Jusqu’au 15 février 2022, la Col­lec­ti­vi­té euro­péenne d’Al­sace lance une grande consul­ta­tion citoyenne. L’Al­sace doit-elle sor­tir du Grand Est pour rede­ve­nir une Région à part entière ? De nom­breux son­dages effec­tués depuis la créa­tion du Grand Machin montre qu’une majo­ri­té d’Alsaciens-nes sou­haitent sor­tir de la nou­velle région. Cette consul­ta­tion va-t-elle confir­mer le ver­dict des sondeurs ?

Il faut se rap­pe­ler les condi­tions de créa­tion de ces grandes régions qu’aucun citoyen ne deman­dait. C’est une déci­sion arbi­traire de M. Fran­çois Hol­lande répon­dant ain­si aux exi­gences capi­ta­lis­tiques pour accé­der à des aides publiques plus consé­quentes grâce aux regrou­pe­ments de col­lec­ti­vi­tés ayant des capa­ci­tés bud­gé­taires supé­rieures aux anciennes.

Jamais, au grand jamais, les citoyens n’ont pu s’exprimer ni sur le fond de cette réforme ni sur la forme de la consti­tu­tion de ces méga­struc­tures. La Com­mu­nau­té euro­péenne d’Alsace nous donne main­te­nant l’occasion de don­ner notre avis.

Quels sont les enjeux autour de cette consultation ?

UNE CENTRALISATION CONTRAIRE AUX ASPIRATIONS DÉMOCRATIQUES

Sous le pré­texte de vou­loir « décen­tra­li­ser » l’État (ce que la France cen­tra­li­sa­trice n’a jamais vou­lu entendre), une néo-cen­tra­li­sa­tion s’est faite autour de Grandes Régions, éloi­gnant la prise de déci­sion des ins­tances poli­tiques de plus en plus loin des pre­miers concer­nés : les citoyens.

Alors que nous vivons une crise démo­cra­tique majeure qui ne pour­ra être sur­mon­tée qu’en incluant les citoyens et citoyennes direc­te­ment dans la prise de déci­sion, cette réforme a fait exac­te­ment le contraire.

Ce constat se fait dans toutes ces « Régions » consti­tuées en fai­sant fi des réa­li­tés éco­no­miques, sociales et culturelles.

Résu­mons-nous : un recul démo­cra­tique, une néga­tion des dif­fé­rences cultu­relles et socio­lo­giques. L’Alsace a res­sen­ti ces deux consé­quences d’une manière par­ti­cu­liè­re­ment douloureuse.

LA TRAHISON DES NOTABLES

L’histoire par­ti­cu­lière (et tota­le­ment mécon­nue dans le reste de la France) de l’Alsace a for­gé, dans la mémoire col­lec­tive de ses habi­tants, un rap­port dif­fé­rent à l’État. Le fait d’être une région de culture ger­ma­nique depuis l’Antiquité, mais aus­si un pont entre le monde latin et anglo-saxon a été (et est tou­jours) gom­mé des ouvrages sco­laires. La culture, la langue, les écri­vains-nes, poètes, alsa­ciens ont été ban­nis de l’éducation : pen­dant long­temps, ce sont les couches popu­laires ouvrières et pay­sannes qui ont per­pé­tué une par­tie de cette culture, mais elles n’ont pu résis­ter aux pres­sions de plus en plus fortes de l’État central.

Fran­çois Iger­sheim, dans son livre L’Alsace des notables, fait réfé­rence à la période 1870–1914 où les milieux bour­geois alsa­ciens se sont « adap­tés » au nou­veau pou­voir prus­sien dès que leurs inté­rêts furent pré­ser­vés. La petite bour­geoi­sie et le pro­lé­ta­riat ont été sacri­fiés par les élus alsa­ciens au Reichstag.

C’est une plaie pour cette région : quel que soit l’État qui fait main basse sur l’Alsace, les élus de la Région tiennent un double lan­gage : ils s’affirment « alsa­ciens » ici, mais à Paris ou à Ber­lin, ils oubliaient sys­té­ma­ti­que­ment de défendre les par­ti­cu­la­ri­tés de ceux qui les avaient élus.

JEAN ROTTNER, DIGNE NOTABLE

On se sou­vient qu’à l’annonce de la créa­tion du Grand Est, M. Jean Rott­ner, alors maire de Mul­house, a mené une cam­pagne achar­née contre l’intégration de l’Alsace dans ce nou­veau machin. Il fit même signer une péti­tion pour sou­te­nir son point de vue. Et, en digne notable alsa­cien, il fit comme tous les autres, un peu pire même : car contre une pro­messe de poste de Pré­sident du nou­veau machin, il devint, du jour au len­de­main, un défen­seur tout aus­si achar­né de la réforme reniant les plus de 50.000 signa­taires de sa pétition !

Et c’est ain­si que la région Alsace décé­da pour ne pas renaître dans la région Grand Est. Les Alsa­ciens n’étaient pour­tant pas dupes, mais appa­rem­ment la tra­hi­son de ses élus ne les dérange plus tel­le­ment. Ques­tion d’habitude, peut-être…

Mais une résis­tance s’organisait. Devant la résis­tance de la popu­la­tion alsa­cienne se déve­lop­pait, met­tant les par­tis poli­tiques devant leur res­pon­sa­bi­li­té (la droite, dont la « Majo­ri­té alsa­cienne » et le Par­ti socia­liste étant les plus fer­vents défen­seurs de la Grande Région), com­ment s’en sortir.

Car ce fut la seconde fois à quelques années près que la grande majo­ri­té des élus se trou­vait en porte-à-faux avec la majo­ri­té du peuple alsa­cien : déjà en 2013, une ten­ta­tive de sup­pri­mer les dépar­te­ments fut reje­tée lors d’un référendum.

Cela pous­sa le Grand Machin a géné­ré une Petite Chose : la Com­mu­nau­té euro­péenne d’Alsace, struc­ture qui, une nou­velle fois, vou­lu duper les Alsa­ciens. Car en réa­li­té, la CEA n’était en réa­li­té que la créa­tion d’un dépar­te­ment, jetant ain­si aux orties le résul­tat du réfé­ren­dum de 2013.

« ACCEPTONS CE QU’ON NOUS OFFRE » 

Les prin­ci­pales asso­cia­tions, les mou­ve­ments et par­tis poli­tiques acquis à un retour à une région Alsace accueillaient d’une manière miti­gée ce hochet : cer­tains y voyaient une nou­velle dupe­rie de l’État cen­tral, d’autres se convain­quaient qu’on pou­vait uti­li­ser cela comme une pre­mière marche pour aller plus loin.

Ces der­niers furent ren­for­cés dans le fait qu’un véri­table tol­lé agi­ta l’exécutif du Grand Machin dont les élus de tous bords osaient les argu­ments les plus bas. C’est ain­si que les Alsa­ciens étaient trai­tés d’égoïstes, vou­lant tout pour eux et ne pas par­ta­ger avec les autres, bref des sot­tises et énor­mi­tés qui n’honorent ni leurs auteurs, ni les orga­ni­sa­tions à laquelle ils appartiennent.

La Com­mu­nau­té euro­péenne d’Alsace n’a pas les pou­voirs par exemple de l’Assemblée ter­ri­to­riale corse et pour­tant les paral­lèles his­to­riques et cultu­rels entre peuples corses et alsa­ciens sont évi­dents. Peut-être qu’une cer­taine doci­li­té dans la men­ta­li­té alsa­cienne encou­rage l’État cen­tral à moins tenir compte des demandes citoyennes et démo­cra­tiques ici ?

Le par­ti auto­no­miste Unser Land était le seul à prendre en compte ces aspi­ra­tions, tout comme des mou­ve­ments citoyens alsa­ciens qui deman­daient plus de pou­voir pour la CEA. Mais cela est tota­le­ment exclu si cette struc­ture ter­ri­to­riale reste sous la coupe du Grand Est.

Et on peut esti­mer que cette consul­ta­tion orga­ni­sée par la direc­tion (de droite) de la CEA relève du jeu poli­tique pour faire sem­blant d’être à l’écoute d’une majo­ri­té des citoyens de la région Alsace.

ENJEU POLITIQUE OU SOCIOCULTUREL ?

Pour l’association Ini­tia­tive citoyenne alsa­cienne, les choses semblent claires : « Plus encore que la dis­pa­ri­tion des pré­ro­ga­tives que le sta­tut de région leur don­nait, c’est celle de la charge sym­bo­lique que ce sta­tut confé­rait que les Alsa­ciennes et les Alsa­ciens regrettent très majo­ri­tai­re­ment. Ne plus être recon­nus sim­ple­ment en tant qu’Alsaciens dans une ins­ti­tu­tion poli­tique pleine et entière comme le sont par exemple les Bre­tons leur appa­raît comme étant très injuste. »

L’ICA en fait donc avant tout une affaire de recon­nais­sance de par­ti­cu­la­ri­tés liées à l’histoire de la Région en appe­lant à votre oui à la ques­tion sou­mise à consultation

Cette approche per­met de rela­ti­vi­ser l’éventuelle manœuvre poli­tique de la direc­tion de la CEA car cela ins­crit la consul­ta­tion actuelle comme le début d’un pro­ces­sus et non pas la fin. La sor­tie du Grand Est devrait don­ner l’occasion de négo­cier les pré­ro­ga­tives de la nou­velle Région Alsace qui ne peuvent être un ali­gne­ment sur les autres régions fran­çaises : le droit local et la défense des droits sociaux, le besoin du déve­lop­pe­ment cultu­rel dont la langue, les inves­tis­se­ments éco­no­miques dans le cadre d’un espace géo­gra­phique for­te­ment imbri­qué dans les éco­no­mies alle­mandes, suisses, luxem­bour­geoises, néces­sitent des droits plus proches de l’Assemblée ter­ri­to­riale corse que ceux des Pays de Loire ! Et avec des nou­velles formes démo­cra­tiques de la prise de décision…

Le pré­sident de la CEA, M. Fré­dé­ric Bier­ry, ne pour­ra pas se parer des plumes du paon si les Alsa­ciens s’expriment en masse pour la sor­tie du Grand Est : il sera l’obligé de cette popu­la­tion qui n’acceptera pas, une nou­velle fois, d’avaler des couleuvres…

Lien vers la pré­sen­ta­tion de la consultation. 

Com­ment don­ner son avis ?

Cette ressource est accessible gratuitement pour une période de 10 jours. Pour nous permettre de continuer à vous proposer articles, documentaires, vidéos et podcasts, abonnez-vous à partir de 3 euros seulement !