Du flicage au travail, en général…
Les caméras de surveillance sont aujourd’hui largement utilisées sur les lieux de travail. Si ces outils peuvent parfois se montrer utiles, ils ne font pas de miracle pour lutter contre l’insécurité ou le vol.
En revanche, ils peuvent parfaitement servir à placer les employés sous une surveillance constante et permanente.
Que ce soit à travers l’utilisation de caméras, d’écoutes téléphoniques, l’usage de systèmes biométriques, la géolocalisation, le flicage de salariés syndiqués (comme on va le voir ici), les patrons espions ont débordé d’imagination dans leur volonté de contrôle de leur personnel, le long de ces dernières années.
En 2019, 10% des plaintes reçues par la CNIL étaient liées au travail. Et les chiffres augmentent chaque année. Un article de nos confrères de La Tribune traite judicieusement du sujet.
Pourtant, le salarié bénéficie dans son travail des protections accordées par la loi. Par ailleurs, le règlement intérieur de l’entreprise ne peut porter atteinte aux libertés individuelles (article L. 1321–3 du Code du travail), sauf à être désavoué par l’Inspection du Travail, et l’employeur ne peut porter une atteinte injustifiée aux droits des salariés (article L. 1121–1 du Code du travail).
Dans l’actualité récente, deux responsables de l’enseigne de meubles Ikea étaient « mis en disponibilité » pour cause de surveillance illégale de salariés et clients. Selon les informations révélées par le Canard Enchaîné et Mediapart, une direction d’Ikea aurait passé un accord avec des enquêteurs privés, qui lui fournissaient des informations sur des salariés avant leur embauche, des syndicalistes, ou des clients en cas de différend commercial, notamment en provenance du fichier policier STIC.
En mars 2021, une amende de deux millions d’euros a été requise à l’encontre de la société Ikea France par le parquet de Versailles.
Ce 15 juin, le verdict tombait enfin : la société Ikea France était condamnée à un million d’euros d’amende. L’ancien dirigeant, Jean-Louis B., à deux ans de prison avec sursis et de 50.000 euros d’amende. Enfin, l’ex-directeur de la gestion du risque d’Ikea France (lequel était responsable de la consultation des fichiers), Jean-François P. écopait de 18 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende.
En 2013, la CNIL condamnait le principe d’une surveillance permanente des salariés. Le gendarme du respect de la vie privée rappellait déjà que les caméras ne doivent pas filmer les employés sur leur poste de travail, ni filmer les zones de pause ou de repos des employés, ni les toilettes, et moins encore filmer des locaux syndicaux.
Et cela vaut pareillement pour le télétravail, poussé activement par le gouvernement, à la faveur de l’épidémie de coronavirus.
…Au travail du général fliqueur
Il semble toutefois qu’à Mulhouse, la direction du magasin Lery Merlin ait quelque peu omis les obligations qui pèsent pourtant bien sur elle…
En effet, alors que nous évoquions le mouvement de cessation du travail ayant eu lieu à l’occasion de l’humiliation publique d’un salarié du magasin, pris à partie par le directeur à coup de “Quand je parle, tu écoutes, et tu fermes ta gueule !“, “Ne me regarde pas comme ça ! Baisse les yeux !“, ou “Je vais t’apprendre à me respecter toi !“, une autre affaire pesait déjà sur un climat social passablement dégradé.
Car outre les rapports tendus du personnel avec le directeur du magasin de Morschwiller, le personnel syndiqué s’inquiétait depuis quelques temps déjà du sort qui semblait lui être fait en matière de surveillance, ou plutôt d’espionnage, par la même direction.
Si le directeur a depuis l’humiliation du salarié été sanctionné par une mise à pied de quelques jours, (dont le personnel n’a pu vérifier la réalité substantielle, puisqu’il n’existe aucun document officiel le certfiant), il n’a en revanche semble-t-il pas désarmé en matière de « barbouzerie » managériale.
Un courrier du délégué syndical central de la CGT de Leroy Merlin donne le ton quant à cette hypothèse (voir ci-dessous). Depuis le 19 mai, l’avertissement de syndicalistes lancé à la direction nationale de l’entreprise, fait état d’un « détournement du système de vidéosurveillance du magasin et de consignes auprès des agents de sécurité en vue d’une surveillance accrue des salariés membres de la CGT (vidéos, photos, consignes de surveillance ciblées, etc.) ».
Mieux, des récits consignés par deux anciens salariés de la société de surveillance « Phénix sécurité », chargée d’effectuer la mission illégale de captation par moyen de vidéosurveillance ou de photographies des salariés syndicalistes, ont été réceptionnés.
Les témoins exécutants de ces basses opérations donnent clairement le nom du commanditaire, à savoir le directeur de l’établissement mulhousien (De Chardon), celui du responsable de la société de sécurité chargé d’effectuer le travail de captation illégale (Volmar), et les noms des syndiqués visés, essentiellement membres de la CGT, mais également de la CFTC :
Devant la molesse de la direction générale de l’enseigne à prendre les mesures qui devraient s’imposer devant des violations patentes du droit des salariés, ceux-ci ont résolu de prendre leur défense en main.
Une vidéo prouvant que le personnel syndiqué était régulièrement fliqué a été récupérée, un dépôt de plainte auprès de la CNIL est en cours, et un avocat a été choisi pour le défendre.
A défaut de caméras ou d’appareils photos pointés sur la direction du magasin mulhousien, nous suivrons en revanche à la loupe les futurs développements de cette affaire dans nos colonnes !
Les directions de la société Phénix sécurité et de Leroy Merlin Mulhouse n’ont pas pu être jointes.