Il était venu à l’une de nos toutes premières réunions de l’association Information – Pluralisme – Débat citoyen, future éditrice d’Alterpresse68.
On ne pouvait pas le manquer : sa tignasse blanche, bouclée, abondante, le faisait remarquer dans n’importe quelle assemblée. Alors qu’il préférait de loin la discrétion… Drôle de zèbre, ce Bernard Schaeffer, qui vient de nous quitter prématurément.
Professeur de mathématiques, à la réputation implacable, mais très présent pour ses élèves, sa première bataille fut menée contre sa hiérarchie administrative, elle qui lui avait fait payé son engagement radical par l’éviction de son établissement scolaire. Il fallut que le Conseil d’État le rétablisse dans ses droits, et dans le poste qui lui avait valu une mutation disciplinaire, après 10 années de procédures interminables…
Surnommé « Robespierre » dans certains cercles militants, pour son intransigeance et sa droiture, il fut d’abord militant syndical, politique et associatif.
A ce titre, nous retiendrons son combat pour la liberté d’expression, en tant qu’association de promotion et de défense du pluralisme de presse.
Il fut de toutes les initiatives de création d’expressions alternatives dans le débat public. Se méfiant comme de la peste de toutes ces idéologies dominantes qui visent l’annihilation de formes d’expressions pluralistes dans le débat d’idées, il ne se contentait pas de dénoncer la mainmise des puissants sur la presse et les médias, mais participait directement au pluralisme de presse par la réalisation de journaux alternatifs…
Homme orchestre d’ « A contre courant », il œuvra sans relâche à rédiger, réaliser, et distribuer ce petit journal de fabrication artisanale, fondé notamment par des syndicalistes en rupture de ban avec la CFDT de Edmond Maire, tiré à 2000 exemplaires au format A4, et depuis toujours imprimé sur duplicopieur par Pierre Wendling à Vieux-Thann, puis par Daniel et Annette Walter, lesquels assuraient avec lui l’agrafage dans leur maison de Saint-Amarin.
Les textes étaient en général de fort bonne facture. La plume intellectuelle de référence étant assurée par Alain Bihr, sociologue marxisant, dont les travaux portent principalement sur la justice sociale, les inégalités, l’extrême droite et le capitalisme. Il est notamment l’auteur d’une somme impressionnante en 3 tomes parue chez Syllepse/Page2, intitulée « Le premier âge du capitalisme ».
L’ensemble de l’équipe se revendiquait volontiers de l’héritage communiste-libertaire.
L’oeuvre collective relève d’un travail de forçat soudé par l’amitié, au service de la petite presse, long de plus de 25 années, jusqu’en avril 2014. Une partie des numéros ont été par ailleurs numérisés sur le site d’A Contre Courant, et la totalité devrait être prochainement disponible (le lien sera alors mis à jour).
Le mensuel, riche de 14 pages en moyenne (avec des suppléments), était l’un des spécimens que constituent les journaux politiques et syndicaux. Servant d’oasis où trouvent à s’exprimer les structures et organisations qui militent pour plus de justice économique et sociale.
Ces journaux abordaient par ailleurs des questions que la « grande presse officielle » répugnait à traiter.
Ainsi, pour Bernard et ses amis, le sujet de la « Dette de l’Etat et des collectivités locales » était une question centrale, car elle résume à elle seule la prédominance du Capital sur les États et les Nations.
Il s’engagea également dans l’un des problèmes les moins connus de la presse indépendante : son modèle économique, et tout particulièrement les enjeux liés à sa distribution.
Assurant lui-même l’envoi du journal aux abonnés, après l’avoir trié par liasses, et par départements (le journal possédant un rayonnement national et international), il pouvait ainsi juger concrètement de la discrimination qui frappait les petits éditeurs, notamment quant au prix facturé par la Poste afin d’assurer le transit jusqu’aux abonnés.
Cette question de la distribution de la presse est existentielle pour les journaux, surtout pour la presse indépendante : un magazine rédigé et imprimé n’existe réellement qu’entre les mains de lecteurs potentiels. Or, l’impossible accès au réseau de distribution de la presse, géré en son temps par les NMPP (qui devinrent Presstalis avant de disparaitre elle-même), prive ces journaux d’une présence en kiosque.
Ne restait donc que les ventes directes par abonnement.
Les divers engagements de Bernard le menèrent naturellement à participer à l’aventure de L’Alterpresse68, et à celle de son association éditrice : Information, pluralisme, débat citoyen (IPDC).
Il adhéra à l’association très près de sa création, et s’engagea avec conviction dans l’équipe de rédaction, qu’il hébergea d’ailleurs dans son appartement pendant de longs mois.
D’une plume aussi vive que tranchante, à l’occasion ironiquement acérée, il rédigeait des articles qui ne laissaient personne indifférent, ou indemne !
L’une de ses enquêtes, menée avec l’aide de son ami Daniel Walter, et l’association Thur Ecologie Transports, porta sur un projet décrié de construction d’une usine de retraitement de déchets, dans la vallée de la Thur. La majorité de la population était contre ce projet mais ne trouvait pas de relais médiatique pour faire part de ses arguments.
Cela tombait bien : L’Alterpresse68 venait d’être créée pour donner la parole à ceux qui ne sont pas entendus. Bernard publia dans notre journal des articles avec une analyse approfondie du projet mais aussi de l’industriel, qui connaissait des déboires par ailleurs.
Le fait d’avoir révéler ces faits fit effectivement capoter la construction de cette usine… et valut à L’Alterpresse68 sont premier (et pour l’instant seul) procès en diffamation !
Tout comme le journal, il en sortit blanchi, se prévalant à juste titre de l’exactitude des faits énoncés, afin de justifier de la qualité de son travail.
Au sein de notre Comité de rédaction, Bernard veillait particulièrement au maintien d’une ligne éditoriale rigoureuse, et à bien des égards « militante ».
En rupture avec le projet de l’association éditrice, laquelle souhaitait éditer un journal d’information engagé, sans pour autant être prescriptrice d’actions, mais animatrice de débats et agitatrice d’idées, par la confrontation d’idées et d’opinions divergentes.
Cet équilibre fut parfois difficile à tenir, et provoqua son lot de discussions et débats au sein d’un comité de rédaction divisé.
Bernard n’étant pas de nature à transiger sur ses convictions… cela acheva de l’éloigner du rédactionnel, tout en restant un soutien critique à notre publication.
Avec lui, nous perdons un rédacteur documenté et précis jusqu’à l’obsession.
Outre ses conseils parfois abrupts, ses coups de gueule, nous laissons surtout un vaillant et opiniâtre combattant de la « petite » presse, que nous chérissons tant et dont nous vous avons raconté quelques belles histoires.
Cher compagnon, encore merci pour tes contributions.
La rédaction.