La bucolique Ile du Rhin à Vogelgrun, a été choisie par l’Eurodistrict Région Freiburg – Centre et Sud Alsace qui travaille en étroite collaboration avec l’Eurodistrict Tri-national de Bâle, pour organiser un « forum tri-national sur l’hydrogène » qui se tenait dans l’Art Rhena, superbe complexe pour ce genre de manifestation.
L’idée annoncée était d’inviter les visiteurs à « venir discuter avec les experts du monde politique, économique et scientifique de la technologie de l’hydrogène et des piles à combustibles dans la région des trois frontières entre l’Allemagne, la France et la Suisse et assister au lancement officiel du réseau trinational d’entreprises pour l’hydrogène ».
C’était une annonce claire et précise que cette région transfrontalières veut s’investir dans la fabrication et la distribution de l’hydrogène, en faisant un pari que l’hydrogène sera le carburant du futur tant pour l’industrie que pour le transport.
« L’HYDROGÈNE POUR LES NULS »
En accueillant les visiteurs, Delphine Mann, secrétaire général de l’Eurodistrict, précisait bien que la première séance était la présentation du sujet sous l’angle « l’hydrogène pour les nuls ». Cela tombait bien pour essayer de comprendre les motivations pour lancer cette initiative mais aussi saisir les objectifs, les atouts et les contraintes que cela supposait pour les habitants de cette région.
Selon Georges Walter, ancien directeur de l’environnement de la CEA, l’hydrogène est le carburant du futur et sa fabrication est maîtrisée, même si des contraintes doivent encore être levée.
Pour simplifier, l’hydrogène est abondamment présente dans l’eau : il suffit de l’extraire pour que cette molécule puisse être utilisée comme énergie. Avantage incontestable : alors que l’électricité ne peut être stockée, l’hydrogène peut l’être. On s’imagine le bénéfice que l’industrie et le transport pourrait en tirer : se passer définitivement des énergies fossiles soient comme principale énergie, soit comme carburant pour faire fonctionner les centrales électriques.
Pourquoi cette zone des Trois Frontières est un lieu propice ? Abondance d’eau (tout est relatif !), zone économique dynamique, grande consommatrice d’énergies, Bâle étant le « poids lourd » dans cet espace. En outre, la vallée du Rhin restant un des axes principaux de l’Europe et de la jonction entre le sud et le nord du continent, elle peut aussi être le lieu propice pour son alimentation en hydrogène… Faut-il ajouter que le Rhin est le fleuve qui permettrait l’acheminement de l’hydrogène et permettrait surtout à la Suisse d’accéder à cette énergie car Bâle est la seule entrée pour la Confédération Helvétique pour se la procurer.
Et la présence d’industries familiarisée d’ores et déjà avec la fabrication d’hydrogène est un atout prédominant : ainsi l’usine Alsace Chimie à Chalampé produit annuellement 20.000 tonnes avec une technologie néanmoins pas très adaptée à une augmentation drastique des volumes fixés à environ 1.000.000 de tonnes. D’autres usines ont la capacité de produire ce nouvel or bleu… comme la mer !
DES CONTRAINTES DURES…
Les organisateurs du forum se place dans un postulat qui est celui d’incidences longues et durables de la guerre en Ukraine avec une conséquence qui peut s’avérer dramatique : l’arrêt de l’utilisation du gaz russe dont par exemple l’Allemagne dépend fortement. Pour maintenir sa production, le pays d’Outre-Rhin doit d’ailleurs rouvrir des mines à charbon, importer du coûteux gaz de pays lointains et souvent réalisé, comme le gaz de schiste des USA, dans des conditions environnementales déplorables. Les milieux économiques allemands n’hésitent pas à brandir le risque d’un black-out électrique comme l’a connu le nord de l’Italie en septembre 2003.
L’hydrogène est donc l’alternative la plus économe et la plus propre : encore faut-il la fabriquer en grande quantité et ce but n’est pas réalisable dans l’immédiat même si la technologie est parfaitement maîtrisée. Il faudra plusieurs années pour arriver à une production suffisante pour supplanter les énergies fossiles.
BESOIN D’ÉNERGIE POUR FAIRE DE L’ÉNERGIE !
Pour sortir l’hydrogène de l’eau, la technologie la plus adaptée est l’électrolyse. Mais pour cela, il faut de l’électricité ! Pas question pour les défenseurs du projet de faire appel à de l’énergie fossile ou nucléaire… Il ne reste donc que l’énergie renouvelable, mais la Région transfrontalière n’en produit que très peu. Le Bade-Wurttemberg, par exemple, importe son énergie « propre » pas des lignes de haute tension venant du nord de l’Allemagne qui a beaucoup investi dans les éoliennes.
Cela permet d’alimenter ses propres besoins mais ne suffit pas à faire fonctionner une fabrication d’hydrogène. La Région ne pourra donc pas produire suffisamment même pour ses propres besoins : d’où l’idée d’importer de l’hydrogène produite avec des énergies renouvelables.
Peter Majer, manager de l’Innovation à Badenova AG*, a trouvé la solution : il faudra fabriquer cet hydrogène dans les pays bien pourvus en installations solaires et éoliennes : l’Espagne, le Portugal et la Grèce… Une revanche de l’Europe du Sud sur les « donneurs de leçons » du Nord ?
Depuis que l’utilisation de l’eau de mer est possible, ce sont donc les pays rêvés pour la production.
Reste la distribution : l’Europe est largement alimentée par les pipe-line transportant du pétrole ou du gaz. L’envoi d’hydrogène est compatible avec ces tuyaux, sauf à devoir les rendre totalement hermétique car ce gaz à la fâcheuse tendance à s’échapper par le plus petit des espaces !
Le transport naval est une autre possibilité mais nécessite des aménagements pour maintenir une température adéquate pour véhiculer l’hydrogène en toute sécurité. On le voit : des contraintes fortes… mais un marché qui semble juteux aux yeux des décideurs économiques et politiques de la Région.
DES INVESTISSEMENTS, DES INVESTISSEMENTS, DES INVESTISSEMENTS
Les tables-rondes ont réunis, lors de ce forum, les potentiels acteurs-investisseurs, dont M. Frédéric Bierry, président de la CEA, pour être présent dans ce qui apparaît comme un nouvel eldorado.
Cette ruée vers l’hydrogène nécessite des investissements avant que les profits se ramassent à la pelle… Des forums comme celui-ci sont avant tout organisés pour mobiliser des potentialités et d’envisager la part prise par le public et le privé. On peut difficilement imaginer, du côté français, que Engie ne soit pas dans le coup : mais quel montant le gouvernement français est-il prêt à mettre dans l’hydrogène alors qu’il vient de conforter la filière nucléaire qui nécessitera des investissements faramineux ? Verra-t-on une fois encore, l’Allemagne et la Suisse être les principaux financeurs de cette nouvelle technologie et prendre ainsi une option sur une production d’énergie qui semble plus propre que celle du nucléaire ?
ET LE CITOYEN LÀ DEDANS ?
Reste que l’impact environnemental de la production d’hydrogène n’a pas été véritablement traité. Ni l’implication des populations dans ces projets.
La seule référence aux citoyens vint de M. Walter, et ce pour proposer… de rendre l’énergie encore plus chère afin de faciliter le développement de la production d’hydrogène. Nous sommes là en plein délire technocratique : faire passer en force et par moultes manœuvres, un projet que cela plaise ou non aux citoyens. Cette méthode par la contrainte est inadmissible et espérons que les politiques en charge du dossier donneront l’information et la parole aux habitants pour qu’ils puissent être, le cas échéant, des artisans actifs d’une transition écologique librement consentie.
On peut espérer qu’en Allemagne ou en Suisse, les associations de consommateurs citoyennes ne laisseront pas passer l’occasion pour se faire entendre et que les organisations alsaciennes y prennent leur part.
*Badenova est le principal fournisseur d’énergie de la Bade du Sud et a son siège à Fribourg. A capitaux majoritairement publics, cette entreprise se spécialise avant tout dans les énergies
Restitution audio de la conférence :
Galerie photographique de Martin Wilhelm :
Salut,
Voilà un article qui peut paraître impartial, à la vu des clichés illustrant grosso modo le power-point decette conférence,
ais surtout qu’il me renvoie à la compétition pour cette nouvelle industrie, puisque le Chili espère vivement devenir un exportateur de l’hydrogène, Hydrogène vert : le Chili veut devenir l’Arabie Saoudite de demain : https://blog.leslignesbougent.org/hydrogene-vert-le-chili-veut-devenir-larabie-saoudite-de-demain/?scroll=respond&utm_source=llb&utm_medium=emailing&utm_campaign=daily-2022–06-15&utm_source=LLB&utm_medium=emailing&utm_campaign=20220615_LLB_daily_newsletter_hydrogene-vert-le-chili-veut-devenir-l-arabie-saoudite-de-dem-20220615&isBat=false&d=LLB%20120%20jours&sk=amFub2x1aXNAb3JhbmdlLmZy&e=50301d7082ecb8036fb70be6a2b7c6f1e54719a41193b149be86157fdf373728&j=1071953&l=395&b=17078&sid=18135842&senddate=2022–07-03/ (Le lien est long, mais c’est le bon)