En l’es­pace de 14 ans, sur le même sujet, deux com­mis­sions d’en­quête par­le­men­taire sont morts-nées. Et tous rap­ports confon­dus, tous les dépu­tés, tous les experts, s’in­ter­disent de trou­ver ça bizarre… 

Ber­nard SCHAEFFER

Le fond de l’air reste jaune et l’au­dace a chan­gé de camp ces temps-ci. Dans ce contexte excep­tion­nel, l’am­biance du mee­ting Sto­ca­mine du 24 jan­vier 2019 à Wit­tel­sheim fut excep­tion­nelle. Et pas seule­ment parce que Fran­çois de Rugy venait de déci­der l’en­fouis­se­ment défi­ni­tif des déchets toxiques au fond d’une ancienne mine MDPA.

Les bien­faits d’une dyna­mique offen­sive se sont fait sen­tir. La pré­sence et la déter­mi­na­tion conta­gieuse de plu­sieurs dizaines de gilets jaunes dans une salle Gras­se­gert pleine à cra­quer sont venues confir­mer que des ren­ver­se­ments de situa­tion sont à por­tée d’une mobi­li­sa­tion forte. Non­obs­tant leur cou­leur poli­tique, les deux dépu­tés pré­sents (B. Fuchs, appa­ren­té MODEM/LREM et R. Schel­len­ber­ger, LR) n’ont pas pu se mettre à l’a­bri des vents sub­ver­sifs dominants.

Pour­vu que la tor­nade poli­tique se déchaîne et débar­rasse enfin les gale­ries de la mine Joseph-Else de ses 42 000 tonnes de déchets toxiques !

Petite enquête sur une com­mis­sion d’en­quête mort-née

En avril-mai 2017, durant la cam­pagne des légis­la­tives, L’Alterpresse68 fai­sait déjà usage d’ou­tils poli­tiques. La revue élec­tro­nique avait alors inci­té les can­di­dats alsa­ciens à s’en­ga­ger publi­que­ment à mettre sur pied une com­mis­sion d’en­quête par­le­men­taire sur le dos­sier Sto­ca­mine, une fois élus. Scé­na­rio clas­sique : il y a eu beau­coup de pro­messes avant, mais très peu d’actes après l’é­lec­tion. Si bien que Hulot, fin août 2017, décide d’en­fouir défi­ni­ti­ve­ment les déchets sous du béton, confir­mant ce fai­sant un décret de mars 2017 signé par le Pré­fet du Haut-Rhin, alors sous les ordres de Ségo­lène Royal. 

Raphaël Schel­len­ber­ger (LR), élu de jus­tesse dépu­té de la cir­cons­crip­tion du site Sto­ca­mine a fait excep­tion. Pres­te­ment, il a fait enre­gis­trer le 4 octobre 2017 par la Pré­si­dence de l’As­sem­blée natio­nale une réso­lu­tion pro­po­sant la créa­tion d’une com­mis­sion d’en­quête par­le­men­taire. Elle est signée par 22 de ses col­lègues (des dépu­tés alsa­ciens et des membres de son groupe LR). Can­di­dat, il s’é­tait pour­tant bien gar­dé de s’en­ga­ger dans la démarche pro­po­sée par L’Alterpresse68.

Il faut le com­prendre : la revue avait poin­té « un amen­de­ment défen­du en 2004 par le dépu­té Michel Sor­di (qui) a auto­ri­sé le sto­ckage défi­ni­tif des déchets ». Or Michel Sor­di était en 2017 le dépu­té sor­tant de la cir­cons­crip­tion. Men­tor de Raphaël Schel­len­ber­ger qui a été son atta­ché par­le­men­taire, il avait subi­te­ment renon­cé à se repré­sen­ter suite à une his­toire fillo­nesque où L’Alterpresse68, encore, a joué un rôle déci­sif en adres­sant une copie du conte­nu de ses colonnes dénon­cia­trices à la Haute Auto­ri­té pour la trans­pa­rence de la vie publique (voir : Le dépu­té laisse béton, nous pas) [mars 2017]. 

Gon­flé, le suc­ces­seur de Sor­di s’est ain­si ins­tal­lé aux com­mandes d’un dis­po­si­tif poli­tique poten­tiel­le­ment dan­ge­reux pour son pré­dé­ces­seur. His­toire de mieux gar­der le contrôle de la situa­tion. Offi­ciel­le­ment, son ini­tia­tive résul­tait d’une demande pres­sante d’une sec­tion CFTC, et d’une autre, iden­tique, du conseil muni­ci­pal de Wit­tel­sheim, le tout ren­du public avec empres­se­ment par la presse locale.

Moins catho­lique, mais tout aus­si tac­tique, un long silence a sui­vi le dépôt de sa réso­lu­tion du 4 octobre 2017. Bar­ba­ra Pom­pi­li s’en est aga­cée ; la Pré­si­dente de la com­mis­sion de déve­lop­pe­ment durable de l’As­sem­blée natio­nale sui­vait le dos­sier, le pous­sait, même. Fin novembre, dans un cour­rier où elle répon­dait à des mili­tants, elle signale que la Garde des Sceaux a don­né le feu vert à la réso­lu­tion Schel­len­ber­ger. Ce qui n’é­tait pas évident au regard de cer­tains prin­cipes, vu que la jus­tice admi­nis­tra­tive est sai­sie de plu­sieurs recours rela­tifs au dossier.

Pru­dente, elle a « pré­vu, en tant que Pré­si­dente de la Com­mis­sion du Déve­lop­pe­ment durable, d’or­ga­ni­ser une audi­tion sur Sto­ca­mine afin que les dépu­tés puissent dis­po­ser d’un niveau d’in­for­ma­tion suf­fi­sant ». Et elle ter­mine, scep­tique : « suite au dépôt de la réso­lu­tion du dépu­té Schel­len­ber­ger, il appar­tient au groupe Les Répu­bli­cains d’exer­cer son droit de tirage afin que cette com­mis­sion puisse effec­ti­ve­ment voir le jour ».

Raphaël Schel­len­ber­ger s’en est bien tiré : comme sem­blait le craindre Bar­ba­ra Pom­pi­li, la com­mis­sion par­le­men­taire dont il a deman­dé la créa­tion ne ver­ra fina­le­ment jamais le jour. Ou plus exac­te­ment ses 23 membres (+ 1, en la per­sonne de la dépu­tée FI Mathilde Panot qui ne figure pas sur la liste ini­tiale offi­cielle ; tiens, pour­quoi ?…) ne se sont jamais réunis et ne se réuni­ront jamais. Tout comme la com­mis­sion Hil­l­meyer en 2005 qui, elle non plus, n’a jamais vu le jour. En l’es­pace de 14 ans, sur le même sujet, deux com­mis­sions d’en­quête par­le­men­taire sont morts-nées. Et tous rap­ports confon­dus, tous les dépu­tés, tous les experts, s’in­ter­disent de trou­ver ça bizarre…

Si les cir­cons­tances exactes de ces avor­te­ments poli­tiques sont res­tées pour l’ins­tant dans l’ombre, on devine cepen­dant la nature des rap­ports de forces qui les ont impo­sés. Une chose est sûre : ces com­mis­sions d’en­quête – dotées de réels pou­voirs une fois qu’elles sont ins­tal­lées – étaient sus­cep­tibles de faire sor­tir la véri­té du fond du trou… en his­sant peut-être, dans le même mou­ve­ment, tous les déchets toxiques hors des gale­ries minières. 

Les influences et les inté­rêts qui saturent les lieux de pouvoir

Il serait exces­sif de mettre l’es­ca­mo­tage de la com­mis­sion d’en­quête par­le­men­taire sur le compte des seuls talents du jeune dépu­té LR ; ce pour­rait être injuste, aus­si, si sa convic­tion pro­fonde cor­res­pond, au moins en par­tie, à ce qu’il exige offi­ciel­le­ment aujourd’­hui, à savoir que soit « envi­sa­gé le désto­ckage total ». On peut émettre gen­ti­ment l’hy­po­thèse qu’il fait par­tie de ceux qui espèrent l’ex­trac­tion de tous les déchets, sans sou­hai­ter pour autant le sur­gis­se­ment simul­ta­né de la véri­té sur tous les aspects du dossier…

Mais il convient sur­tout de ne pas oublier les influences et les inté­rêts qui saturent les lieux de pou­voir. Toutes ces rela­tions et déci­sions occul­tées qui font sys­tème sont autre­ment plus impor­tantes que les études et consi­dé­ra­tions tech­niques qui aveuglent les naïfs. C’est en ce sens que les épi­sodes des com­mis­sions d’en­quête avor­tées sont révé­la­teurs. Ser­vi­ront-ils de leçon à ceux qui veulent conti­nuer le com­bat dans un contexte poli­tique nouveau ?

Dans le contexte de fin 2017 – début 2018, Raphaël Schel­len­ber­ger n’a pas été vrai­ment gêné par les acti­vi­tés mili­tantes asso­cia­tives, syn­di­cales et poli­tiques cen­trées sur le dossier :

Les rares mili­tants locaux de la FI, inertes dans la période post élec­to­rale, puis remo­bi­li­sés durant quelques semaines fin 2017, n’ont pas su tenir la dis­tance. Même si ils ont lan­cé une péti­tion qui a fait un tabac, contac­té des dépu­tés FI qui sui­vaient le dos­sier Sto­ca­mine et réus­si à convaincre la dépu­tée Mathilde Panot (Val de Marne) de par­ti­ci­per à un ras­sem­ble­ment orga­ni­sé à Col­mar début décembre 2017. 

A la fois symp­to­ma­tique et rigo­lo : la pré­sence à Col­mar de cette dépu­tée rouge vif, ceinte de son écharpe tri­co­lore, venue sur le sol alsa­cien se mêler de « leur » pro­blème a pu désta­bi­li­ser quelques esprits fra­giles au sein de la droite locale. Si bien qu’à la mi-jan­vier 2018 Hulot a été des­ti­na­taire d’un cour­rier l’en­joi­gnant de frap­per doré­na­vant à « une porte d’en­trée unique dans ce dos­sier ». Ce cour­rier éma­nait d’un groupe d’é­lus haut-rhi­nois qui s’au­to­pro­cla­maient « réfé­rents », seuls en capa­ci­té de per­mettre au ministre « d’a­van­cer serei­ne­ment face à une mul­ti­tude d’ac­teurs » et qui « souhait(ait) deve­nir (son) inter­lo­cu­teur pri­vi­lé­gié ». Sereins ?… Vous avez dit sereins ?… De quoi avaient-ils donc peur, ces élus regrou­pés autour de Raphaël Schel­len­ber­ger et du maire de Wittelsheim ?

Quant aux rares mili­tants du PCF et de la CGT qui suivent ce dos­sier, ils res­tent peu ou prou para­ly­sés par un pas­sé où près d’un siècle de luttes glo­rieuses et par­fois vic­to­rieuses a per­mis, entre autres, des condi­tions de liqui­da­tion des MDPA moins défa­vo­rables pour les sala­riés concernés. 

La déci­sion de Nico­las Hulot, fin août 2017, de confir­mer la déci­sion pré­fec­to­rale d’en­fouis­se­ment avait trau­ma­ti­sé les éco­los d’EELV au point de les mettre « très, très en colère » (les mal­heu­reux avaient van­té les mérites de l’ex­cep­tion­nel Ministre d’État durant leur cam­pagne élec­to­rale des légis­la­tives), mais sans les rendre très effi­caces, ins­tal­lés dans une radi­ca­li­té très hyper­bo­lique… Des par­le­men­taires euro­péens Verts devaient com­pen­ser quelque peu les déro­bades du Par­le­ment fran­çais en menant leur propre enquête sur le dos­sier. Un enga­ge­ment non tenu. 

Au sein du col­lec­tif Désto­ca­mine, la « tra­hi­son » de Nico­las Hulot n’a pas vrai­ment aggra­vé les choses auprès de cer­tains mili­tants impré­gnés de longue date d’un apo­li­tisme CFTC-CFDT for­ce­né ; ils se sont conten­tés de déployer des tré­sors d’i­ma­gi­na­tion et de sup­pli­ca­tions pour ren­con­trer le Ministre et lui four­nir toutes les don­nées tech­niques et scien­ti­fiques qui – ils en étaient per­sua­dés – lui avaient été cachées par des tech­no­crates ou même des men­teurs. Les­quels ont empê­ché – figu­rez-vous ! – que la ren­contre ait lieu avant le départ de Nico­las Hulot. 

Mais, enfin, ça y est, une ren­contre vient d’a­voir lieu, le 1er février 2019, avec le conseiller santé/environnement/risques du cabi­net du nou­veau Ministre Fran­çois de Rugy de pas­sage à Vol­gel­sheim (Haut-Rhin) où le col­lec­tif Désto­ca­mine a « défen­du le côté tech­nique du désto­ckage »(1). Ouf ! La nappe phréa­tique va être sauvée !

On cari­ca­ture à peine, mais on com­prend sans peine les rai­sons pour les­quelles un jour­na­liste du « Canard Enchaî­né », inté­res­sé par les renie­ments de Hulot et par le dos­sier lui-même, a renon­cé à faire son bou­lot après avoir contac­té une res­pon­sable « exem­plaire » de Déstocamine.

Le Modem d’Al­sace. Il était repré­sen­té début décembre 2017 au ras­sem­ble­ment de Col­mar au côté du dépu­té B. Fuchs qui en pince pour ce groupe poli­tique qui, par l’in­ter­mé­diaire de son porte-parole, a expri­mé son « refus clair et net d’ac­ter tout sto­ckage de quelque déchet dan­ge­reux que ce soit dans les anciennes mines de potasse d’Al­sace ». Si B. Fuchs était pré­sent à ce ras­sem­ble­ment, R. Schel­len­ber­ger s’é­tait débi­né. Ce qui n’a pas empê­ché les deux dépu­tés, quelques mois plus tard, de s’en­tendre pour deve­nir corap­por­teurs d’une « com­mis­sion » sur le dos­sier Stocamine. 

Soyons poli­tiques, deman­dons le possible !

Car une « com­mis­sion » – ou du moins pré­sen­tée vague­ment comme telle dans la presse – a tout de même été créée. Le dépu­té Bru­no Fuchs (appa­ren­té Modem / LREM, élu dans une cir­cons­crip­tion voi­sine de Sto­ca­mine) y tenait beau­coup, en par­tie par convic­tion, mais aus­si pour sau­ver les apparences.

Ce fut en réa­li­té une com­mis­sion crou­pion, qu’en toute rigueur régle­men­taire, à l’As­sem­blée natio­nale, on appelle « mis­sion d’in­for­ma­tion ». Elle a pro­duit un « rap­port d’in­for­ma­tion » pré­sen­té devant une par­tie des dépu­tés qui l’ont approu­vé à l’u­na­ni­mi­té, sur­pris de décou­vrir un dos­sier vieux d’une ving­taine d’an­nées, aux aspects mul­tiples et emblé­ma­tiques, dont ils sem­blaient presque tout igno­rer. Mais com­bien se sont dou­tés que l’es­sen­tiel des « infor­ma­tions » était escamoté ?

Au lieu des 24 membres pré­vus dans la com­mis­sion d’en­quête, la mis­sion d’in­for­ma­tion était com­po­sée de 3 membres seule­ment : les deux corap­por­teurs Bru­no Fuchs et Raphaël Schel­len­ber­ger et un Pré­sident, Vincent Thié­baut, (dépu­té bas-rhi­nois LREM). Ce genre de « mis­sion-flash » n’a que très peu de pou­voir. Rien à voir avec une com­mis­sion d’en­quête comme celle créée au Sénat sur l’af­faire Benal­la, où les par­le­men­taires ont la pos­si­bi­li­té de mettre de puis­santes huiles éta­tiques sur le gril, enten­dues sous ser­ment sans qu’elles puissent se déro­ber. Tan­dis que l’in­té­rêt du rap­port d’une simple « mis­sion-d’in­for­ma­tion » ne peut-être que limi­té puis­qu’il dépend essen­tiel­le­ment du tra­vail d’in­ves­ti­ga­tion docu­men­taire accom­pli par les rap­por­teurs et leurs col­la­bo­ra­teurs, éven­tuel­le­ment com­plé­té par quelques audi­tions de per­sonnes inté­res­sées et volontaires.

Dans l’am­biance très par­ti­cu­lière du mee­ting du 24 jan­vier 2019, et peut-être pour ten­ter de com­pen­ser un peu le carac­tère for­cé­ment étri­qué du rap­port de la « mis­sion-flash », Bru­no Fuchs a tenu à pré­ci­ser que le tra­vail de cette « mis­sion » s’est struc­tu­ré autour d’un choix poli­tique : celui d’é­vi­ter les aspects trop tech­niques où il serait néces­saire d’ar­bi­trer, par exemple, entre des « spé­cia­listes » en désac­cord sur l’am­pleur pro­bable et le nombre d’an­nées que met­tra la pol­lu­tion à atteindre la nappe phréatique.

Leur ana­lyse poli­tique les a conduit ce soir-là à conclure à la per­ti­nence du désto­ckage total. Ça tom­bait bien ! D’au­tant qu’un autre rap­port, celui du BRGM, venait de conclure à la fai­sa­bi­li­té tech­nique du désto­ckage. Donc, soyons poli­tiques, deman­dons le pos­sible, deman­dons le désto­ckage total ! Même le maire de Wit­tel­sheim, connu pour ses posi­tions pour le moins réser­vées, s’est repro­ché ses hési­ta­tions pas­sées et s’est pro­non­cé lui aus­si, sous les applau­dis­se­ments, pour le désto­ckage total, avant de quit­ter la salle.

Per­sonne n’a eu le temps de lui rap­pe­ler qu’il était deve­nu subi­te­ment plus auda­cieux que les auteurs des recom­man­da­tions écrites du rap­port Thiébaut/Fuchs/Schellenberger qui ne vont pas jusque là. Ne lui dites pas.

Sau­ve­gar­der une dyna­mique, mais res­ter lucide, quand même

Certes, pour entre­te­nir l’op­ti­misme offen­sif qui se répan­dait dans la salle Gras­se­gert, il valait mieux pas­ser pro­vi­soi­re­ment sous silence que le Pré­sident de la « mis­sion d’in­for­ma­tion » – le dépu­té bas-rhi­nois LREM Vincent Thié­baut, absent ce soir là – était à ce jour le seul élu alsa­cien à avoir approu­vé la déci­sion du Ministre de Rugy qu’il a qua­li­fiée publi­que­ment de « prag­ma­tique et res­pon­sable ».

Il fal­lait presque oublier que le Ministre de la tran­si­tion éco­lo­gique et soli­daire, Fran­çois de Rugy, venait de dire que l’en­fouis­se­ment défi­ni­tif des déchets était désor­mais certaine.

Il fal­lait effa­cer de sa mémoire que le col­lec­tif Désto­ca­mine avait, avec sa finesse poli­tique habi­tuelle, orga­ni­sé ce mee­ting de Wit­tel­sheim en espé­rant en faire une fête de la vic­toire (!) ; il fal­lait aus­si se bou­cher les oreilles à la énième énu­mé­ra­tion apo­li­tique, tech­nique et obses­sion­nelle du ton­nage exact des pro­duits toxiques des­cen­dus au fond de la mine effec­tuée par une repré­sen­tante du même col­lec­tif ; ou alors il fal­lait se dire que la lon­gé­vi­té excep­tion­nelle et méri­toire de Désto­ca­mine a peut-être tenu à ces répé­ti­tions rituelles qui donnent accès à l’éternité…

Il fal­lait sur­tout négli­ger l’at­tri­bu­tion abu­sive de l’es­tam­pille « poli­tique » au « rap­port d’in­for­ma­tion ». Car, répé­tons-le : les vraies ques­tions poli­tiques ont été méca­ni­que­ment écar­tées dès lors que la créa­tion d’une com­mis­sion d’en­quête a été évitée.

Une com­mis­sion d’en­quête qui aurait pu éclai­rer le rôle joué par l’ex-dépu­té Michel Sordi(2) à tra­vers son fameux amen­de­ment de 2004 qui a per­mis l’en­fouis­se­ment défi­ni­tif des déchets ; ou en usant de son influence pour impo­ser l’é­vic­tion d’un délé­gué inter­mi­nis­té­riel nom­mé dans le Haut-Rhin par le gou­ver­ne­ment Ayrault afin de pré­pa­rer la fer­me­ture de Fes­sen­heim et qui a eu le tort, aux yeux du dépu­té Sor­di, de s’in­té­res­ser de trop près à Sto­ca­mine. Elle aurait pu pré­ci­ser les condi­tions de l’ar­ri­vée de l’en­tre­prise Séché dans le capi­tal de Sto­ca­mine, ses res­pon­sa­bi­li­tés dans l’in­cen­die, les péri­pé­ties finan­cières et autres manœuvres autour de son départ qui ont bafoué la logique du pol­lueur payeur. Elle aurait pu appro­fon­dir les moda­li­tés et les choix poli­tiques d’en­fouis­se­ment, défi­nis, comme par hasard, par les mêmes per­sonnes, à Wit­tel­sheim et à Bure (pour en savoir plus sur toutes ces ques­tions poli­tiques, repor­tez-vous à l’ar­ticle : Dos­siers Sor­di et Sto­ca­mine : sor­tons la véri­té du fond du trou (mai 2017)). Elle aurait pu faire des pro­po­si­tions concrètes alter­na­tives à l’en­fouis­se­ment, sujet émi­nem­ment poli­tique et éco­no­mique. Et décisif. 

Mais, quand res­sur­git l’i­dée de prendre l’of­fen­sive sous l’ef­fet d’un mou­ve­ment social dyna­mique, il ne faut pas trop chi­po­ter. Mieux vaut s’ins­crire d’a­bord dans cette dyna­mique-là, tout en res­tant lucide, quand même.

Soyons déter­mi­nés, visons l’impossible !

Car le 24 jan­vier, dans la salle Gras­se­gert, une déter­mi­na­tion poli­tique forte avait gagné les esprits, subi­te­ment libé­rés, sou­dai­ne­ment ins­pi­rés et orien­tés vers l’ac­tion, voire la sub­ver­sion. Un effet gilets jaunes, sans doute : est-ce que, dans cer­taines cir­cons­tances, la déter­mi­na­tion serait conta­gieuse ? Se peut-il qu’elle se pro­page, atteigne les plus réser­vés et contra­dic­toires acteurs de ce dos­sier et les pousse enfin à prendre l’of­fen­sive ? Pour­quoi pas, après tout ?

On a vu quel­qu’un, qui d’ha­bi­tude se contente d’être « très, très en colère », se dépas­ser, pour pro­po­ser une action auda­cieuse : occu­per le site de Sto­ca­mine, en faire une ZAD. Éma­nant d’une majo­ri­té de l’as­sis­tance, les vigou­reux applau­dis­se­ments qui ont accom­pa­gné la sug­ges­tion ne lais­saient pas de doute sur la volon­té d’en découdre.

Per­sonne, cepen­dant, n’a son­gé à deman­der aux deux dépu­tés pré­sents, ain­si qu’aux autres élus dans la salle, de s’en­ga­ger par avance à appor­ter un sou­tien poli­tique et logis­tique à cette occu­pa­tion. Un sou­tien inen­vi­sa­geable ? Peut-être. D’au­tant qu’ils se dou­te­ront bien qu’une telle occu­pa­tion du site de Sto­ca­mine n’empêcherait pas seule­ment de cou­ler du béton sur les déchets au fond de la mine, elle ferait naître aus­si un foyer de sub­ver­sion aux flammes jaunes et rouges.

Mais il faut bien se rendre compte, au point où en est le dos­sier, que si col­lec­ti­ve­ment et poli­ti­que­ment on n’ose pas viser l’i­nen­vi­sa­geable en enga­geant un rude com­bat poli­tique, le désto­ckage ne se fera pas.

Le 4 février 2019.

(1) A com­pa­rer, sur cet enre­gis­tre­ment, avec la déter­mi­na­tion des gilets jaunes, éga­le­ment pré­sents à Volgelsheim.

(2) Un dépu­té fillo­niste aux exploits mul­tiples qui a eu droit, au début de l’an­née 2017, à des articles et des repor­tages de « L’Al­sace », du JT de France 2 et de L’Alterpresse68 (voir la série d’ar­ticles paru dans L’Alterpresse68 sur le « Dos­sier Sor­di »). Qu’il ait réus­si à faire insé­rer dans le « rap­port d’in­for­ma­tion », sans com­men­taire cri­tique de la part des corap­por­teurs, une des­crip­tion abra­ca­da­bran­tesque des moti­va­tions qui l’ont conduit à dépo­ser son amen­de­ment de 2004, n’est pas le moindre de ses exploits. Des exploits dont plus per­sonne ne parle : même Fran­çois Fillon, son guide en poli­tique et en toutes choses, n’a pas réus­si à pré­ser­ver pareille dis­cré­tion. A L’Alterpresse68 nous ne savons tou­jours pas, près de deux ans après la publi­ca­tion des articles « Dos­sier Sor­di », quelles suites leur ont été réser­vées. La Haute Auto­ri­té pour la Trans­pa­rence de la Vie Publique s’est conten­tée de nous faire savoir que la loi lui inter­di­sait de pré­ci­ser publi­que­ment ces suites.