Rap­pel des faits 

Le dos­sier du dépôt des 750 tonnes de rési­dus can­cé­ro­gènes de lin­dane sto­ckés sur un ter­rain pri­vé du ban com­mu­nal de Wint­zen­heim, s’est réin­vi­té dans le débat public à Col­mar. Des mili­tants asso­cia­tifs, dont ceux de « Tie­fen­bach Envi­ron­ne­ment », mais éga­le­ment d’Al­sace Nature et de la Confé­dé­ra­tion pay­sanne, sont déter­mi­nées à faire réémer­ger cette grave pro­blé­ma­tique de san­té publique dans la pers­pec­tive des pro­chaines municipales. 

Outre sa classe can­cé­ro­gène recon­nue inter­na­tio­na­le­ment depuis 1987, l’insecticide lin­dane peut pro­vo­quer à fortes doses des troubles des sys­tèmes ner­veux, diges­tif et res­pi­ra­toire, atteindre les muqueuses ou irri­ter la peau. 

Le fait est que le site de Wint­zen­heim est décla­ré juri­di­que­ment « orphe­lin » depuis la liqui­da­tion de son pro­prié­taire, PCUK (Pro­duits chi­miques Ugine Kuhl­mann), en octobre 1996. De fait, la socié­té fut répu­tée défaillante. Il était alors de la res­pon­sa­bi­li­té des pou­voirs publics que de prendre le relais. Cela alors même que PCUK était alors une filiale de Péchi­ney, socié­té active et pro­fi­table, sau­vée par ailleurs de la faillite en 1982 par de l’argent public, sous l’é­gide du gou­ver­ne­ment socia­liste de Pierre Mauroy. 

Là encore, on ne sau­rait mieux illus­trer le prin­cipe capi­ta­liste impli­cite, selon lequel les béné­fices d’une socié­té sont pri­va­ti­sés. Quant aux pertes (ain­si que leurs consé­quences sur l’en­vi­ron­ne­ment et la san­té des sala­riés et rive­rains), elles demeurent évi­dem­ment à la charge de la société. 

L’en­ti­té Péchi­ney dis­pa­rait en 2003, alors que la pol­lu­tion sur le site de Wint­zen­heim est à peine révé­lée en sep­tembre 2002, à l’occasion de forages. 

C’est le conglo­mé­rat minier anglo-aus­tra­lien « Rio Tin­to-Alcan » qui s’en par­tage aujourd’hui les dépouilles, et aurait pu tout aus­si bien être dési­gné par les pou­voirs publics comme celui auquel échoit la res­pon­sa­bi­li­té de la dépol­lu­tion, comme a su le faire de son propre chef la socié­té Novar­tis (rache­tant le site de PCUK Huningue), en dépen­sant près de 200 mil­lions de francs suisses afin d’é­li­mi­ner toute trace de lin­dane dudit site. 

Autour de Wint­zen­heim, des dizaines de mil­liers de per­sonnes sont poten­tiel­le­ment concer­nées par les effets de la sub­stance dans la nappe phréa­tique. Le col­lec­tif d’associations s’oppose à la fois à l’artificialisation de terres agri­coles, et réclame une dépol­lu­tion totale de la zone pol­luée au lin­dane, incluant la zone de l’ancienne décharge muni­ci­pale de Col­mar –dite du Ligi­bell– limi­trophe de Wintzenheim. 

La situa­tion se dégrade conti­nu­ment, ain­si que le confirme le ser­vice BASOL, géré par le Minis­tère de la Tran­si­tion éco­lo­gique, de sorte que la pol­lu­tion attein­dra inévi­ta­ble­ment le sec­teur maraî­cher à l’Est de Colmar. 

Le seuil de concen­tra­tion du lin­dane et de ses iso­mères, mesu­ré par pié­zo­mètre par l’ADEME depuis de nom­breuses années, excède par endroits 25 000 fois le seuil de pota­bi­li­té. Il a été mesu­ré à 2505 µg/l, contre 0,1 µg/l en situa­tion normale. 

Par ailleurs, le col­lec­tif voit d’un très mau­vais œil un pro­jet de parc pho­to­vol­taïque des­ti­né à occu­per le ter­rain de la décharge Ligi­bell de Col­mar. Un « cache-misère pseu­do-éco­lo­gique » selon le col­lec­tif qui soup­çonne les ini­tia­teurs de « rendre irréa­li­sable le trai­te­ment de cette pol­lu­tion, et sacri­fier de nou­velles terres agri­coles au lieu de cor­ri­ger les erreurs du pas­sé ».

Un pro­jet qui res­semble éton­nam­ment à celui pro­je­té pour l’ancienne décharge mul­hou­sienne de Kin­ger­sheim-Ese­la­cker. L’énergie solaire sem­blant éblouir jus­qu’à la capa­ci­té de juge­ment de nos res­pon­sables poli­tiques en matière d’écologie.  

Le maire de Wint­zen­heim a fait voter une motion dans sa com­mune, mais s’exaspère de ne tou­jours pas voir venir la grosse cava­le­rie : « Cette his­toire a assez duré. Il faut être ferme. Le pré­fet ne peut pas faire de miracle, mais le minis­tère de l’Environnement doit se sai­sir de ce dos­sier. A Huningue, on a vu que l’on pou­vait extraire le lin­dane. Il ne faut pas attendre qu’il y ait un sou­ci pour réagir ! ». 

Un Gil­bert Meyer vert de quiétude 

Gil­bert Meyer (qui bien sûr est can­di­dat à sa propre suc­ces­sion aux pro­chaines muni­ci­pales de Col­mar) s’o­blige à répondre dans un cour­rier adres­sé le 4 décembre 2019 aux sou­tiens d’une péti­tion inti­tu­lée : « Stop à la pol­lu­tion can­cé­ro­gène de la nappe phréa­tique à Col­mar », ini­tiée par l’association Tie­fen­bach envi­ron­ne­ment. Agis­sant en tant que pré­sident de Col­mar Agglo­mé­ra­tion, il ini­tie sa réponse par un bref rap­pel his­to­rique du site de Wint­zen­heim, à pro­pos duquel il rap­pelle qu’au cours des « années 2009 et 2010 des tra­vaux finan­cés par l’A­DEME ont été entre­pris afin de réa­li­ser des tra­vaux d’é­tan­chéi­té et de confi­ne­ment en vue d’é­vi­ter des infil­tra­tions d’eau de pluie dans le mas­sif des déchets ».

« Ces pres­ta­tions ont consis­té en la mise en oeuvre d’une mem­brane géo­tex­tile étanche ».

Soit une situa­tion iden­tique (et peu convain­cante) à celle pra­ti­quée pour le soin de la décharge mul­hou­sienne de Kin­ger­sheim-Ese­la­cker. Pas tout à fait au demeu­rant, puisque le « confi­ne­ment ver­ti­cal » de la pol­lu­tion n’a quant à lui pas été mené à Col­mar, faci­li­tant ain­si la dif­fu­sion du panache polluant… 

Il pour­suit :

« Paral­lè­le­ment, depuis cette date, l’É­tat assure régu­liè­re­ment des contrôles pour véri­fier la qua­li­té des eaux. 

La der­nière cam­pagne a mis en évi­dence que le panache res­tait stable, tout en rele­vant des teneurs au-des­sus du seuil de pota­bi­li­té sur dif­fé­rents endroits, mais bien infé­rieure à celles mesu­rées au droit du dépôt.

Au vu de ces élé­ments, le Comi­té natio­nal des Sites et Sols pol­lués a déci­dé le lan­ce­ment d’une nou­velle cam­pagne de mesures sur une durée de 4 ans, soit jus­qu’en 2023. 

Il me parais­sait utile de vous rap­pe­ler cet his­to­rique qui démontre que la situa­tion n’est pas nou­velle et qu’elle a pu être maî­tri­sée jus­qu’à présent. 

A titre per­son­nel, je m’en suis ouvert auprès de M. le Pré­fet, qui me dit suivre ce dos­sier de près ».

Ain­si, Gil­bert Meyer veille avec le scru­pule d’un roi­te­let thau­ma­turge sur les 100 000 rive­rains expo­sés par le site… Les­quels peuvent dor­mir et boire à foi­son, puisque rien de bien nou­veau n’est déce­lé à proxi­mi­té des (futurs) pan­neaux solaires, et tout est sous contrôle… du moins jusqu’en 2023 ! 

Retour vers le futur d’une amibe

Après quelque inven­taire, il appa­rait cepen­dant que le stoï­cisme ami­boïde du maire de Col­mar ne fut pas tou­jours de mise. Pour preuve, ce cour­rier daté du 24 février 2003 que l’on nous a aima­ble­ment diligenté. 

La mis­sive du dépu­té-maire Gil­bert Meyer de l’é­poque, un poil plus alar­miste que celle de 2019, s’a­dres­sait à Rose­lyne Bache­lot, alors ministre de l’É­co­lo­gie et du Déve­lop­pe­ment durable. Meyer y fai­sait état d’une : « urgence d’impo­ser à l’ADEME la fixa­tion d’un cahier des charges pour la dépol­lu­tion du site et le chif­frage du coût de l’extrac­tion de la source de pol­lu­tion, seule solu­tion défen­dable à notre sens »

Insis­tant par ailleurs : 

« Devant l’urgence de la langue de pol­lu­tion qui pro­gresse vers nos forages d’alimentation en eau potable de la région col­ma­rienne (100 000 habi­tants), vous com­pren­drez la grande inquié­tude des élus, de la popu­la­tion et de tous les uti­li­sa­teurs de la nappe phréa­tique. Aus­si je vous serai recon­nais­sant de tout mettre en œuvre pour accé­lé­rer le trai­te­ment de ce grave pro­blème qui consti­tue un enjeu majeur de san­té publique »

Car bien avant que de se trans­mu­ter en pro­to­zoaire de la poli­tique, Gil­bert Meyer se ris­qua, voi­ci 17 ans, à endos­ser le rôle de titan de l’intérêt public et sani­taire ! Et, comme on l’a vu, il y allait fran­co : « Dépol­lu­tion du site », « extrac­tion de la source de pol­lu­tion », « seule solu­tion défen­dable à nos yeux ». Rose­lyne Bache­lot a dû s’en trou­ver bou­le­ver­si­fiée d’hébétude.

L’outrecuidante audace du pre­mier magis­trat col­ma­rien nom­mant expli­ci­te­ment la nature des pro­blèmes, et exi­geant leurs réso­lu­tions, s’é­va­nouit aus­si pres­te­ment que le brin de pit­to­resque fre­la­té qu’emporte les tou­ristes asia­tiques en déam­bu­lant le long de la Petite Venise. 

Un cou­rage éva­po­ré qui contraste encore avec sa récente décla­ra­tion au quo­ti­dien les DNA, dans son édi­tion du 21 décembre 2019, dans lequel il décla­rait : « …avant de pra­ti­quer une extrac­tion, il faut réa­li­ser un diag­nos­tic …La pré­ci­pi­ta­tion n’est pas bonne conseillère …si le dan­ger devait appa­raitre nous agirons ».

Réac­tion de Tien­fen­bach environnement 

L’association éco­lo­giste a réagi aux pro­pos de Gil­bert Meyer par voie de com­mu­ni­qué de presse. Et les mili­tants n’y mâchent pas leurs mots : 

« Nous ne nous fai­sons aucune illu­sion quant à la volon­té de l’État de don­ner une suite à la motion posée par Col­mar Agglo­mé­ra­tion. Sauf à ce qu’il soit assu­ré que les col­lec­ti­vi­tés puissent finan­cer cette dépol­lu­tion ».

« Nous consi­dé­rons la posi­tion prise par le Pré­sident de Col­mar Agglo­mé­ra­tion dans son cour­riel comme une pirouette rhé­to­rique des­ti­née à se débar­ras­ser du sujet ‘’PCUK Lin­dane’’, pour ne pas avoir à l’assumer, et ain­si «dépol­luer» sa cam­pagne élec­to­rale à venir de l’épineux pro­blème du Lin­dane ».

En consé­quence, leurs reven­di­ca­tions demeurent constantes : « Col­mar Agglo­mé­ra­tion doit prendre en main et por­ter haut la soli­da­ri­té com­mu­nau­taire et ter­ri­to­riale pour mettre un terme à cette pollution ».

« Col­mar Agglo­mé­ra­tion doit se sai­sir de ce dos­sier, l’instruire, le por­ter, le sou­te­nir, et d’une manière ou d’une autre mettre tout en œuvre pour abou­tir à la dépol­lu­tion com­plète du site. La tech­ni­ci­té d’une telle opé­ra­tion est aujourd’hui mai­tri­sée et ne peut plus être affi­chée comme dou­teuse. Des dépol­lu­tions de tels sites ont déjà été réa­li­sées. Huningue en est l’exemple par­fait ».

Ci-des­sous l’intervention de Pas­cal Lacombe, réagis­sant à la réponse de Gil­bert Meyer, au nom de Tie­fen­bach envi­ron­ne­ment, lors de la der­nière marche pour le cli­mat à Colmar. 

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