Il y avait de quoi mettre la puce à l’oreille de l’association Thur Eco­lo­gie Trans­port ; celle-ci s’intéresse à tout ce qui se passe dans la val­lée de la Thur et sin­gu­liè­re­ment sur les ques­tions envi­ron­ne­men­tales et de transport. 

Daniel Wal­ter, son pré­sident, explique : « Quand nous avons vu que toutes les com­munes, una­ni­me­ment, rejette le Plan de Ges­tion des Risques d’Inondation (1) que le pré­fet pro­pose, cela est déjà intri­gant. Mais quand le déli­bé­ré est rédi­gé de la même manière, au mot près, il faut cher­cher qui tenait le sty­lo lors de la rédac­tion. Et on tombe sur le syn­di­cat mixte Rivières de Haut-Alsace (3) … »

Dès lors, des ques­tions méritent d’être posées ! C’est ce que l’association a fait lors d’une confé­rence de presse tenue récem­ment à Saint-Amarin.

Une révision du PGRI

C’est la loi : tous les six ans, il faut revoir le plan de ges­tion des risques d’inondation en tenant compte des évo­lu­tions de tous ordres inter­ve­nus durant ce laps de temps. Les ser­vices de l’État, sous la res­pon­sa­bi­li­té du pré­fet, ont donc rédi­gé un volu­mi­neux docu­ment, avec des aspects très tech­niques, mais en tenant compte des effets de plus en plus per­cep­tibles du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. On ne peut que se féli­ci­ter qu’un docu­ment impor­tant pour tout un cha­cun intègre dans ses pro­po­si­tions des effets qui pour­raient être désas­treux pour habi­tants et biens d’un ter­ri­toire mena­cé par crues et inondations.

Ces risques sont éva­lués à par­tir de plu­sieurs cri­tères, les réfé­rences étant les crues décen­nales et cen­ten­nales qu’a connu le ter­ri­toire en ques­tion. Or, de récentes catas­trophes qui ont frap­pé des villes et vil­lages du bas­sin rhé­nan inquiètent car les inon­da­tions dépassent lar­ge­ment les cri­tères en vigueur. C’est ce que nous enseigne une ana­lyse des catas­trophes de l’été 2021 dans la Rhé­na­nie du Nord-West­pha­lie ain­si que dans le Palatinat.

L’Allemagne en fut lar­ge­ment secouée mais il faut bien que la région Alsace ne détourne pas ses yeux : nous rele­vons du même bas­sin et les mêmes phé­no­mènes pour­raient affec­ter la rive fran­çaise du Rhin. Les pluies dilu­viennes qui se sont abat­tues sur l’ouest de l’Alle­magne ont éga­le­ment tou­chées la Bel­gique, les Pays-Bas et le Luxem­bourg avec sen­si­ble­ment les mêmes conséquences.

Le site d’information en ligne Rue89Strasbourg a fait une enquête et cite Daniel Rei­nin­ger, (pilote du réseau eau d’Alsace Nature et chef de ser­vice retrai­té de l’Office natio­nal de l’eau et des milieux aqua­tiques ONEMA), « la dif­fé­rence, c’est sim­ple­ment que les pré­ci­pi­ta­tions étaient moins fortes en Alsace, on a eu de la chance ». Dans le Nord-Est, au maxi­mum, il est tom­bé 150 mm de pluie en 48 heures, contre le même volume en seule­ment 12 heures en Alle­magne.

L’écologiste expert en la matière rajoute : « Le dérè­gle­ment cli­ma­tique implique des phé­no­mènes que nous ne connais­sons pas. Alors il faut être humble et appli­quer le prin­cipe de pré­cau­tion, en adap­tant les amé­na­ge­ments. Comme le pré­co­nise le plan de ges­tion des risques d’inondation (PGRI) Rhin Meuse, il faut recréer des zones inon­dables natu­relles qui font effet tam­pon et libèrent l’eau pro­gres­si­ve­ment. Cer­taines digues doivent être repen­sées pour que les rivières et canaux s’écoulent moins vite. Les nou­velles zones construc­tibles néces­sitent d’être à dis­tance des aires à risques. En amont des habi­ta­tions, on pré­co­nise les prai­ries au lieu des champs de maïs, qui favo­risent le ruis­sel­le­ment de l’eau en rai­son de leur faible cou­ver­ture végétale. »

Rap­pe­lons qu’un autre docu­ment offi­ciel sui­vra ce PGRI : le PPRI (2) qui envi­sa­ge­ra les mesures concrètes à prendre et que les élus pour­ront être tenus comme res­pon­sables en cas de catas­trophes s’ils n’ont pas pris en compte les recom­man­da­tions des ser­vices de l’Etat. C’est ain­si qu’en Alle­magne, le par­quet de Coblence a ouvert une enquête pour « homi­cide par négli­gence » contre Jür­gen Pföh­ler, le Lan­drat (pré­sident du conseil géné­ral) d’Ahrweiler. Cette enquête fait suite à celle déjà lan­cée sur la ges­tion des alertes aux inondations.

Pourquoi des élus rejettent un plan qui les alertent…

Le cher­cheur Phi­lippe Acke­rer, direc­teur de recherche au CNRS, alerte : « A moyen-long terme, les crues seront pro­ba­ble­ment plus impor­tantes dans ces vil­lages aux abords des Vosges » (Rue89, 26/07/2021)

Car dans le PGRI des solu­tions sont avan­cées et une ana­lyse du pas­sé est effec­tuée : le docu­ment estime que la poli­tique d’enrochement des berges et d’élaboration de digues n’est plus la solu­tion adap­tée. Ain­si, pour pro­té­ger les rive­rains, le plan pré­voient d’interdire la construc­tion à une dis­tance de 100 fois la hau­teur de la digue : en somme, pour une digue de 2 m de haut, l’interdiction de construire serait de 200 mètres… De nou­velles formes de pro­tec­tion sont pré­co­ni­sées dont les « solu­tions fon­dées par la nature » qui reprennent les sug­ges­tions d’Alsace Nature. On a vu récem­ment dans l’Aube, que 2 km de cours d’eau ont été détour­nés pour redes­si­ner le lit natu­rel d’une rivière. Il a fal­lu convaincre un exploi­tant agri­cole de lais­ser la rivière cou­per de nou­veau sa par­celle en recréant les méandres qui avaient été, jadis, supprimés.

On peut évi­dem­ment com­prendre à quel point ces nou­veaux sché­mas bou­le­versent les anciennes cer­ti­tudes et remettent en cause les amé­na­ge­ments du ter­ri­toire que les muni­ci­pa­li­tés avaient éla­bo­rés. Sans comp­ter l’impact sur la valeur des ter­rains que de nom­breux habi­tants espèrent bien deve­nir construc­tibles : le prix du m2 bon­di­rait évidemment.

Ajou­tons à cela les poli­tiques agri­coles qui, en Alsace, sont par­ti­cu­liè­re­ment néfastes : la géné­ra­li­sa­tion de la culture du maïs dans la plaine gour­mande en eau, oblige à rame­ner le plus d’eau pos­sible dans la plaine en cana­li­sant les rivières déva­lant les Vosges. Toute zone inon­dable créée en amont, rédui­rait les mètres cubes utiles pour irri­guer les champs.

Les élus sont donc confron­tés à des réac­tions néga­tives immé­diates : d’où une déci­sion una­nime, NON au nou­veau PGRI.

Et si des phé­no­mènes de crues intenses sur­ve­naient ? Bof… Cela res­semble un peu au « Après moi le déluge »… Louis XV ferait-il des émules auprès des élus de la vallée ?

Thur Eco­lo­gie Trans­port n’enfourche pas ce che­val : pour l’association, l’écrasante majo­ri­té des élus a du mal à prendre en compte les cen­taines de pages de chiffres et d’analyse par­fois com­plexe, ils cherchent donc des conseillers… Et cela tombe bien : pour une ques­tion d’eau, un syn­di­cat mixte est à l’œuvre. Son nom : Rivières de Haute Alsace.

Un syndicat mixte bien pratique

Toutes les muni­ci­pa­li­tés de la val­lée de la Thur ont donc confié leur des­tin aux mains d’une (petite) équipe tech­nique pla­cée sous une direc­tion poli­tique d’élus des dif­fé­rents bas­sins. Rivières de Haute-Alsace est pla­cé sous la pré­si­dence d’un élu connu dans le lan­der­neau, il est de tous les comi­tés Théo­dule que l’on peut ima­gi­ner : Michel Habig (4). Homme d’influence, mais sur­tout grand lob­byiste de l’agriculture plu­tôt de type inten­sif, il veille évi­dem­ment au grain. Et pas seule­ment en tant que céréalier…

C’est ain­si que les prin­ci­paux argu­ments avan­cés par Rivières de Haute-Alsace, portent exclu­si­ve­ment sur des argu­ments ins­til­lant la crainte de voir les com­munes dans l’incapacité de construire de nou­velles habi­ta­tions et de déva­lo­ri­ser les terres qu’elles soient construc­tibles ou agri­cole. Rivières de Haut-Alsace ne fait pas les choses à moi­tié : non seule­ment le syn­di­cat délivre une ana­lyse sans appel, ne fai­sant pas réfé­rence aux pro­blé­ma­tiques envi­ron­ne­men­tales, mais il rédige un pro­jet de déli­bé­ré que toutes les com­munes approuvent sans discussion.

« Ne pas enterrer le sujet, ouvrons le débat »

Avec l’esprit de res­pon­sa­bi­li­té qui la carac­té­rise, Thur Eco­lo­gie Trans­port veut avant tout ouvrir le débat en élar­gis­sant le pro­pos et les participants.

Le PGRI tient compte des aléas cli­ma­tiques sur­ve­nus avec le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et il est indis­pen­sable que les consé­quences de ces choix soient débat­tues et non pas reje­tées du revers de la main par une petite équipe tech­no­cra­tique. Si on veut que la popu­la­tion accepte les chan­ge­ments pro­fonds que les évo­lu­tions cli­ma­tiques entraînent, cela ne peut être que par la concer­ta­tion et sans attendre qu’une éven­tuelle catas­trophe nous oblige à le faire.

En outre, il s’agit de prendre en compte le désir des citoyens d’être asso­ciés aux déci­sions sur des ques­tions qui les concernent au pre­mier chef. Ce sont bien les habi­tants, leur san­té et leurs biens qui subi­ront les consé­quences d’inondations et de crues dont la dan­ge­ro­si­té peut s’aggraver dans le temps futur.

Échange avec Daniel Wal­ter, pré­sident de Thur Eco­lo­gie Transports :

Échange avec Antoine Fabian, syn­di­ca­liste chrétien :

Échange avec Jean-Charles DOR, ingénieur :

1 Plan de ges­tion des risques d’inondation (PGRI)

Le plan de ges­tion des risques d’inondation (PGRI) défi­nit la poli­tique à mener pour assu­rer la sécu­ri­té des popu­la­tions et réduire les consé­quences dom­ma­geables des inon­da­tions sur la socié­té, l’environnement et les biens.

Le PGRI décline à l’échelle des bas­sins ver­sants du Rhin et de la Meuse, les prio­ri­tés défi­nies par la Stra­té­gie natio­nale de ges­tion des risques d’inondation approu­vée le 7 octobre 2014. Il vise glo­ba­le­ment à ren­for­cer les syner­gies entre les poli­tiques de ges­tion des risques d’inondation, les poli­tiques de ges­tion des milieux aqua­tiques et les poli­tiques d’aménagement du ter­ri­toire (notam­ment au tra­vers des docu­ments d’urbanisme). Il porte une atten­tion par­ti­cu­lière aux sec­teurs les plus expo­sés : les ter­ri­toires à risque impor­tant d’inondation.

Éla­bo­ré par le pré­fet coor­don­na­teur de bas­sin Rhin Meuse, il est révi­sé tous les 6 ans pour per­mettre une amé­lio­ra­tion conti­nue des connais­sances et adap­ter la stra­té­gie portée

2 Plan de pré­ven­tion du risque d’inondation (PPRI)

Il s’agit d’un docu­ment car­to­gra­phique et régle­men­taire (après enquête publique et arrê­té pré­fec­to­ral). Il est stra­té­gique pour l’amé­na­ge­ment de la com­mune sur laquelle il s’ap­plique. Il défi­nit les règles de construc­ti­bi­li­té dans les dif­fé­rents sec­teurs sus­cep­tibles d’être inon­dés. La déli­mi­ta­tion des zones est prin­ci­pa­le­ment basée sur les crues de réfé­rence,

Comme pour chaque plan de pré­ven­tion des risques d’i­non­da­tion, le PPRI s’ap­puie sur la carte des aléas et abou­tit à la carte de zonage régle­men­taire. La carte de zonage défi­nit trois zones :

  • la « zone rouge » où, d’une manière géné­rale, toute construc­tion est inter­dite, soit en rai­son d’un risque trop fort, soit pour favo­ri­ser le lami­nage de la crue ;
  • la « zone bleue » où l’on auto­rise les construc­tions sous réserve de res­pec­ter cer­taines pres­crip­tions, par exemple une cote de plan­cher à res­pec­ter au-des­sus du niveau de la crue de réfé­rence ;
  • la « zone blanche », zone non régle­men­tée car non inon­dable pour la crue de réfé­rence.

3 Rivières de Haute Alsace

Le Syn­di­cat Mixte du Bas­sin de l’Ill est un Syn­di­cat Mixte ouvert à la carte regrou­pant les col­lec­ti­vi­tés et grou­pe­ment de col­lec­ti­vi­tés impli­qués dans la ges­tion de l’eau du bas­sin ver­sant de l’Ill. Depuis le 1er jan­vier 2020, le nom du Syn­di­cat est « Rivières de Haute Alsace ».

Son objec­tif est de faci­li­ter la pré­ven­tion des inon­da­tions, la ges­tion équi­li­brée de la res­source en eau, la pré­ser­va­tion et la ges­tion des zones humides et l’é­la­bo­ra­tion et le sui­vi des sché­mas d’a­mé­na­ge­ment et de ges­tion des eaux. Il s’ap­puie pour cela sur la mutua­li­sa­tion des moyens et la coor­di­na­tion des actions. Il assure un rôle de coor­di­na­tion, de conseil, d’a­ni­ma­tion, d’a­vis, d’in­for­ma­tion, d’assistance tech­nique et de mai­trise d’ou­vrage d’é­tudes ou de tra­vaux notam­ment lors­qu’il n’existe pas de mai­trise d’ou­vrage appropriée.

Le rap­port d’activité 2020 est dis­po­nible ici.

4 Michel Habig

Le 11 jan­vier 2006, il fait incen­dier, en tant que maire d’Ensisheim, qua­torze cara­vanes de Roms ins­tal­lées sur un ter­rain muni­ci­pal depuis trois mois. Après avoir fait ver­ser de l’es­sence sur les cara­vanes qui étaient désertes, le maire a grat­té lui-même une allu­mette en pré­sence de quatre employés muni­ci­paux et de gen­darmes. Il a été condam­né à 6 mois de pri­son avec sur­sis et 5.000 euros d’amende.

Michel Mul­ler et Mar­tin Wilhelm

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