Pho­tos de Mar­tin Wilhelm

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Lun­di 26 juin 2023, les affaires sui­vaient mol­le­ment leur cours au conseil agglo­mé­ra­tion. Les votes s’en­chai­naient par défaut le long d’une assem­blée dont la pra­tique bureau­cra­tique semble ren­voyer aux meilleures heures des congrès du komin­tern.

« Qui est contre ? » (per­sonne ne lève la main) « Qui s’abs­tient ? » (per­sonne ne lève la main). « Mer­ci à vous ». « Point suivant ». 

Les dia­po­si­tives pro­je­tées sur 2 écrans se suc­cèdent dans l’a­to­nie géné­rale, et appa­raissent éso­té­riques, pour qui n’a pas les clés d’en­trée admi­nis­tra­tives ou juri­diques afin d’es­pé­rer en décryp­ter les enjeux. 

Les élus de la majo­ri­té mul­hou­sienne, réduits au rang de simples figu­rants, s’en­nuient acti­ve­ment, s’oc­cu­pant sou­vent avec leurs télé­phones, jetant fur­ti­ve­ment des coups d’oeil à droite, à gauche, et en arrière, afin de ten­ter une brève com­mu­ni­ca­tion, voire se faire un signe, alors que les tables où siègent les conseillers com­mu­nau­taires sont ran­gés à l’exact oppo­sé du conseil muni­ci­pal mulhousien. 

Par une orga­ni­sa­tion des tables en car­ré, la muni­ci­pa­li­té veille à tout le moins à ce que chaque inter­lo­cu­teur puisse être vu par ses col­lègues et par les camé­ras, lors­qu’il s’exprime. 

Le conseil d’ag­glo­mé­ra­tion infan­ti­lise a contra­rio les élus, pla­cés les uns der­rière les autres, à l’ins­tar d’une classe d’é­cole. Le maitre de la classe-assem­blée, Fabian Jor­dan, ci-devant pré­sident de l’ag­glo­mé­ra­tion, s’ex­prime pour intro­duire le sujet, pas­sant la parole à l’un des 15 vice-pré­si­dents en charge du sujet, situé laté­ra­le­ment à lui. 

Pen­sé pour ne pas être retrans­mise en vidéo, cette orga­ni­sa­tion régres­sive est aus­si contre-pro­duc­tive démo­cra­ti­que­ment. Les élus et élues qui sou­haitent s’ex­pri­mer doivent être repé­rés par le pré­sident dans la foul­ti­tude des 80 per­sonnes agglu­ti­nées le long des quelques ran­gées, avant que de pou­voir prendre la parole. 

L’im­pres­sion que tout est théâtre d’ombre (comme sou­vent dans une assem­blée plé­nière) est ren­du d’au­tant plus vive que tout se joue mani­fes­te­ment en cou­lisses, c’est à dire en com­mis­sions ou en « bureau », ins­tance d’o­rien­ta­tion et de vali­da­tion, selon les termes de l’organigramme communautaire. 

Nous sommes deux jour­na­listes, assis dans la par­tie réser­vée au public, où 3 per­sonnes sont pré­sentes. Une char­gée de com­mu­ni­ca­tion nous repère, alors que nous enre­gis­trons l’intervention d’un conseiller. On lui explique qu’on ne dif­fu­se­ra pas, alors même qu’il serait légi­time de le faire. Le pho­to­graphe se ver­ra quant à lui prié de ne pas pho­to­gra­phier, quand une col­lègue (atti­trée ? habi­li­tée ?) fait libre­ment le tour de l’as­sem­blée et déclenche des cli­chés à foison.

Quelques jours aupa­ra­vant, lors de la tenue du conseil muni­ci­pal de Mul­house, l’u­nion locale CGT avait ins­tal­lé une tente pour pro­tes­ter contre une déci­sion muni­ci­pale, devant l’en­trée du parc expo, où se tenait le conseil. Notre pho­to­graphe avait alors été inter­pel­lé par un poli­cier muni­ci­pal, lui deman­dant de ne pas faire de pho­to­gra­phie (nous étions à l’ex­té­rieur, sur le par­king), quand tout le monde pho­to­gra­phiait avec son télé­phone portable… 

Au nom du prin­cipe de publi­ci­té des débats, toutes les per­sonnes pré­sentes lors des séances peuvent libre­ment enre­gis­trer les débats des conseils muni­ci­paux ou d’agglomération et les dif­fu­ser ensuite, par exemple sur Inter­net. Les seules limites sont les pou­voirs de police du pré­sident de l’as­sem­blée et le droit à l’image des participants. 

Pas­sons donc sur cette étrange manière de pra­ti­quer la trans­pa­rence des faits et débats, aus­si bien par la muni­ci­pa­li­té que par l’agglomération, non fil­més pour cette der­nière, rappelons-le. 

Arrive le point 39 du conseil com­mu­nau­taire, inti­tu­lé « Déli­bé­ra­tion de por­ter à connais­sance – rap­port d’observations défi­ni­tives de la Chambre régio­nale des comptes du Grand Est sur l’association spor­tive Mul­house Olym­pic Nata­tion (MON) (242/7.10.5/2062C ».

Fabian Jor­dan prend la parole et se livre à un plai­doyer pro domo dif­fi­ci­le­ment sou­te­nable : « Vous avez lu le rap­port. Nous avons héri­té d’une situa­tion. Concer­nant les élé­ments qui relèvent de la jus­tice, elle fait son tra­vail. Il n’y a aucune rai­son de se por­ter par­tie civile à ce stade, il n’y a pas eu détour­ne­ment de fonds publics, mais si ça devait s’avérer être le cas, on le ferait immé­dia­te­ment ». « Nous sommes dans la trans­pa­rence ». Pro­pos qu’il répé­te­ra par deux fois. 

Puis il enchai­ne­ra, l’air triom­phal, sur le fait que Franck Hor­ter, pré­sident du « Mul­house olym­pic nata­tion », et conseiller com­mu­nau­taire, a démis­sion­né du conseil d’ag­glo­mé­ra­tion (mais tou­jours pas du conseil muni­ci­pal de Mulhouse !). 

Il se mur­mure à ce sujet que Franck Hor­ter aurait été contraint de démis­sion­ner, ne sou­hai­tant pas se démettre de son propre chef. 

Dans L’Al­sace, notre consoeur Michèle Mar­chet­ti, qui couvre les débats, rap­por­te­ra que Daniel Bux, élu aux sports, décla­re­ra sans rire que « L’agglo a été enten­due par la jus­tice. Reste à savoir si on sera concer­nés par l’enquête. Pour l’instant, aucun fait ne nous est repro­ché et on n’a subi aucun pré­ju­dice. On n’a pas été volé, c’est l’utilisation de l’argent qui pose ques­tion. On ne peut donc pas se por­ter par­tie civile, le juge pour­rait refu­ser. Mais l’affaire est sui­vie de près par notre avo­cat, et s’il nous conseillait de réagir, on le ferait très vite ».

Au regard du conte­nu du rap­port, on a quelques dif­fi­cul­tés à croire que M2A n’a « subi aucun pré­ju­dice » ! La chambre régio­nale rap­pe­lant à cet effet la res­pon­sa­bi­li­té et le défaut du prin­ci­pal finan­ceur du MON. 

Un infor­ma­teur nous annonce par ailleurs que l’exé­cu­tif de M2A aurait fina­le­ment déci­dé de se por­ter par­tie civile. A suivre, donc.

Élève tur­bu­lent, situé au der­nier banc de l’as­sem­blée (mais tou­te­fois loin du radia­teur), Joseph Simeo­ni (élu Mul­house cause com­mune) tré­pigne. Il est inter­ve­nu à plu­sieurs reprises, et attend la prise de parole de Jor­dan à ce sujet, avant de réagir. 

Indi­gné par les conclu­sions des magis­trats de la chambre régio­nale (dont le rap­port est publié sur leur site depuis le 27 juin), il y égrè­ne­ra de nom­breux pas­sages, s’ar­rê­tant et insis­tant aux endroits où les faits sont les plus stu­pé­fiants, comme le salaire annuel du « direc­teur géné­ral », ou encore le mon­tant d’as­su­rance de sa Porsche, évi­dem­ment pris en charge par le MON… 

Pour lui, le rap­port est « acca­blant tant pour l’association et ses prin­ci­paux diri­geants, que pour le prin­ci­pal pour­voyeur de sub­ven­tions publiques, M2A, dont la chambre régio­nale pointe les lacunes dans les contrôles effec­tués, les rela­tions équi­voques et confuses entre les deux parties… ».

« Il faut que M2A se porte par­tie civile immé­dia­te­ment, sans attendre que la FFN (Fédé­ra­tion fran­çaise de nata­tion) le fasse avant ». Récla­mant en outre : « un audit interne au sein de l’agglomération pour mettre en lumière les dys­fonc­tion­ne­ments dans l’usage des fonds publics, condi­tions indis­pen­sables pour l’avenir du club et gages de sa reconstruction ».

Loïc Mine­ry, vice-pré­sident (Mul­house cause com­mune) de l’agglomération, recon­nait que cela pose ques­tions, élar­gis­sant la focale aux sports en géné­ral. Nadia El Haj­ja­ji (élue Mul­house cause com­mune) évoque quant à elle « la néces­si­té de se por­ter rapi­de­ment par­tie civile pour évi­ter les ques­tion­ne­ments de citoyens quant à la posi­tion de M2A dans cette affaire ». 

Fabian Jor­dan conclu­ra un échange ten­du par un : « On tra­vaille à la recons­truc­tion, la vigi­lance et la trans­pa­rence sont là. On pren­dra les déci­sions qu’il fau­dra prendre quand il fau­dra les prendre ».

Nous allons l’y aider à notre manière. Notre pro­chain article à ce sujet résu­me­ra le détail de ce stu­pé­fiant rap­port, clas­sé « confi­den­tiel » les pre­miers jours de sa parution. 

L’AFP (puis le jour­nal L’é­quipe) ont été les pre­miers médias a faire état du rap­port. Les jour­naux natio­naux et régio­naux (y com­pris L’Al­sace) ont repris ces infor­ma­tions très lacu­naires, sans dis­tance et sans même cher­cher à les compléter. 

Quant aux élus com­mu­nau­taires, beau­coup se sou­ciaient du sujet comme d’une guigne, pareille au spa­ra­drap du capi­taine Had­dock, à com­men­cer par le groupe majo­ri­taire mulhousien. 

Le fait est que les citoyens et citoyennes n’ont pas eu droit à une séance d’ex­pli­ci­ta­tion, pré­cise et docu­men­tée, du conte­nu de ce rap­port, rela­tant la gabe­gie d’argent public poin­tée par la chambre régio­nale, alors que la famille Hor­ter pilo­tait la struc­ture sportive. 

Cette omis­sion sera répa­rée très pro­chai­ne­ment dans ces colonnes. 

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