excellence, revient d’ailleurs fréquemment dans les tableaux comptables et au cours des échanges entre les dirigeants et élus qui président aux destinées de l’hôpital.
Sur le sujet des maternités, l’argument massue utilisé par les gestionnaires pour justifier d’une fermeture est souvent le même : une démographie médicale en tension (plus assez de spécialistes), puis une sécurité et une conformité qui risquent de faillir.
Marc Penaud indiquant que si les services tiennent encore c’est par le recours (extrêmement onéreux) à l’intérim médical… Un sujet qui continue à défrayer la chronique… à Mulhouse !
Puis il reformule l’enjeu de sorte à se rallier à l’argument de circonstance évoqué plus haut : « quelle est la limite de risque que nous acceptons pour la prise en charge de parturientes et des enfants ».
Poser la question en ces termes, et en tant que gestionnaire en exercice, sur qui pèse une pression budgétaire constante de la part des administrations de tutelle (ARS, HAS), c’est déjà y répondre.
Une certaine Mme Sengelen qui intervient visiblement en tant que responsable, proche des administrations (dont nous n’avons retrouvé trace dans l’organigramme de l’époque), appuie l’argument en indiquant qu’il « faut anticiper les évolutions à venir, sous l’effet de la démographie médicale, pour éviter d’avoir à la subir ». Ajoutant : « une maternité n’est pas que l’acte d’accouchement ».
Elle évoque la nécessité de qualité et de compétence des équipes médicales, comme si celle-ci était mise en doute au prétexte de sa situation territoriale…
Puis, se faisant plus tranchante, elle énonce : « La réflexion du planificateur est basée sur les besoins du territoire. Certaines organisations vont potentiellement devoir évoluer pour tenir compte de ces impératifs ».
Là encore, Jean Rottner sent venir les premiers boulets, et s’oblige donc à enfoncer une nouvelle porte notoirement ouverte : « Il est légitime que ces avis s’expriment ».
Marc Penaud souhaite alors baliser la discussion en plaidant le consensus. Insistant sur l’esprit de responsabilité des travaux menés en lien avec l’ARS. Et rappelle que le GHRMSA est désormais la seule offre publique de soins du Sud Alsace.
Jean Sengler intervient alors en tant que président de la Commission médicale d’établissement (CME) et vice-président du directoire.
C’est un personnage pivot au sein de l’assemblée, et sans doute son doyen d’âge. Il a connu toutes les variations et évolutions du site Émile Muller.
L’homme vient tout juste de prendre sa retraite, comme le signale un article publié sur le site du GHRMSA.
L’Alsace lui consacre également un article laudateur à cette occasion. Où celui-ci rappelle notamment que le GHRMSA est son dernier chantier débuté en 2012, à la suite des difficultés financières rencontrées par la clinique des Trois Frontières de Saint-Louis. Il a mené à la fusion des différents établissements de santé du sud du Haut-Rhin.
« Un dossier éminemment sensible et politique », conclut Sabine Hartmann, la journaliste chargée de lui tirer le portrait, qui ne croit pas si bien dire.
Un article du 13 septembre 2017, toujours dans l’Alsace, rédigé par la même journaliste, et consacré au même médecin, révèle qu’il est « l’un interlocuteur privilégié de l’ARS Grand Est ». Ce qui n’étonnera personne en découvrant la teneur de ses déclarations successives au sein du Conseil de surveillance.
Celui qui sera l’un des maitres d’œuvre des restructurations hospitalières espère dans le même article que l’on « tirera toutes les leçons » de l’épreuve brutale du Covid-19, « pour construire un nouveau modèle de santé solidaire, efficient et humaniste ».
Toujours est-il qu’en 2017, au sein du Conseil de surveillance, son souci semblait bien autre : il y explique en effet que les sites mulhousiens sont déjà engagés dans un programme de réduction capacitaire. Et que l’effort doit pareillement être effectué sur l’ensemble des sites du GHR, au nom de la sécurité des soins.
Et c’est toujours en vue de « conserver la qualité du service rendu aux malades, dans le respect des équipes », qu’il confesse : « Avec le recul, je défendrais les mêmes stratégies. »
De toute évidence, la sortie comminatoire du Dr Sengler lors du Conseil interpelle immédiatement Michel Sordi, maire de Cernay, qui voit déjà poindre une menace supplémentaire pour Thann, dont l’hôpital vient de perdre son service d’urgences.
Il intervient donc pour rappeler à l’assistance les engagements pris au moment de la fusion pour maintenir l’offre de soins sur le site de Thann…
La deuxième partie est disponible ici.
Pour moi c’est un échec à Altkirch. De plus la population du Sundgau ne s’est pas mobilisée pour son hôpital, qu’elle ne s’étonne pas dans l’avenir.