Une repré­sen­tante de l’État, haute fonc­tion­naire, rem­plis­sant la charge de pré­fète du Grand est et du Bas-Rhin, choi­sit de com­mu­ni­quer en dis­cri­mi­nant par­mi les médias, lorsque ceux-ci n’ont pas l’heur de la satisfaire. 

Nos confrères de Rue89 Stras­bourg, informent en effet leurs lec­teurs que les ser­vices pré­fec­to­raux ignorent pure­ment et sim­ple­ment les demandes du jour­nal, ce que la pré­fète recon­nai­tra ouver­te­ment dans une vidéo dif­fu­sée par le média indé­pen­dant, à l’oc­ca­sion d’une confé­rence de presse… où des jour­na­listes mai­son ont (enfin) pu se faufiler !

Le jour­nal indique que plus d’une ving­taine de demandes adres­sées à la Pré­fec­ture res­te­ront lettres mortes, tout le long de ces der­niers mois. 

Mieux, le média stras­bour­geois se voit exclu de la liste des invi­ta­tions de presse et se trouve pri­vé des com­mu­ni­qués préfectoraux. 

Ce fai­sant, le boy­cott pré­fec­to­ral induit éga­le­ment un mutisme indi­rect des ser­vices décon­cen­trés de l’État (tels la DREAL) qui, lors­qu’ils sont sol­li­ci­tés, s’o­bligent à trans­mettre aux ser­vices pré­fec­to­raux les demandes éma­nant d’un organe de presse. 

Récem­ment, le squat Bour­gogne situé dans le quar­tier de la Mei­nau est éva­cué par les forces de l’ordre. La jour­na­liste de Rue89 n’est pas auto­ri­sée à fran­chir le cor­don poli­cier, a l’op­po­sé de ses confrères ! Consigne pré­fec­to­rale. Elle y par­vien­dra tou­te­fois par un moyen détourné. 

Le ser­vice de com­mu­ni­ca­tion pré­fec­to­ral fait tour­ner le média en bour­rique quand celui-ci réclame des expli­ca­tion sur le motif de ce ban­nis­se­ment, et le ren­voie à un échange avec la pré­fète lors d’une confé­rence de presse, dont le jour­nal est simul­ta­né­ment privé !

Outre les pro­blèmes déon­to­lo­gique que posent une telle situa­tion, un ancien agent de la pré­fec­ture, cité par les jour­na­listes Guillaume Krempp et Camille Bal­zin­ger, informe sur la nature du rap­port que la haute fonc­tion­naire entre­tient avec les médias : 

« Josiane Che­va­lier n’aime pas du tout être cri­ti­quée. Donc les enquêtes à la Média­part, elle déteste. C’est une pré­fète qui attend des jour­na­listes qu’ils écoutent lors des confé­rences de presse et trans­mettent le dis­cours de la pré­fec­ture. Au-delà de son rap­port aux jour­na­listes, c’est une pré­fète qui se per­met des sor­ties très poli­tiques, contre la maire de Stras­bourg notam­ment. Je pense que c’est lié à des consignes du ministre de l’Intérieur Gérald Dar­ma­nin qui a lan­cé une guerre de com­mu­ni­ca­tion contre les muni­ci­pa­li­tés écologistes. »

En l’oc­cur­rence, la pré­fète jus­ti­fie son ban­nis­se­ment par le fait que les titres des articles de Rue89 « ne sont pas accep­tables ». Devrait-elle se char­ger elle-même de sa rédac­tion en chef ?

« Nous ce qu’on sou­haite, c’est avoir quelque chose de plus équi­li­bré. Si on trouve des choses plus équi­li­brées, moi j’ai pas de sou­ci ». Qu’y avait-il donc de dés­équi­li­bré à rap­pe­ler et docu­men­ter les passes d’arme entre Jean Bar­se­ghian, maire de Stras­bourg et la pré­fète macro­nienne, ain­si que quelques sor­ties dis­pen­sables, des­ti­nées à cogner une muni­ci­pa­li­té tenue par une écologiste ? 

On trou­ve­ra par ce lien les articles ayant pour objet, ou qui sont cor­ré­lés à Josiane Che­va­lier, publiés par Rue89Strasbourg. Et l’on consta­te­ra aisé­ment que rien ne jus­ti­fie l’ou­kaze pré­fec­to­ral sur ce média indépendant. 

Il est vrai que le niveau de régres­sion démo­cra­tique entre­te­nu par les sec­ta­teurs du macro­nisme, lui même fon­dé sur une vision rabou­grie de l’ex­pres­sion démo­cra­tique, a de quoi lais­ser son­geur : l’ar­ticle 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liber­té de presse ne pré­voit-il pas qu’un organe de presse s’o­blige à publier un droit de réponse dès lors qu’une per­sonne objet d’un article jugé liti­gieux par lui, en ferait la demande ? 

Mani­fes­te­ment, cette époque de civi­li­té pro­cé­du­rale est révolue. 

Pressés d’ignorer

L’au­to­ri­ta­risme tran­quille qui cor­sète la pra­tique macro­nienne du pou­voir se mesure chaque jour, à la désin­vol­ture avec laquelle il pié­tine l’es­prit des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques, ain­si qu’il est loi­sible de le voir à l’oc­ca­sion de.la réforme des retraites. 

Tout est dans le dra­pé léga­liste (« c’est légal ! ») qui sert de boite à musique pour auto­mates télé­gui­dés, que sont les élus et ministres du bloc présidentiel. 

Emma­nuel Macron, peut aus­si bien se décla­rer l’o­bli­gé de ceux qui n’ont pas voté pour lui en rai­son de son pro­gramme, mais pour reje­ter l’alternative, le len­de­main de sa vic­toire en 2022. Il estime pour autant n’a­voir aucun compte à rendre à ses man­dants, qui l’ont por­té par deux fois à la magis­tra­ture suprême en des cir­cons­tances poli­tiques pour les moins particulières. 

De toute évi­dence, son gou­ver­ne­ment est démo­cra­ti­que­ment auto­suf­fi­sant. Il a rai­son, seul, par nature. Seul contre l’o­pi­nion publique. Seul contre le mou­ve­ment social. Seul contre les experts ayant démon­tré l’i­na­ni­té des pro­messes et des éco­no­mies escomp­tées lors de l’exa­men de la réforme retraite, notamment. 

Que les citoyens dussent alors faire entendre leur voix dans la rue, afin de pro­tes­ter contre ce qu’ils estiment être un coup de force ins­ti­tu­tion­nel, ou alors vou­loir se comp­ter, par le tru­che­ment de leurs repré­sen­tants, au sein de l’As­sem­blée natio­nale. Rien n’y fait. Ils ont tort de n’être pas au dia­pa­son de l’exécutif. 

Ce fai­sant, ils seront igno­rés, voire matra­qués, si l’en­vie leur pre­nait de se rap­pe­ler aux oreilles du pouvoir. 

Ici, per­sonne ne cache ses réserves à l’en­droit de l’exé­cu­tif et de ses basses pra­tiques der­rière un éthos de la neu­tra­li­té pro­fes­sion­nelle. Car per­sonne ne conçoit l’exer­cice de presse comme le suc­cé­da­né de l’acte du gref­fier, à la dis­po­si­tion des agents ins­ti­tu­tion­nels de l’État. « L’im­pri­me­rie et la librai­rie sont libres », ain­si que le men­tionne uti­le­ment l’ar­ticle 1 de la loi sur la liber­té de la presse de 1881. 

Nul ne devrait l’omettre. 

Tou­te­fois, pour ce qui concerne la presse, le gou­ver­ne­ment pra­tique la loi du fait accom­pli. Laquelle se pour­suit selon les mêmes moda­li­tés. Appli­ca­tion variable du prin­cipe de libre opi­nion, et de liber­té d’ex­pres­sion consa­crés par la Consti­tu­tion, et for­mu­lés dans la décla­ra­tion des Droits de l’homme et du citoyen. 

Pour­tant, la repré­sen­tante de l’État en Région Grand est, estime pou­voir s’en exo­né­rer. La presse abu­se­rait, selon ses dire, de ses pré­ro­ga­tives lors­qu’elle déter­mine en auto­no­mie ses sujets et points de vue, c’est à dire s’é­chine à faire un tra­vail consa­cré par des droits en régime démocratique.

Instantané d’une fonctionnaire aux ordres

Pré­fète depuis 2012, Josiane Che­va­lier occu­pe­ra suc­ces­si­ve­ment des postes habi­tuel­le­ment attri­bués à des hommes (pre­mière pré­fète des Pyré­nées orien­tales et de l’Essonne). 

Pre­mière prise de poste au fémi­nin, tou­jours, en Corse du Sud, à par­tir de 2018, après cent onze pré­dé­ces­seurs mas­cu­lins ! Au cours de ses 20 mois en poste, elle croi­se­ra le fer avec les natio­na­listes, notam­ment sur le dos­sier des fraudes aux sub­ven­tions agri­coles, les occu­pa­tions du domaine mari­time et les gérants de paillotes.

Elle s’y forge une répu­ta­tion de « femme de ter­rain et à poigne ». Mais les natio­na­listes corses les mieux dis­po­sés voyaient sur­tout en elle « Une femme de ter­rain, qui sait trou­ver des solu­tions de proxi­mi­té. Mais si la majo­ri­té natio­na­liste porte une part de res­pon­sa­bi­li­té dans l’escalade en cours, la pré­fète aus­si. Par son atti­tude, elle ali­mente un match mal­sain qui n’a pas lieu d’être ».

Il semble que les natio­na­listes aient réus­si à la convaincre de retour­ner en métro­pole. Aus­si est elle arri­vée en jan­vier 2020 à la tête de la Pré­fec­ture du Bas-Rhin et la Région Grand est, pour deve­nir, là encore, une pion­nière fémi­niste au sein du corps de hauts-fonc­tion­naires pré­fec­to­raux. Elle assume en outre la fonc­tion de pré­fète de « zone de défense et de sécu­ri­té ».

Depuis son ins­tal­la­tion dans la Région, elle aura mul­ti­plié les occa­sion de conflit avec la muni­ci­pa­li­té de Stras­bourg. Dif­fi­cile de ne pas la voir agir pour le compte d’in­fluents res­pon­sables poli­tiques de la « majo­ri­té », auprès de qui elle sert de pré­cieux porte flingue. 

En somme, les méthodes de Josiane Che­va­lier consti­tue un pré­ci­pi­té assez repré­sen­ta­tif de la praxis et de l’é­thos macro­nien. Igno­rer, mépri­ser, sous­traire, ban­nir, dévoyer, et au besoin vio­len­ter. S’a­gis­sant de la gou­ver­nance d’un pays, c’est déjà tra­gique. S’a­gis­sant du pivot consti­tu­tion­nel et matri­ciel qu’est le droit d’ex­pres­sion, rai­son d’être d’une cer­taine presse indé­pen­dante, et de son rap­port cri­tique à la démo­cra­tie, c’est poli­ti­que­ment crépusculaire.