Dans notre article paru le 6 jan­vier, L’Alterpresse68 avait aler­té les habi­tants mul­hou­siens sur les condi­tions qui sem­blaient dras­tiques pour obte­nir le cou­pon de gra­tui­té des plus de 65 ans, béné­fi­ciant de la gra­tui­té des transports.

En nous basant sur un cour­rier de Soléa daté du 21 décembre 2020 (voir ci-des­sous), nous infor­mions les lec­teurs d’une date fati­dique pour s’y ins­crire, celle du 15 jan­vier 2021… Ce qui était, avouons-le, sus­cep­tible de légi­times inter­ro­ga­tions sur la manœuvre…

La muni­ci­pa­li­té de Mul­house a d’abord réagi en contes­tant le fait, puis devant notre pré­sen­ta­tion des preuves, s’est bor­née à nous dire : « Ah bon, on ne savait pas… ». Ce qui nous a quand même intri­gués, même si les arcanes admi­nis­tra­tifs sont bien sou­vent d’une opa­ci­té bien opaque !

Contac­té, le ser­vice abon­né de Soléa nous a confir­mé qu’il y a eu de nom­breuses réac­tions qui ont conduit la direc­tion à éta­blir une note interne afin de s’expliquer. Effec­ti­ve­ment, la date du 15 jan­vier a bien été noti­fiée dans un cour­rier. Mais celui-ci était adres­sé aux seuls abon­nés actuels de plus de 65 ans, pour leur per­mettre d’accéder rapi­de­ment au cou­pon gratuit.

Il nous a donc été confir­mé que tout habi­tant mul­hou­sien pou­vait deman­der ce cou­pon gra­tuit durant toute l’année 2021 dès lors qu’il a atteint l’âge de 65 ans. ll n’y a donc pas urgence pour faire la démarche. 

Et il vaut mieux, tant elle est lourde…

Pourquoi fait simple quand on peut faire compliqué…

En effet, n’était-il pas plus simple de faire voya­ger gra­tui­te­ment les + de 65 ans mul­hou­siens sur simple pré­sen­ta­tion d’une carte d’identité à jour !

Mais c’est là que semble inter­ve­nir la ques­tion des gros sous.

Le réseau Solea relève de la ges­tion de la com­mu­nau­té d’agglomération (M2A) et concerne donc toutes les com­munes adhé­rentes. La gra­tui­té ne concerne néan­moins que les usa­gers (« clients » dirait-on chez Soléa !) mul­hou­siens, et la muni­ci­pa­li­té s’est enga­gée à payer le manque à gagner de cette mesure. 

La note peut être impor­tante si on prend en compte l’ensemble des plus de 65 ans à Mul­house : selon l’INSEE, ils et elles seraient plus de 14.000 ! Bien sûr, la majo­ri­té de ces per­sonnes n’utilisent pas les trans­ports en com­mun pour de mul­tiples rai­sons. Pour faire le compte, il fau­drait faire une enquête… Il aurait même fal­lu la faire avant de for­mu­ler la pro­messe élec­to­rale de la gratuité…

Pour que la muni­ci­pa­li­té paye le juste prix, il faut donc que les per­sonnes dési­reuses de voya­ger gra­tui­te­ment s’inscrivent et obtiennent un cou­pon spé­cial : voi­là ce qui explique la (petite) usine à gaz ima­gi­née par les ges­tion­naires des transports.

La mauvaise foi du maire de Pfastatt !

Cette limi­ta­tion des béné­fi­ciaires de la gra­tui­té aux seuls Mul­hou­siens-nes, sus­citent incom­pré­hen­sion et colère chez d’autres usa­gers poten­tiels habi­tant dans les autres com­munes de M2A. 

Aux récri­mi­na­tions venant d’un de ses habi­tants, le maire de Pfas­tatt rétor­qua que sa com­mune ne pour­rait assu­mer le coût qui lui paraît exor­bi­tant : dans la presse, il rap­pelle que sa ville com­porte 1766 per­sonnes de plus de 65 ans et qu’au prix de 300 € l’abonnement, la fac­ture revien­drait à un coût annuel de 530.000 euros ! 

On connaît Fran­cis Hil­l­meyer plus rigou­reux que cela sur d’autres sujets : il n’y aurait pas 1.766 per­sonnes qui uti­li­se­raient les trans­ports et le prix de 300€ devrait être négociable…

Mais en réa­li­té, ce qui gêne tous les élus, c’est l’idée que la gra­tui­té des trans­ports pour tous pour­rait être la pro­chaine étape ! C’était la pro­po­si­tion du groupe Mul­house Cause Com­mune, et si jamais cette for­ma­tion (arri­vée seconde lors des élec­tions muni­ci­pales) gagne aux pro­chaines échéances, il fau­dra bien hono­rer une pro­messe électorale.

Tout à fait réalisable !

Nous avons déjà fait état dans L’Alterpresse68, que de nom­breuses villes ont déjà adop­té la gra­tui­té des trans­ports en com­mun pour toute la popu­la­tion, en France comme à l’étranger. Trente-cinq villes (dont Dun­kerque, Mont­pel­lier, Com­piègne…) la pra­tiquent comme on peut le décou­vrir sur ce site.

Elles ont expé­ri­men­té que, si la gra­tui­té est réelle pour les usa­gers, elle ne l’est pas pour la socié­té de trans­ports ou la régie qui l’administre. Les 32 com­munes ont su trou­ver les moyens pour l’assumer.

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Il faut dès lors admettre que le pro­blème n’est pas une ques­tion de coût, mais de choix poli­tique. Si on reste dans la vision actuelle des cri­tères de ren­ta­bi­li­té, on en arrive aux conclu­sions de l’ancien adjoint au maire aux trans­ports de Mul­house, Denis Ram­baud, qui expli­quait son refus d’appliquer la gra­tui­té par le coût de 16 mil­lions d’euros que cela repré­sen­tait pour M2A ! 

D’ailleurs, l’actuelle muni­ci­pa­li­té de Mul­house, applique le même rai­son­ne­ment : ce qui la conduit à limi­ter la mesure aux plus de 65 ans… alors que le bud­get trans­ports est bien plus impor­tant pour les familles…

Quels critères à prendre en compte ?

En res­ter à ces consi­dé­ra­tions de type « comp­table » conduisent au rai­son­ne­ment de Denis Ram­baud et ses suc­ces­seurs. Il s’agit en réa­li­té de prendre en compte de mul­tiples cri­tères pour mesu­rer le coût de l’opération.

Si une muni­ci­pa­li­té décide la gra­tui­té, c’est avant tout pour favo­ri­ser l’usage des trans­ports en com­mun et réduire le nombre de voi­tures dans la cité sans pour autant réduire son acti­vi­té éco­no­mique, sociale, cultu­relle, spor­tive… Il faut donc mesu­rer les avan­tages de cette poli­tique : s’ils sont chif­frables en par­tie, elles ne le sont pas uni­que­ment en terme financier.

Si on veut ten­ter une ana­lo­gie, on peut prendre celle du PIB d’un pays : ce chiffre ne reflète que par­tiel­le­ment la pro­duc­tion d’un pays puisqu’il se limite essen­tiel­le­ment aux acti­vi­tés éco­no­miques quan­ti­fiables… Mais toute l’activité du béné­vo­lat, du monde asso­cia­tif, des retrai­tés n’est pas mesu­rée alors qu’elle est créa­trice de valeurs (pas seule­ment finan­cières…) pour une collectivité.

Ain­si, la gra­tui­té des trans­ports conduit à des trans­for­ma­tions pro­fondes et posi­tives dans la vie des habitants.

Mais pour sûr, éva­luer en euros le bon­heur des citoyens est com­plexe : c’est pour­tant ce qu’on demande aux déci­deurs poli­tiques de faire. Amé­lio­rer le cadre de vie des popu­la­tions, ne se comp­ta­bi­lise pas en colonne actif et pas­sif, mais se mesu­re­ra peut-être lors des pro­chaines élections…

En conclu­sion : la gra­tui­té des trans­ports ouvre tout un champ de réflexion et d’actions allant bien au-delà des aspects de mobi­li­té, et c’est pour cela que c’est une affaire de ges­tion de la cité, et donc une ques­tion pro­fon­dé­ment poli­tique. Com­pré­hen­sible pour l’énarchie au pou­voir ? Pas sûr…

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