Cré­dit pho­tos : Mar­tin Wilhelm

Un pot de l’a­mi­tié avec dégus­ta­tion de spé­cia­li­tés pales­ti­niennes était orga­ni­sé ce 4 mai dans la salle Sainte Marie de la rue des Fran­cis­cains, à Mulhouse. 

On s’y réjouis­sait par­ti­cu­liè­re­ment de la déci­sion de la cour d’appel de Paris du 14 mars 2024, confir­mant la léga­li­té des actions de boy­cott des pro­duits israé­liens. De ce fait, elle auto­rise toutes les actions appe­lant au Boy­cott, Dés­in­ves­tis­se­ment et Sanc­tion (BDS) tant qu’elles res­pectent le cadre juri­dique de la liber­té d’expression.

Durant une saga judi­ciaire de plus de 13 ans (depuis le pre­mier juge­ment mul­hou­sien de décembre 2011 jus­qu’à la déci­sion de mars 2024), les auto­ri­tés judi­ciaires de ce pays, ont, à la demande de plai­gnants ser­vant d’of­fi­cines de défense incon­di­tion­nelle à la poli­tique israé­lienne, jugé que l’appel au boy­cott des pro­duits israé­liens relayé paci­fi­que­ment dans le cadre de la cam­pagne BDS (boy­cott, dés­in­ves­tis­se­ment, sanc­tions), rele­vait d’actes d’antisémitisme ou de dis­cri­mi­na­tion, et non d’un mode d’action citoyen contre une poli­tique gouvernementale.

Cela ne vous rap­pelle-t-il pas une actuelle hys­té­rie gou­ver­ne­men­tale (et d’ex­trême droite), visant à dis­cré­di­ter le moindre sou­tien à la Pales­tine en le carac­té­ri­sant d’antisémite ?

L’État fran­çais et ses repré­sen­tants, ont encore quelque mal à exor­ci­ser le pas­sé col­la­bo­ra­tion­niste natio­nal, au cours duquel la police natio­nale aura por­té une assis­tance des plus cri­mi­nelles dans la dépor­ta­tion mas­sive de juifs vers les camps de concen­tra­tion, incluant de jeunes enfants. 

Par un double arrêt du 14 mars 2024, la Cour d’appel de Paris a donc défi­ni­ti­ve­ment relaxé les par­ti­sans du boy­cott des pro­duits israé­liens condam­nés à tort par la Cour d’appel de Col­mar en 2013. La déci­sion est inter­ve­nue dans le cadre d’un réexa­men des faits qui leur étaient repro­chés après la condam­na­tion de la France par la Cour euro­péenne des droits de l’homme en 2020.

Syl­viane Muré, notre tré­so­rière, figure par­mi les relaxés de cette sinistre his­toire judiciaire. 

Après une bataille juri­dique qui aura inter­ro­gé nombre de magis­trats, voire dis­cré­di­té des ins­ti­tu­tions judi­ciaires, inca­pables de pen­ser la libre contes­ta­tion poli­tique à l’en­droit d’une puis­sance occu­pante pié­ti­nant le droit inter­na­tio­nal, fut-elle israé­lienne, les 12 boy­cot­teurs et boy­cot­teuses de Mul­house sont relaxés par la cour d’appel de Paris, confir­mant ain­si le pre­mier ver­dict du tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Mul­house de décembre 2011. 

Les offi­cines de sou­tien incon­di­tion­nel à la poli­tique d’Israël [Alliance France-Israël, Avo­cats Sans Fron­tières (ASF), Bureau Natio­nal de Vigi­lance Contre l’Antisémitisme (BNVCA), Chambre de com­merce France-Israël et la Ligue Inter­na­tio­nale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA)] sont toutes débou­tées, mais pour­suivent, toute honte bue, la pro­cé­dure, en inter­je­tant (encore !) appel de ce juge­ment en réexamen.

Démon­trant, ce fai­sant, que leur démarche n’est ins­pi­rée que par des motifs de stra­té­gie poli­tique, exor­bi­tant le simple res­pect de l’é­tat de droit, ou l’in­ci­ta­tion à la haine ou à la discrimination. 

C’est dans ce suf­fo­quant cli­mat natio­nal de bâillon­ne­ment et de ten­ta­tive de cri­mi­na­li­sa­tion du sou­tien au peuple pales­ti­nien et des cri­tiques de la poli­tique israé­lienne (monde étu­diant com­pris), qu’il est appa­ru oppor­tun aux relaxés de fêter une vic­toire de la jus­tice contre l’ar­bi­traire de l’État français. 

Sur le sens du boycott

C’est l’ar­rêt du 11 juin 2020 de la Cour Euro­péenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui obli­ge­ra les ins­ti­tu­tions judi­ciaires fran­çaises à faire volte face, en sta­tuant clai­re­ment que l’appel au boy­cott de pro­duits issus d’un État relève de l’expression poli­tique, pro­té­gée par l’article 10 de la Conven­tion Euro­péenne des droits de l’Homme, et ne peut pas, en lui-même, être qua­li­fié comme un appel à la discrimination. 

La « hié­rar­chie » des normes pré­voit que les arrêts de la CEDH s’imposent à la France, qui doit en tirer toutes les conséquences.

On voit, ce fai­sant, pour­quoi tant d’hommes et femmes poli­tique de droite ou d’ex­trême-droite, réclament de manière tapa­geuse le retrait de la France de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme, voire d’i­gno­rer ses déci­sions, comme l’au­ra fait le ministre Gérald Dar­ma­nin.

Pour ne pas avoir res­pec­té la liber­té d’ex­pres­sion des mili­tants BDS, la France a de ce fait été condam­née par la CEDH, et a dû s’acquitter d’une « satis­fac­tion équi­table » ver­sée à cha­cun des 11 requérants.

Un arrêt de la Cour de révi­sion du 7 avril 2022, s’appuyant sur les termes de l’arrêt de la CEDH, jugeait rece­vable la demande des requé­rants, et annu­lait les arrêts de la Cour d’Appel de Col­mar qui les avaient condam­nés en 2013, ren­voyant l’affaire devant la Cour d’appel de Paris.

L’audience s’est tenue les 4 et 5 octobre 2023, et enfin le 25 jan­vier 2024. Les mêmes par­ties civiles (Alliance France-Israël, Avo­cats Sans Fron­tières, LICRA, BNVCA, CCFI) avaient notam­ment plai­dé la haine anti­sé­mite au grief des militants.

Mais l’avocat géné­ral avait requis la relaxe, se fon­dant sur l’analyse des faits, et les réfé­rences de l’arrêt de la CEDH, se tra­dui­sant donc par un arrêt de relaxe du 14 mars 2024 de la Cour d’Appel de Paris… 

Dans le contexte actuel de remise en cause des liber­tés, l’Association France Pales­tine Soli­da­ri­té (AFPS) se féli­ci­tait récem­ment de cet arrêt de le Cour d’Appel de Paris, qui tire toutes les consé­quences de l’arrêt de la CEDH.

Il est main­te­nant par­fai­te­ment clair que l’appel au boy­cott de pro­duits en pro­ve­nance d’Israël, pour pro­tes­ter contre la poli­tique menée par cet État, est par­fai­te­ment légal, dès lors qu’il ne s’accompagne pas d’appels à la haine ou à la violence.

Pour nombre d’organisations de défense des pales­ti­niens, dont l’AFPS, l’actualité impose de pour­suivre ces types d’ac­tions de sen­si­bi­li­sa­tion paci­fique auprès du grand public, en lien avec la néces­si­té de faire adop­ter une ces­sez-le-feu à Gaza. 

Les cam­pagnes de boy­cott se sont déjà mul­ti­pliées ces der­nières semaines dans toute la France. Un acquis juri­dique que l’on espère durable, pour peu qu’un véri­table état de droit per­dure, ici aussi… 

Sur le site d’ac­tua­li­tés juri­diques « Dal­loz-actua­li­té », le magis­trat Ghis­lain Pois­son­nier rend compte exhaus­ti­ve­ment de cette affaire. Ses deux der­niers para­graphes situent par­fai­te­ment le niveau de désastre poli­tique et judi­ciaire fran­çais consé­quent à cette affaire :

On regret­te­ra néan­moins toute cette éner­gie et ce temps per­dus pour faire émer­ger une solu­tion de bon sens qui s’impose, s’agissant d’une acti­vi­té mili­tante exis­tant dans le monde entier et par­fai­te­ment légale lorsqu’elle est ins­pi­rée par des motifs poli­tiques. Mais sans doute était-ce le but espé­ré par les défen­seurs de la poli­tique de l’État d’Israël depuis l’adoption, à leur demande, de la cir­cu­laire Alliot-Marie (Circ. CRIM-AP n° 09–900-A4 du 12 févr. 2010) : entra­ver judi­ciai­re­ment le plus long­temps pos­sible les appels à la mobi­li­sa­tion citoyenne contre l’occupation et la colo­ni­sa­tion des ter­ri­toires pales­ti­niens occu­pés. De ce point de vue, leur objec­tif a été par­tiel­le­ment atteint.

On regret­te­ra éga­le­ment que la chambre cri­mi­nelle de la Cour de cas­sa­tion n’ait pas été, lors de ses déci­sions de 2015, plus à l’écoute de la doc­trine uni­ver­si­taire et des ONG de défense des droits de l’homme, qui avaient pris posi­tion contre la péna­li­sa­tion de l’appel au boy­cott au nom des liber­tés. Mais éga­le­ment plus à l’écoute des juris­pru­dences étran­gères (not., amé­ri­caine, alle­mande et bri­tan­nique) recon­nais­sant la léga­li­té de l’appel au boy­cott des pro­duits ori­gi­naires d’un État dont le régime ou la poli­tique gou­ver­ne­men­tale est cri­ti­qué. Et enfin, plus à l’écoute de la juris­pru­dence de la Cour d’appel de Paris. Cette der­nière avait en effet déjà jugé, en 2012, au visa de l’article 10 de la Conven­tion, que l’appel d’un citoyen au boy­cott des pro­duits d’un État consti­tue une forme de « cri­tique paci­fique de la poli­tique d’un État rele­vant du libre jeu du débat poli­tique, qui se trouve, aux termes de la juris­pru­dence de la Cour euro­péenne, au cœur même de la notion de socié­té démo­cra­tique » (Paris, pôle 2 – ch. 7, 24 mai 2012, n° 11/6623, Gaz. Pal. 25–26 juill. 2012, p. 20, note G. Poissonnier).


Ghis­lain Poissonnier
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