Un titre clin d’œil à ceci
Dernière minute : le groupe immobilier « Réalités » vient d’annoncer l’ouverture d’une direction régionale Grand Est à l’été 2023 avec à sa tête… Jean Rottner ! Lire ici.
Une délibération de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) datant du 6 septembre 2022, faisant suite à la saisine de Jean Rottner le 12 juillet 2022, confirme que le projet d’intégrer le groupe immobilier a été réfléchi de longue date… et à la barbe de ses principaux collaborateurs, dont la maire de Mulhouse, Mme Lutz.
Il l’a fait. Et en prenant ses partisans à rebrousse-poil. Celui qui s’était qualifié de « Cyrano de la politique » dans l’une de nos entrevues sardoniques, a précisément décidé de rejoindre la face cachée des lunes politiques, où l’attendent les sélénites des peines perdues et le reflux des mers de l’(in)tranquilité.
Jean Rottner, Président de la Région Grand Est et ancien maire de Mulhouse, annonce son retrait de la « vie publique » et de l’ensemble de ses charges politiques d’ici la fin de l’année. « Des impératifs familiaux animent cette lourde décision », qui est « mûrement réfléchie », précision à ceux qui croiraient encore au spontanéisme rottnerien. Le tout alors qu’il s’agirait pour lui désormais d’intégrer le secteur privé…
C’est précisément parce qu’il a « profondément respecter les autres », que sa décision aura surtout fait réagir les promoteurs de l’Alsace, dans des proportions, disons, variables :
Quand quelques soutiens apparaitraient plutôt comme embarrassants :
Nous étions cependant habitués à ses errements politiques, avant tout dictés par l’espoir d’être ministrable auprès du roi qu’il aura décidé de servir… Mais à force de naviguer dans des eaux pas toujours claires, cela se termine par un « plouf » comme cette démission surprise en cette fin 2022.
La seule raison invoquée est donc celle liée à des « impératifs familiaux ». On peut évidemment respecter un tel choix, mais il est vrai que l’homme ne nous avait pas habitué à jeter le manche avec autant d’empressement. Un départ à la hâte, surprenant tout le monde, y compris sa fidèle collaboratrice, Mme Lutz.
Il convient donc de rester prudent quant à la « fin de la vie politique » de M. Rottner. Ravaler à 55 ans ses ambitions ministrables ne correspond pas au Rastignac de Brunstatt. Alors, on peut peut-être se poser quelques questions.
Le Grand Est en cadeau à Macron
On sait le désir de M. Rottner de se rapprocher de M. Macron. Il est vrai que le Président de la République est en manque de « prises » à droite et qu’il n’a pas vraiment eu une bonne pioche avec les personnes qu’il a débauché du rang des Républicains.
En outre, la conséquence de la gifle électorale des législatives, n’a pas permis à M. Macron de mettre en place ces bataillons d’élus locaux tellement importants pour jouer les relais politiques sur le terrain et pour voter macron aux prochaines élections sénatoriales.
M. Rottner aurait-il pu en faire partie ? Difficile à dire, car cela conduit l’homme, une fois encore, à retourner publiquement sa veste.
M. Rottner a présenté son successeur : « M. Franck Leroy, homme de valeur, premier vice-président de la Région, saura assurer mon intérim ».
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas M. Leroy, il est le maire d’Epernay et vient de rejoindre le parti Horizon, dirigé par l’ex-Premier ministre Edouard Philippe… et qui fait partie des formations soutenant M. Macron.
S’il s’agissait bien d’un stratagème, M. Rottner offre à « Renaissance », la première et seule région métropolitaine contrôlée par les affidés du Président de la République. Est-ce qu’à court ou moyen terme, cette opération se verra récompensée ?
Un président affaibli… La question de la « Région Alsace », un caillou dans la chaussure
Depuis quelques mois, M. Rottner accumule les déconvenues. Apparemment de solides inimitiés se sont accumulés sur sa personne. Son équipe à la tête de la région s’est réduite. Des proches du président Grand-estien ont été débauché souvent à l’initiative de l’Elysée. Cela pouvait ressembler à une pression exercée sur l’exécutif régional.
Les diverses annonces comme la fermeture des lycées (dont celui de Pulversheim) décidée sans concertation, ni discussion sérieuse avec les élus des collectivités touchées ou les personnels, ont conduit à une levée des boucliers d’élus locaux de tous bords.
Mais c’est peut-être la question du rétablissement d’une Région Alsace indépendante du Grand-Est qui a conduit à bousculer M. Rottner.
On se rappelle ses diverses positions à la constitution de la Grande Région. D’abord farouchement opposé à ce que l’Alsace rejoigne ce grand machin inutile, après avoir mené une campagne offensive en s’appuyant sur une pétition signée par 50.000 personnes à son initiative, il a retourné sa veste pour se rallier à la création de la nouvelle région…
Est-ce que la promesse qu’il puisse en prendre la présidence a aidé à ce changement de pied ?
En tout cas, à partir du moment où il en devient président, il s’est fait le plus grand défenseur du Grand-Est, rabrouant ces Alsaciens qui voulaient en sortir le plus rapidement possible.
Cette attitude bloquée et méprisante pour de nombreuses élus alsaciens et des citoyens, aura fragilisé M. Rottner.
Les mouvements régionalistes furent les premiers à dégainer et obtinrent la création de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) soutenue par des élus locaux. Mais le flou qui entoure cette création à propos des compétences qui lui sont accordées, a conduit des partis à imaginer un projet de loi donnant à cette CEA le rang de Région.
Des personnalités du même Parti que Jean Rottner ont déposé un projet de loi ; puis le RN a emboité le pas. Mais la cerise sur le gâteau fut la proposition de loi déposée par dix députés de la Macronie. Le président régional qui raillait ces velléités d’indépendance il y a encore quelques semaines, se trouvaient désavoués par son propre parti politique, mais aussi par celui qu’il aurait tellement voulu rejoindre.
Comment survivre politiquement en cas de vote d’une loi redonnant à l’Alsace sa pleine souveraineté ?
Il lui était aussi devenu impossible de continuer à maintenir le fragile équilibre politique dans l’exécutif de la Région : sa démission lui permet de se dégager de ce qui était devenu un vrai nid de vipères et de tenter de préserver l’avenir.
Le cadeau du Grand Est à Emmanuel Macron rencontrera-t-il la reconnaissance du locataire de l’Élysée ?
Spéculation, certes… Mais on en a vu tellement dans le marigot qui gouverne la France de nos temps…
On aura également vu des traversées du désert déboucher sur de verdoyantes oasis…
Du côté de Mulhouse…
A ce propos, pas sûr du tout que Mulhouse s’annonce comme une prochaine oasis de fraicheur pour celle qui devient l’héritière passablement encombrante de l’ère Rottner, à savoir Michèle Lutz, accessoirement maire de Mulhouse depuis 2017, par la volonté de son prédécesseur qui l’avait choisie à la surprise générale trois ans auparavant pour devenir sa Première adjointe, alors qu’elle ne disposait d’aucune expérience politique.
Ce dont Arlette Grosskost, mentor (trahie) du désormais ex-président du Grand Est, lui tenait rigueur, en déclarant : « Je ne me suis pas battue pendant toute ma carrière politique pour retrouver à la mairie de Mulhouse le porte-serviette de quelqu’un d’autre, lequel remettra le porte-serviette à sa place quand il ne sera plus élu ailleurs »…
Michèle Lutz qui doit également sa victoire aux municipales de 2020 (dans les pires conditions électorales qui soient en raison du taux d’abstention record au niveau national), au binôme ou « ticket » (abondamment poinçonné dans les esprits et sur les affiches de campagne) qu’elle formait avec Jean Rottner, pourrait bien devenir un fardeau pour le groupe majoritaire, voire même aiguiser quelques appétits dans les esprits de quelques-uns de ses principaux adjoints…
On pense notamment à Alain Couchot, pivot de l’exécutif municipal actuel, lequel a certainement des prétentions politiques à faire valoir.
Michèle Lutz qui déclarait « « chapeau ! » à Jean Rottner pour toutes ces années » dans un article assez surréaliste publié par L’Alsace du mercredi 21 décembre, commence par préciser que l’« homme politique de son ampleur » lui avait réservé la faveur de son annonce samedi dernier en tête à tête.
« À 55 ans, dit-elle, c’est l’âge, pour passer à quelque chose de différent ». Il est vrai qu’elle en sait quelque chose, puisque son prince charmant (on va y revenir), a transformé sa citrouille de patronne de salon de coiffure et de présidente de la corporation des coiffeurs, en carrosse de première magistrate d’une ville de 110 000 habitants, en 2017, à l’âge de 59 ans.
Suit un passage emberlificoté de l’article, où il est dit que : « Michèle Lutz sait qu’elle peut « compter sur Jean Rottner ». « Difficile de parler d’amitié, c’est une relation particulière. C’est un ami, car je peux avoir confiance en lui, un ami en politique, avec qui travailler au quotidien ; et aussi dans le privé, je sais pouvoir demander conseil à l’ami, au médecin ; mais ce n’est pas pareil qu’un ami pour faire la fête ou partir en vacances », souligne Michèle Lutz ».
Eh oui, plus question de faire la fête ! Même si Jeannot prend la poudre d’escampette, car comme le précise Michèle Marchetti, auteur de l’article en question : « Michèle Lutz devra apprendre à être maire, sans lui comme premier adjoint ». Et cela risque bien de ne pas être si simple !
« Après la démission de Jean Rottner, un seul être vous manque… » titre aujourd’hui un nouvel article de Michèle Marchetti, dont on espère qu’elle n’a pas choisi le titre, tant la référence à la poésie de Lamartine n’est vraiment pas heureuse.
Quoi qu’il en soit, les chaises musicales quant aux futurs postes et aux délégations au sein du conseil municipal promettent d’être animées, sinon sanglantes, dès lors que Rottner ne constitue plus un élément de stabilisation politique.
Mais il n’y a (apparemment) pas le feu à l’Ill ! : « On ne va rien précipiter, il n’y a pas péril en la demeure, en cette fin d’année, le rythme baisse un peu, il y aura toujours quelqu’un pour gérer la ville, assure Mme le maire. Et on continuera à dérouler nos projets. »
Le « il y aura toujours quelqu’un pour gérer la ville » est une phrase si lourde d’implicites politiques, que l’on est en droit de se demander si Michèle Lutz ne surjoue pas la sottise mêlée de candeur.
Il est vrai qu’Alain Couchot, président du groupe majoritaire (encore lui), et Aubin Brandalise, discret mais influent chef de cabinet de Michèle Lutz (précédemment de Jean Rottner), assurent à eux deux le pilotage automatique de la municipalité. De ce fait, y a‑t-il (encore) un pilote dans l’avion mulhousien ?
Politiquement, il est ainsi peu probable que la ligne municipale soit modifiée, d’autant qu’il s’agit toujours de « dérouler » implacablement un programme, indépendamment du fait que le consensus serait à tout le moins de circonstance, compte tenu l’assise politique insignifiante de la majorité au sein de la population mulhousienne…
La politique du fait accompli princier est malheureusement de coutume en la cité du Bollwerk : Bockel élu de gauche, transmettra son siège de maire à Jean Rottner, élu UMP, en 2010, pour retour d’ascenseur à son intégration dans le gouvernement Juppé, sans que les électeurs et électrices ne puissent en décider formellement. Idem quand Rottner choisira Lutz, en 2017, pour lui succéder à la mairie, lorsqu’il deviendra Président du Grand Est…
Il n’ y a guère que Régis Baschung de « Unser Land », candidat aux municipales en 2020 sur la liste « J’aime Mulhouse », qui pose la seule question politique de circonstance, en demandant au préfet de « prendre acte de la démission d’une tête de liste du binôme Lutz-Rottner aux élections municipales et de considérer que les cartes doivent être rebattues en procédant dans les meilleurs délais à de nouvelles élections municipales »
Un dicton apocryphe dit que « Les gens de Mulhouse se moquent bien que les Strasbourgeois pissent dans le Rhin ». Quant aux gens d’Alsace, ils aimeraient ne pas avoir le sentiment de pisser dans un violon lorsqu’ils réclament cohérence et intégrité de leurs élus…