Afin d’assurer la diversité de la presse et des opinions, nos voisins helvètes, accordent des aides diverses à la presse. Ainsi que le font d’autres pays européens, à commencer par la France.
En Suisse, 50 millions de francs (soit plus de 48 millions d’euros) sont consacrés au transport de journaux par la poste à prix réduit. 30 millions de francs sont attribués à la presse régionale et locale, et, originalité notable, 20 millions vont à la presse associative et celle issue de fondations.
En France, c’est 483 millions d’euros qui seront débloqués sur deux ans, non pas tant pour garantir le pluralisme de presse que pour aider des groupes appartenant le plus souvent à des milliardaires, et dont les journaux sont structurellement déficitaires, car abandonnés par leurs lecteurs.
Tout comme en France, les grands médias suisses sont sous pression. Le gâteau publicitaire se rétrécit toujours davantage pour eux, tandis qu’une part toujours plus importante des dépenses publicitaires est captée par les grandes plateformes Internet internationales.
Les termes du projet
Le projet prévoit un montant d’aide de 151 millions de francs, soit un total de 287 millions de francs par année.
Les tarifs préférentiels pour la distribution de leurs éditions papier vont augmenter de 70 millions de francs pour atteindre un montant annuel de 120 millions prélevés sur le budget courant de la Confédération, hors financement de la redevance.
Par ailleurs, une nouvelle aide directe pour les médias en ligne sera introduite afin de favoriser la transition numérique. Une loi spécifique prévoit le versement de 30 millions de francs par an. Seuls les médias en partie financés par leurs lecteurs et lectrices pourront bénéficier de cette aide, les offres gratuites sont exclues.
A noter que le rabais accordé sur la distribution des journaux et le soutien aux médias en ligne sont limités à sept ans.
Situation des médias en Suisse
Tout comme en France, les GAFAM ont radicalement transformé le paysage médiatique helvétique, de sorte que l’information et la publicité transitent désormais prioritairement vers les plateformes américaines.
Avec pour conséquence une chute du nombre d’abonnements papier des médias traditionnels et une diminution importante de leurs revenus. En 20 ans, les recettes publicitaires des journaux, magazines et radios privées ont été réduites de près de 40%.
Ce faisant, depuis 2003, plus de 70 journaux ont ainsi disparu selon un cabinet d’étude interprofessionnel. L’information locale, la moins dotée structurellement, s’en trouve affaiblie.
Le Conseil fédéral et le Parlement helvète entreprennent ainsi de renforcer l’assise économique et la diffusion des médias locaux et régionaux.
Ainsi qu’il en est dans une démocratie semi-directe, les citoyens suisses ont la capacité d’agir sur les choix politiques décidés au niveau confédéral, en lançant une initiative populaire ou un référendum.
Un comité référendaire de citoyens s’est donc constitué autour de la question et ont imposé la tenu d’une votation populaire. Les citoyennes et les citoyens voteront donc le 13 février sur les mesures financières en faveur des journaux, radios, télévisions privées (hors médias soumis à redevance) et sites d’information en ligne.
Et contrairement aux apparences, si les organisateurs de cette votation tiennent tant à l’organiser, c’est parce qu’ils y sont hostiles.
Arguments des opposants au dispositif d’aide
Les adversaires du projet déplorent en effet que « l’aide financière profite aux éditeurs les plus riches et aux entreprises cotées en bourse ». Ils estiment que ce « soutien n’est pas économiquement fondé, car les cinq principaux groupes de presse du pays ont dégagé des bénéfices ces dernières années et sont en mesure de se financer eux-mêmes ».
Le comité référendaire affirme en outre que les subventions étatiques diminuent l’indépendance des médias et les empêche de jouer leur rôle de quatrième pouvoir en se montrant critiques envers les politiques et les autorités. «Leur dépendance financière discrédite leur indépendance».
Un argument pour le moins spécieux qui, s’il n’est pas théoriquement faux, devrait logiquement rendre vrai le présupposé inverse, selon lequel une presse aux mains de milliardaires serait supposément plus libre !
Mais l’argument suivant nous en apprend davantage sur leur motivation : les promoteurs de la votation considèrent également que ces contributions de l’État « biaisent la concurrence ». Un argument bien plus honnête !
Ils regrettent par ailleurs que les supports gratuits soient exclus de tout soutien : «Les subventions prévues pour les médias sont « antisociales ». Seules les classes aisées qui peuvent s’offrir un journal ou un abonnement en ligne en bénéficieront».
Là encore, le paradoxe n’en est que plus patent. Une presse financée par la publicité peut-elle être considérée comme « indépendante » au sens où l’entendent les organisateurs de la votation ? Des journaux exclusivement financés par la publicité, n’est-ce pas l’expression chimiquement pure d’une presse sous influence ? En revanche, le comité référendaire estime donc que la presse gratuite est une presse « sociale » !
Ce serait alors le moyen par excellence dont disposent les pauvres pour s’informer…
Des arguments d’autant plus aberrants, que les promoteurs de la consultation font comme si toute la presse présentait un caractère homogène et capitalistique, dont la seule fonction consisterait à vendre un produit de masse interchangeable et produit en série.
Mais on comprend bien mieux les enjeux dès lors qu’il apparait que l’origine de la fronde provient de l’Union démocratique du centre (UDC), le parti de l’extrême-droite conservatrice.
Celui-ci s’est opposé en bloc à ces mesures lors des votes au Parlement. Et si le comité référendaire se revendique «apolitique», il compte de nombreux membres de l’UDC dans ses rangs, ainsi que des personnalités apparentées à ce parti. Dont nombre de patrons de presse ou de responsables éditoriaux particulièrement actifs en Suisse alémanique.
Un comité parlementaire formé de 80 élus de l’UDC et de quelques libéraux s’est d’ailleurs formé en soutien au référendum populaire.
Arguments en faveur des aides
De manière assez paradoxale, c’est le gouvernement et le Parlement qui invitent donc la population à soutenir le coup de pouce financier aux journaux, radios et télévisions. Un comité inter-partis s’est constitué pour soutenir le projet. On y compte une centaine de parlementaires, 80 entreprises de médias et 15 organisations, dont Reporters sans frontières. L’association rendant compte brièvement ici de la situation en Suisse.
Simonetta Sommaruga, ministre en charge de la communication, avertit qu’«Il y a le risque que d’autres journaux disparaissent, que les radios locales soient affaiblies et que certaines régions ne soient plus couvertes par des sites d’informations». Précisant que les critères mis en place pour obtenir des aides directes empêcheront toute influence des autorités sur les rédactions.
Les médias subventionnés se soumettent à des critères qualitatifs, notamment établir une distinction claire entre contenus journalistiques et publicitaires, offrir des informations sur les réalités politiques, économiques et sociales, et respecter les règles journalistiques reconnues dans la branche.
Si le comité de soutien au projet souligne que les médias indépendants sont un fondement de la démocratie directe helvétique, l’enjeu est ailleurs. La concentration capitalistique se poursuit, et de nombreux titres se sont fait absorber par de grands groupes, réduisant la diversité des médias sur l’ensemble du territoire.
Et un certain Christoph Blocher, milliardaire de l’industrie chimique, et propriétaire de titres de presse écrite, mais surtout principal animateur du parti UDC, à l’origine de la contestation de ce projet de loi, est précisément l’un des grands bénéficiaires de la concentration au sein de la presse helvétique.
Quant à la presse dite « pure player » émerge mais avec difficultés, tant le modèle économique est difficile à trouver. La plateforme Heidi.news, financée par ses abonnements et une fondation privée faisant figure d’exception.
Voici un inventaire à la Prévert listant l’ensemble des journaux associatifs suisses bénéficiant d’une aide à la diffusion et susceptibles de pouvoir solliciter les aides prévues au projet.
Mitgliedschafts-und-Stiftungspresse-01_12_2021-FREn bonus, les termes du débat et des enjeux sont exposés dans une émission réalisée par la télévision romande, confrontant le point de vue d’une écologiste favorable aux mesures, et un libéral qui y est opposé.