Joyeux Noël les chô­meurs ! C’est en sub­stance le mes­sage que déli­vrait le gou­ver­ne­ment l’a­vant veille de la fête à la sur­con­som­ma­tion, le ven­dre­di 23 décembre 2022.

Dans le pro­jet de décret envoyé pour exa­men au Conseil d’État et aux orga­ni­sa­tions syn­di­cales et patro­nales (pour simple consul­ta­tion), la durée d’indemnisation des deman­deurs d’emploi devait bais­ser de 40 % si le taux de chô­mage natio­nal est infé­rieur à 6 %. 

Éli­sa­beth Borne annon­ce­ra fina­le­ment le retrait du pro­jet le mar­di 3 jan­vier 2023.

Étran­ge­ment, l’opposition de gauche, au tra­vers du dépu­té et diri­geant de La France insou­mise Manuel Bom­pard, saluait ce mar­di 3 jan­vier 2023 le retrait d’une par­tie seule­ment du décret sur l’assurance chômage :

C’est « Un pre­mier recul. La preuve que le rap­port de force paie ! », se satis­fai­sait-il sur son fil Twit­ter.

Pour la pre­mière ministre Éli­sa­beth Borne : « Nous remet­trons ce sujet dans la concer­ta­tion sur les futures règles de l’assurance-chômage. » 

Quoi qu’il en soit, pour renon­cer tem­po­rai­re­ment à cette coupe rase sociale, elle en pro­fi­ta pour enté­ri­ner une baisse de 25 % de la durée d’indemnisation pour tous les deman­deurs d’emploi qui ouvrent des droits à par­tir du 1er février en ter­ri­toire métro­po­li­tain. Soit 18 mois maxi­mum au lieu des 24 mois initiaux. 

Après tout, qu’importent ces 6 mois sous­traits aux droits sociaux des chô­meurs. Face à des enjeux sociaux et cli­ma­tiques sans pareils, rien n’est plus impé­ra­tif que tra­vailler, tur­bi­ner, taf­fer, beso­gner, ser­vi­le­ment, au ser­vice d’un « créa­teur d’emploi ».

Alors toi le deman­deur de taff, cesse tes péré­gri­na­tions pares­seuses en Corse du sud, et tra­verse enfin la rue du pro­grès éco­no­mique, afin d’ar­ra­cher le demi point de crois­sance qui ren­dra au teint de Bru­no Le Maire le lustre per­du des néo-libé­raux jacas­sant, absur­de­ment, et à contre-temps, la lita­nie pré­da­trice d’un monde qui pour­tant se dérobe à leurs pieds : com-pé-ti-tion, croi-ssan-ce, mon-dia-li-sa-tion. 

Pour ce faire, il convien­dra de pro­cé­der à l’  »acti­va­tion » du chô­meur, pre­mier res­pon­sable de son chô­mage !

D’où l’explosion des radia­tions admi­nis­tra­tives de Pôle emploi, consis­tant à pri­ver une per­sonne de ses allo­ca­tions, et de la rayer de la liste des deman­deurs d’emploi pour n’a­voir pas répon­du à une obli­ga­tion, notam­ment un rendez-vous.

En novembre 2022, selon les chiffres cités par Média­part, 58 100 per­sonnes ont été radiées, soit un record depuis 1996. Sur un mois, la hausse atteint le score inouï de 19 %, soit 9 400 radié·es sup­plé­men­taires par rap­port à octobre, selon les chiffres de la Dares, l’institut sta­tis­tique du minis­tère du travail.

Il y aurait eu en moyenne 50.000 radia­tions men­suelles en 2022, contre 42.000 en 2021 et 43.900 en 2019…

Sans que l’ins­ti­tu­tion ne puisse don­ner d’explication à ce nombre consé­quent d’al­lo­ca­taires radiés, le Ministre du Tra­vail, Oli­vier Dus­sopt, s’est pour­tant empres­sé de s’at­tri­buer sur Twit­ter un satis­fe­cit quant à la baisse des deman­deurs d’emploi de caté­go­rie A (-65 800 personnes) :

Il s’a­git d’un trompe l’œil usuel. Les radia­tions ne suf­fisent pas à expli­quer le chiffre. Il faut donc cher­cher du coté des caté­go­ries B et C (chô­meurs par­tiel­le­ment en emploi) pour com­prendre le phé­no­mène de vases com­mu­ni­cants, et l’ap­pa­rente « baisse du chômage ». 

Par ailleurs, les sanc­tions pour «  insuf­fi­sance de recherche d’emploi », repré­sentent 10 % du total des radia­tions, contre 5 % les années pré­cé­dentes. Sans doute une consé­quence de l’in­ten­si­fi­ca­tion de la sur­veillance des chô­meurs, dis­po­si­tif actif depuis jan­vier 2022. Avec un objec­tif de 500 000 contrôles en 2023 (+ 80 000 par rap­port à 2019). 

Le pré­texte idéal à l’ac­cé­lé­ra­tion du fli­cage auprès des chô­meurs sont les dif­fi­cul­tés de recru­te­ment dans les métiers dits « en tension ». 

Plu­tôt que de viser l’i­na­dé­qua­tion entre l’offre et la demande de tra­vail, et notam­ment les pro­blèmes liés à l’insuffisance de for­ma­tions, ou de consi­dé­rer sérieu­se­ment les effets répul­sifs liés aux bas salaires ou aux mau­vaises condi­tions de tra­vail, expli­quant une bonne par­tie de la pénu­rie de main‑d’œuvre, les mesures coer­ci­tives et infan­ti­li­santes sont pré­fé­rées par le gouvernement. 

C’est tout le sens de la nou­velle réforme de l’assurance-chômage entrant en vigueur en février 2023…

Signe que les situa­tions de ten­sion se mul­ti­plient aux gui­chets de Pôle-emploi : selon le syn­di­cat Force ouvrière, les signa­le­ments d’agressions liées à des radia­tions ont aug­men­té de plus de 63 % au 1er semestre 2022 par rap­port au 1er semestre 2019. 

Et la pres­sion n’est pas prête de se relâ­cher puisque l’opérateur compte pour­suivre la bataille des métiers en ten­sion dont les chô­meurs ne vou­draient pas.

Seul à ten­ter de faire entendre une voix dis­cor­dante et dis­so­nante au sein de l’ins­ti­tu­tion vouée à l’emploi, Jean-Louis Wal­ter, média­teur natio­nal de Pôle emploi indique que les demandes de média­tion liées aux sanc­tions nou­velles ont aug­men­té dès l’année 2021, en dou­blant par rap­port à 2019 pour atteindre 11 % des saisines.

Le média­teur qui est libre de s’ex­pri­mer sans entrave évoquent à ce titre « inadé­qua­tion », ajou­tant, dans son rap­port 2021 que « Cer­taines de ces sanc­tions semblent véri­ta­ble­ment dis­pro­por­tion­nées, tant dans leur gra­vi­té que dans leurs consé­quences ».

Celui qui réclame depuis long­temps « une gra­da­tion des sanc­tions » et l’instauration d’un « sur­sis », au pre­mier man­que­ment aux obli­ga­tions, s’en prend au décret de décembre 2018 qui a dur­cit les sanc­tions, au lieu de les faire évo­luer progressivement.

Jean-Louis Wal­ter rap­pelle de longue date que « Radier est une déci­sion grave », et consti­tue « une épreuve que même un sala­rié socia­le­ment insé­ré ne sau­rait sur­mon­ter sans dom­mages ».

Une étude de Pôle emploi publiée le 21 août 2018, mon­trait que sur un panel de chô­meurs contrô­lés, 92% des allo­ca­taires indem­ni­sés et 81% des allo­ca­taires non indem­ni­sés étaient bien en recherche active d’emploi. Seuls 14% des contrôles avaient abou­ti à une radia­tion, dont 60% concer­naient des deman­deurs d’emploi non indem­ni­sés, met­tant à mal l’i­dée que de nom­breux chô­meurs vivraient aux frais de la princesse.

En 2019, un rap­port de Pôle emploi chif­frait la fraude aux allo­ca­tions chô­mage à 212 mil­lions d’eu­ros sur les 37 mil­liards d’eu­ros de fonds ver­sés, ce qui cor­res­pon­dait à 0,57% des mon­tants ver­sés au total… 

Et la fraude aux coti­sa­tions sociales pra­ti­quée spor­ti­ve­ment par les employeurs et tra­vailleurs indé­pen­dants ? Le manque à gagner, autre­ment plus consé­quent, est éva­lué entre 8,9 et 11,3 mil­liards d’euros en 2021, selon le Haut Conseil au finan­ce­ment de la pro­tec­tion sociale (HCFIPS)… Soit 40 à 50 fois plus que la fraude aux allo­ca­tions chô­mage !

Le nombre d’a­gents dédiés à la lutte contre la fraude à l’as­su­rance-mala­die était de 1 060 équi­va­lents temps plein en 2019, contre 965 en 2014. Un nombre insuf­fi­sant selon la Cour des comptes. 

Y a qu’à for­cer les chô­meurs à se char­ger de la lutte contre la fraude sociale ?

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