On avait laissé l’éditorialiste de L’Alsace, Laurent Bodin, transi d’émotion, et relatant avec force détails la larme à l’oeil qui vint sans venir de la ministre de la Transition écologique Pompili, alors qu’elle surgissait des profondeurs de Stocamine (ou elle fut la seule ministre à s’y rendre). Ses yeux n’étaient pas rougis par des motifs allergiques, mais pour des raisons d’histoire familiale personnelle. C’était beau.
On retrouve donc Bodin reporter tentant d’exposer les motifs qui virent la ministre choisir de confiner définitivement les déchets, puisque “les conditions de déstockage ne sont pas réunies“. En pariant alors pour que, d’ici “600 à 1000 ans” seules des “quantités extrêmement faibles” de polluants viendront empoisonner l’eau de boisson des alsaciens du futurs…
“Une décision sage et responsable“, à en croire son indispensable billet quotidien, à lire de préférence après avoir avalé 3 anxiolytiques.
La décision tomba drue du ciel parisien, alors que la quasi totalité de la classe politique locale, pour une fois unie sur le dossier, protesta devant l’unilatéralisme badin du ministère.
A des titres divers, les députés Schellenberger, Fuchs, et les sénateurs Drexler et Klinger ont condamné la décision.
Mais le plus redoutable des élus parmi les enragés à tendance hébertiste, qui semblent vouloir casser la baraque de rage, est l’inattendu Frédéric Bierry, président de la CEA (Collectivité Européenne d’Alsace), un produit politico-administratif assez improbable, issu de la vaporisation des deux départements alsaciens.
L’impétrant Bierry s’enhardit donc : “Si Madame la Ministre craint d’effectuer ces travaux de destockage, la CEA s’engage à…” mettre à l’oeuvre l’ensemble de ses élus pour s’y atteler ? Pas tout à fait, celui-ci ne s’engage qu’à en prendre la maitrise d’ouvrage… à condition, toutefois, que l’État concède la modeste obole de 456 millions d’euros à la collectivité, en lieu et place des 50 millions promis par l’Ademe !
Moins déchainés que Bierry l’enragé, mais plus structurés et pragmatiques, les associatifs s’apprêtent à déposer des recours devant la Cour administrative d’appel de Nancy, et une plainte pour mise en danger des citoyens et de la vie des opérateurs du site.
Le porte-parole de Destocamine, Yann Flory, se désolant par ailleurs de n’avoir pas même été lu, puisque un courrier documentés daté du 15 janvier rédigé par lui à la demande de la ministre, est resté sans réponse.
Une mine de dépotoirs à extraire d’urgence
Passé ces considérations factuelles, la mise en scène médiatique de cette information interroge tout autant que la décision politique elle-même, bien qu’il ne s’agisse pas vraiment d’une surprise.
En effet, outre l’encéphalogramme argumentatif plat de Bodin, qui joue, une fois encore, le commis passeur de plats, la demie-page de L’Alsace annonçant l’enfouissement est suivie par une seconde demie-page consacrée cette fois “à la dépollution de plusieurs sites en Alsace“.
On y apprend en effet que la ministre espère parachever l’affaire Stocamine en ventilant une petite cinquantaine de millions d’euros destinés à intervenir sur plusieurs sites alsaciens.
Une plaisanterie, dès lors que l’on sait que le seul site réellement visé, un ancien terrain pollué au lindane par son ancien propriétaire, PCUK, et situé à Wintzenheim, près de Colmar, nécessitera à lui seul, près de 35 millions d’euros en coûts de réhabilitation.
Et si le ministère a choisi ce site en particulier, c’est sans doute aussi parce que que le rapport de force et l’action du collectif de militants luttant ardemment pour sa dépollution, menée avec efficacité et brio par l’association Tiefenbach environnement, a porté ses fruits, ainsi que le reconnait Jean-Paul Roth, son président.
Or, on a vu non seulement combien les 50 millions jetés en pâture par le ministère est absolument dérisoire, au regard des couts prévisionnels, mais au motif de sa scandaleuse indigence, il semble occulter le caractère pléthorique de ces sites !
En 2014, on estimait à 349, le nombre de sites alsaciens présentant une pollution de sol et un risque pour l’environnement ou pour la sécurité des personnes, et par ailleurs, 9510 installations anciennes ont pu être à l’origine d’une pollution des sols.
L’Alterpresse68 s’est intéressé notamment au sort du site Eselacker, situé à Kingersheim, près de Mulhouse, qui fut jadis une vaste décharge à ciel ouvert, qui servait à la commune de Mulhouse, entre 1959 et 1969.
Lui aussi passablement pollué au lindane, mais pas exclusivement, il a fait l’objet de divers aménagements visant à limiter les effets délétères de la pollution par la ville de Mulhouse, qui en fut propriétaire, et devrait en devenir locataire, à la faveur du déploiement de panneaux photovoltaïques installés par un opérateur spécialisé, à en croire les déclarations entendues lors du dernier conseil municipal de la cité du Bollwerk.
Sur le site Eselacker, une femme seule s’est battue pendant des années afin de faire connaitre le lieu et ses nombreux abords à la population, au reste très facilement accessibles, et surtout documenter les conséquences de l’échappement du lindane dans la nappe phréatique.
Nous avons également évoqué un charmant petit plan d’eau, anciennement décharge sauvage, située sur le site du magasin Décathlon de Wittenheim, que nous appelions une “pêche miraculeuse sur un dépotoir“, puisque l’enseigne y a pratiqué l’art de la pêche à la mouche !
Il est plus que temps que le chantier de dépollution qui semble avoir été acté par les pouvoirs publics pour le site de Wintzenheim le soit également pour Eselacker, pour que cesse à tout le moins le replâtrage incessant d’un site qui se délite continument, et constitue un danger public présent et futur pour les riverains et tous les citoyens soucieux de préserver la nappe phréatique rhénane, l’une des plus importantes réserves en eau souterraine d’Europe, pour rappel.
Au-delà d’Eselacker, et devant le danger sanitaire que ces sites présentent pour les riverains et l’environnement, il y a lieu d’exiger une mise en sécurité par l’extraction des matières toxiques, comme les riverains de Wintzenheim, organisés collectivement, ont su l’obtenir.
L’État ne peut se défausser de ses responsabilités des lors que les pollueurs industriels, ou leurs successeurs, ne sont pas contraints de mener les chantiers.
Le Suisse Novartis s’est obligé à le faire sur ses capitaux à Huningue, et le cas est censé faire école, dit-on chez les élus. Il en a couté 300 millions de francs suisses à l’industriel, et plus de 7 années de chantier…
Que ce soit à Wintzenheim ou à Eselacker, qui peut soutenir les dépenses et investissements nécessaires afin d’extraire des matières hautement pathogènes, telles que l’amiante, les pesticides, les solvants chlorés, les PCB, l’arsenic, sinon la puissance publique, à défaut d’une multinationale prospère de la chimie ?
Si le problème est complexe, beaucoup de friches laissées à l’abandon demeurent dangereuses car elles sont polluées, d’autant qu’elles sont méconnues pour l’essentiel et cependant facile d’accès !
Pour agir sûrement et durablement, il faut mettre à jour les enjeux sanitaires liés à l’existence de ces sites, et en faire l’inventaire le plus exhaustif, pour ne pas se laisser abuser par des éléments de langage ministériels relayés par des leurres journalistiques, auxquels le double journal unique alsacien est coutumier.
Un hors-série d’Alterpresse68 publié en version papier, et consacré à ce sujet, est en préparation. Nous vous tiendrons informés de son avancement et sa disponibilité.