Revoilà le saugrenu projet de multiplexe cinématographique de Wittenheim sur la table, à défaut d’être sous le tapis. La frénésie pour les surfaces commerciales et de loisir en périphérie des villes et des villages ne semble pas faiblir. A contrario, l’action de M2A en faveur d’une véritable politique durable et d’équilibre des territoires peine, pour le moins, à se dessiner.

Repre­nons les faits. Dans « l’Alsace » du 8 jan­vier 2016, Antoine Homé, maire de Wit­ten­heim, appuie un pro­jet de mul­ti­plexe ciné­ma­to­gra­phique de 10 salles por­té par le groupe Ciné­ville. Avan­çant une bat­te­rie d’arguments favo­rables à cette réa­li­sa­tion et au choix du site, le maire se doute déjà qu’une oppo­si­tion farouche mar­que­ra sa désap­pro­ba­tion, prin­ci­pa­le­ment chez les exploi­tants actuels de ciné­mas et par­mi les élus mul­hou­siens. La com­mis­sion dépar­te­men­tale d’aménagement commercial/cinématographique (CNAC) rejette le pro­jet le 2 février obli­geant les acteurs favo­rables au dos­sier à revoir leur copie.

Pas­sion com­mune pour le 7e art chez les édiles de Cer­nay et de Wittenheim

Il faut dire que Wit­ten­heim n’est alors pas la seule com­mune en lice pour accueillir un ciné­ma : à Cer­nay aus­si on veut du grand écran… en tout cas à la mai­rie. Pas loin de 1800 sièges contre pra­ti­que­ment 2000 dans le Bas­sin potas­sique. La folie des gran­deurs alors qu’au même moment le ciné­ma Le Flo­ri­val à Gueb­willer sou­haite modes­te­ment s’agrandir.

La salle apprend qu’un nou­veau pro­jet de mul­ti­plexe voit le jour

Mécon­tent d’être reto­qués, Mes­sieurs Homé et Sor­di pré­parent la riposte, com­pre­nez le reca­li­brage des pro­jets. Pour Cer­nay, la nou­velle mou­ture (7 salles pour près de 1000 sièges) est vali­dée de jus­tesse en CDAC du 25 avril 2017 par six voix contre quatre mais vali­dée quand même. Comme on pou­vait s’y attendre, un recours est dépo­sé auprès de la CNAC (Com­mis­sion Natio­nale d’Aménagement Commercial/Cinématographique) qui, de façon hal­lu­ci­nante, suit l’avis favo­rable émis pré­cé­dem­ment. Enfin on hal­lu­cine sur­tout quand on regarde la com­po­si­tion de cette ins­tance : un entre soi d’élus et de hauts-fonc­tion­naires[1]. Exit les asso­cia­tions envi­ron­ne­men­tales et les col­lec­tifs citoyens. A Wit­ten­heim la nou­velle est tom­bée le 20 novembre 2017 : la pro­po­si­tion retra­vaillée de 6 salles et 1253 sièges obtient une majo­ri­té de cinq voix contre trois oppo­si­tions. Le maire dit se réjouir (l’Alsace du 21/11/2017) d’un tel vote oubliant au pas­sage l’opposition expri­mée. Pas­ser en force, conti­nuer la fuite en avant et rai­son­ner comme un élu du siècle pas­sé, voi­là qui résume la manière dont le pre­mier magis­trat de Wit­ten­heim gère ce dossier.

Trou­blantes et condam­nables complicités 

Plus éton­nant, le sou­tien de M2A reven­di­qué par l’édile. Il faut dire que le jeu poli­tique com­mu­nau­taire nous a habi­tués à un niveau digne d’une cour de récréa­tion. Sans doute est-ce dans la conti­nui­té de la riva­li­té Rott­ner-Jor­dan qu’il faut cher­cher le sou­tien à ce pro­jet néfaste. L’ancien maire de Mul­house n’ayant pas réus­si à deve­nir calife à la place du calife s’est mis à dos bon nombre d’élus de l’agglomération ; ces der­niers ayant appor­té leur sou­tien à Fabien Jor­dan attendent peut-être en retour d’être confor­tés dans leur image de maires bâtis­seurs. Antoine Homé a t’il obte­nu le feu vert du nou­veau Pré­sident de l’agglomération ? Si tel est le cas, M2A va devoir s’expliquer sur ses véri­tables priorités.

La fic­tion d’un pro­jet aux atouts multiples 

Car cette implan­ta­tion d’un méga ciné­ma sur le car­reau Anna cumule les non-sens. Mon­sieur Homé parle d’une « des­serte idéale » et fait par là-même un aveu ter­rible : pour lui seule compte l’accessibilité auto­mo­bile. Pas la peine de cher­cher, les mobi­li­tés douces sont inexis­tantes : pas de trot­toir digne de ce nom (mais qui a envie de mar­cher entre des par­kings bon­dés et une 2X2 voies ?), pas de bandes cyclables, un bus de jour­née avec un arrêt situé à près d’un kilo­mètre (pas très pra­tique pour aller voir des films en soirée…).

[1]https://www.entreprises.gouv.fr/cnac/composition-la-commission

La tran­si­tion éner­gé­tique ver­sion M2A dans le domaine des trans­ports, déjà bien uto­pique, risque d’être sérieu­se­ment décré­di­bi­li­sée. Le cock­tail voi­tures ther­miques, par­kings XXL et éta­le­ment urbain est par­ti­cu­liè­re­ment néfaste. Cer­tains élus ont visi­ble­ment lou­pé un épi­sode, celui de la COP 21. Et s’ils sont cli­ma­to-scep­tiques qu’ils le disent (cer­tains ont visi­ble­ment des doutes à par­ta­ger[1]), au moins on y ver­ra plus clair ! On aime­rait d’ailleurs que Mon­sieur Spie­gel, com­mis­saire à la Tran­si­tion éner­gé­tique se fasse davan­tage entendre sur ces dos­siers chauds et pas seule­ment sur la (néces­saire) réin­ven­tion de notre modèle démocratique.

Il est éga­le­ment ques­tion d’associer « sport et culture ». S’il s’agit en par­tie d’une affaire de goût, on peut tout de même rele­ver qu’une séance de C.A.F.(cuisses abdos fes­siers pour les ini­tiés) chez Décath­lon pour perdre du poids et sculp­ter son corps revient à vou­loir cor­ri­ger les effets d’une trop grande dépen­dance à la voi­ture indi­vi­duelle alors qu’un peu de vélo ou de marche suf­fisent à se sen­tir mieux : CQFD.

Pour la culture on repas­se­ra éga­le­ment : n’ayons pas d’illusions, les grands exploi­tants servent des block­bus­ters tes­to­sté­ro­nés qui par­ti­cipent à la dif­fu­sion d’un modèle de consom­ma­tion qui jus­te­ment fait des ravages. Ce désir de mul­ti­plexe en est le syn­drome. Des élus qui se réclament de gauche pro­fitent à fond de ce mono­po­ly néo­li­bé­ral ; créer des emplois (pré­caires) ici revient à en détruire ailleurs. En clair : si un mul­ti­plexe voit le jour à Wit­ten­heim, c’est la mort du Kiné­po­lis à Mul­house (des­ser­vi lui par le tram­way !) et peut être même d’autres cinémas !

Au final, alors que les villes se meurent de la fer­me­ture en pagaille des com­merces de proxi­mi­té avec le déve­lop­pe­ment à outrance des enseignes de péri­phé­rie, on pour­suit dans ce délire auquel même les libé­raux bri­tan­niques ont fini par renon­cer[2]. En cela ce com­bat est sym­bo­lique : quels pay­sages vou­lons-nous lais­ser à nos enfants ? Des super­fi­cies entiè­re­ment arti­fi­cia­li­sées, béton­nées et livrées aux spé­cu­la­teurs ? La France et à for­tio­ri la région mul­hou­sienne res­semblent de plus en plus aux Etats-Unis et ça n’est pas prêt de s’arrêter.

[1]A écou­ter à par­tir de 9mn40s :

https://www.mixcloud.com/radio-mne/f%C3%AAte-de‑l%C3%A9nergie-05102017/

 

[2]http://www.club-ville-amenagement.org/_upload/ressources/actualites/2017/cva_avril_2017.pdf

©Patrick Mes­si­na

En 2010, Télé­ra­ma, pré­cur­seur et un brin don­neur de leçon, titrait « Com­ment la France est deve­nue moche »[1]. Le pre­mier cli­ché de cet article, qui est repro­duit ici, a été pris au Kali­gone, à deux pas du car­reau Anna où on vou­drait faire trô­ner un nou­veau temple des super­pro­duc­tions hol­ly­woo­diennes. A‑t-on seule­ment tiré les leçons des échecs du pas­sé et de la désa­gré­ga­tion du modèle socié­tal nord-amé­ri­cain ? A lire ce qui pré­cède on peut légi­ti­me­ment en douter… .

Loïc MINERY

[1]http://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php