Le tra­vail des enfants dans les manu­fac­tures tex­tiles du 68 – 4ème partie

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Le 2 mai 1837, devant l’Ins­ti­tut de France, Louis René Vil­ler­mé, char­gé par Gui­zot d’enquêter (avec l’un de ses col­lègues) pour la toute pre­mière fois sur les condi­tions de tra­vail dans les manu­fac­tures, à tra­vers la France, brosse un por­trait acca­blant de la situa­tion des tra­vailleurs dans les manu­fac­tures, notam­ment celles employant des enfants, plus par­ti­cu­liè­re­ment à Mul­house et Thann. 

« Pour mieux faire sen­tir com­bien est trop longue la jour­née des enfants dans les ate­liers, rap­pel­le­rai-je ici que l’usage et les règle­ments fixent pour tous les tra­vaux, même pour ceux des for­çats, la jour­née à douze heures, que le temps des repas réduit à dix ; tan­dis que pour les ouvriers qui nous occupent, sa durée est de quinze à quinze heures et demie, sur les­quelles il y en a treize et demie de tra­vail effec­tif… Seize à dix-huit heures debout chaque jour, dont treize au moins dans une pièce fer­mée, sans presque chan­ger de place… Ce n’est plus là un tra­vail, une tâche, c’est une tor­ture ; et on l’inflige à des enfants de six à huit ans, mal nour­ris, mal vêtus, obli­gés de par­cou­rir dès cinq heures du matin la longue dis­tance qui les sépare de leurs ate­liers… (et de faire la même dis­tance le soir, après la fer­me­ture de l’usine). Com­ment ces infor­tu­nés qui peuvent à peine goû­ter quelques ins­tants de som­meil résis­te­raient-ils à tant de misère et de fatigue ? C’est, n’en dou­tons pas, ce long sup­plice de tous les jours qui ruine prin­ci­pa­le­ment leur san­té dans les fila­tures de coton et, plus encore, à Mul­house et à Thann qu’ailleurs, à cause des condi­tions dans les­quelles ils vivent ». 

Le remède au dépé­ris­se­ment des enfants dans les manu­fac­tures, à l’abus homi­cide qu’on en fait, ne sau­rait donc se trou­ver que dans une loi ou bien un règle­ment qui fixe­rait, d’après l’âge de ces ouvriers, un maxi­mum à la durée jour­na­lière du travail. […]

Il s’agit ici d’une loi d’humanité. Elle est néces­saire, indis­pen­sable. […] Cette loi, qu’il me soit per­mis de le dire en ter­mi­nant, doit conci­lier des inté­rêts tout oppo­sés, celui des fabri­cants, celui des ouvriers, et ne pas trop accor­der à l’un, de peur de nuire à l’autre. Il serait encore à dési­rer que l’on pût y faire entrer quelque article favo­rable à l’instruction pri­maire des enfants. (Dis­cours sur la durée trop longue du tra­vail des enfants dans beau­coup de manu­fac­tures par Vil­ler­mé. Aca­dé­mie de l’Institut de France, 2 mai 1837, p. 7–13).

Les mots claquent com­ment des fouets devant les chastes oreilles des indus­triels mul­hou­siens. Beau­coup n’en récla­maient d’ailleurs sans doute pas tant à Vil­ler­mé, qui s’était fait le che­vau-léger de leurs sou­haits de réformes sur le tra­vail des enfants, auprès du Gou­ver­ne­ment de juillet, afin notam­ment de pré­ve­nir tout fâcheux risque de dis­tor­sion de concur­rence, si les mul­hou­siens se trou­vaient seuls à mettre en œuvre une telle réforme… 

Jus­tice aveugle et sourde 

La réponse d’une frac­tion du patro­nat mul­hou­sien, bien que tar­dive, par­vient à Paris en novembre 1837. Elle émane curieu­se­ment du « Conseil de Prud’homme de Mul­hau­sen », comme on appe­lait cou­ram­ment encore la cité du Boll­werk au 19ème siècle. 

Un conseil de prud’homme qui vien­drait en défense et illus­tra­tion de l’élite indus­trielle mul­hou­sienne ? La chose appa­rait en effet étrange aujourd’hui, pour ceux qui connaissent la répu­ta­tion et le mode de fonc­tion­ne­ment de l’ins­ti­tu­tion, si l’on ne savait, dans le même temps, l’histoire mou­ve­men­tée de ce tri­bu­nal à voca­tion spé­ciale, au sein de l’organisation juri­dic­tion­nelle française. 

Juri­dic­tions élec­tives et pari­taires, les conseils de prud’hommes ont été ins­ti­tués par la loi d’Empire du 18 mars 1806. En matière de conten­tieux pro­fes­sion­nel, les réformes judi­ciaires de 1790 et de l’an VIII avaient confié aux juges de paix la réso­lu­tion des conflits du tra­vail dans les ate­liers et les manu­fac­tures inté­res­sant les salaires, les contrats de louage et d’apprentissage, les congés et la discipline. 

Des égaux plus égaux que d’autres 

Le Code civil tenait lieu de Code du tra­vail. Ceci peut appa­raitre ano­din de prime abord. Le fait est que les révo­lu­tion­naires fran­çais consi­dèrent que maitres et ouvriers se trou­vaient sur un pied d’é­ga­li­té pour régler contrac­tuel­le­ment leurs dif­fé­rends et conve­nir libre­ment des condi­tions de tra­vail. Par consé­quent, point besoin d’une juri­dic­tion de juge­ment autre que celle for­mée par le juge civil. 

On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’une aber­ra­tion de pre­mier ordre. Aus­si bien juri­dique que sociale, au demeu­rant. Car maitres et ouvriers sont évi­dem­ment tenus par des rap­ports de subor­di­na­tion, par lequel l’ouvrier s’oblige auprès du maitre, qui dis­pose de lui comme il l’entend, par le tru­che­ment de son pou­voir règle­men­taire et disciplinaire. 

En somme, le contraire abso­lu d’un rap­port d’égalité. Une anti­no­mie qui, pour­tant, ne sou­lève aucune objec­tion ou la moindre réserve dans le cadre de l’exercice quo­ti­dien de notre état de droit. Par lequel les rap­ports sociaux sont cen­sé­ment réglés et régis sur le prin­cipe de l’égalité entre citoyens. La démo­cra­tie éga­li­taire dans laquelle nous évo­luons, cesse tou­te­fois ses effets aux portes de l’entreprise, encore et tou­jours aujourd’­hui. La pro­prié­té du capi­tal pré­va­lant sur toute autre consi­dé­ra­tion, dans un espace d’in­te­rac­tion sociale imper­méable à toute critique. 

Pour autant, la vita­li­té pul­sion­nelle de la démo­cra­tie sociale se rap­pelle pério­di­que­ment au sou­ve­nir des employeurs. Les révoltes ouvrières sont légions dans l’his­toire pour en témoi­gner. De sorte que l’installation d’une ins­tance dévo­lue au conten­tieux du tra­vail se fait pres­sante dans la France d’Empire. Et ce sont les tri­bu­naux menant les conci­lia­tions entre les fabri­cants de soie et les ouvriers lyon­nais (les illustres « canuts»), par­ti­cu­liè­re­ment actifs en matière de révoltes, qui ser­virent d’exemple au législateur. 

Ce sont en effet les manu­fac­tu­riers, et notam­ment les fabri­cants de soie lyon­nais, qui pous­sèrent à l’instauration de la loi de 1806, créant les conseils de prud’homme. Une loi qui res­te­ra en l’état, et de pleine vigueur, jusqu’en 1979 ! Elle innove alors en pré­voyant une repré­sen­ta­tion par corps pro­fes­sion­nel, et en liant le droit du tra­vail à la pro­prié­té des moyens de pro­duc­tion ! La loi ins­ti­tue donc de nou­veaux juges, les « conseillers prud’hommes », issus du monde des métiers, qui ne sont donc pas des  juristes pro­fes­sion­nels. C’est tou­jours le cas à ce jour. 

Nau­frage social par suffrage 

A Mul­house, le tri­bu­nal est ins­ti­tué en 1808, comme dans d’autres villes françaises. 

Trois décrets des 11 juin 1809, 20 février et 3 août 1810 pré­cisent le mode d’élection et les com­pé­tences des conseillers.  Le « pari­ta­risme » de l’époque vaut son pesant d’hypocrisie. Face aux employeurs « négo­ciants-fabri­cants », la loi de 1806 res­treint le corps élec­to­ral ouvrier aux seuls chefs d’atelier. Le décret du 20 février 1810 fait place aux contre­maîtres, tein­tu­riers ain­si qu’aux « ouvriers paten­tés », c’est-à-dire des sous-trai­tants, employeurs de fait. Quant aux ouvriers, com­pa­gnons et appren­tis, bien qu’évidemment jus­ti­ciables des conseils de prud’hommes, ils ne sont ni élec­teurs, ni éli­gibles. Enfin, les élec­teurs doivent savoir lire et écrire, et exer­cer leur acti­vi­té depuis six ans dans le res­sort de la juridiction. 

Alors qu’en 1831 des indus­triels mul­hou­siens deman­daient timi­de­ment au Gou­ver­ne­ment de juillet l’instauration d’une ins­truc­tion obli­ga­toire, à peine plus de la moi­tié des hommes savent alors signer leur acte de mariage, et moins du tiers des femmes…

Pour en reve­nir au conseil de prud’homme de « Mul­hau­sen » ins­tau­ré en 1808, nous trou­vons trace de sa par­ti­ci­pa­tion à une cir­cu­laire, éma­nant du Minis­tère des tra­vaux publics, de l’agriculture et du com­merce, au sujet des condi­tions de tra­vail infan­tile dans les manu­fac­tures. Celui-ci y répond de la même manière, froide et déta­chée, qu’a­vaient adop­té les membres de la socié­té indus­trielle quelques temps auparavant. 

Tau­liers-édu­ca­teurs

Mais, au terme des ques­tions-réponses, on peut y lire, avec grand pro­fit, un adden­dum tout à fait édi­fiant, rédi­gé par un ou des membres de ce tri­bu­nal, dont on aura com­pris, au regard de ce qui a été dit pré­cé­dem­ment, qu’il est essen­tiel­le­ment tenu par des employeurs. 

Cet ajout vaut d’être cité ici in-exten­so :   

« Qu’il nous soit main­te­nant per­mis, Mon­sieur le Ministre, d’entrer dans quelques consi­dé­ra­tions géné­rales ayant rap­port à l’ob­jet qui nous occupe. Nous aimons à recon­naître les inten­tions phi­lan­thro­piques des hommes et des socié­tés qui ont cher­ché à pro­vo­quer en France une loi ana­logue au bill anglais, qui limite l’âge et res­treint la durée du tra­vail des enfants, mais nous ne pou­vons attri­buer à l’in­fluence de nos grands ate­liers le mal qu’on signale et qui sans doute, a été exa­gé­ré dans le but de le faire paraître plus grave. On  reproche  aux  villes  manu­fac­tu­rières  d’a­voir  constam­ment  une  grande  quan­ti­té d’ou­vriers dans un état de souf­france, on dit que ce sont des mal­heu­reux obli­gés à un tra­vail pénible, char­gé la plu­part d’une famille  nom­breuse et dont le salaire est au-des­sous des besoins, que beau­coup de ces gens sont d’une grande  incon­duite, que beau­coup n’ont pour oppo­ser à l’in­tem­pé­rie de l’air, que des vête­ments hors d’é­tat de les en garan­tir, pour s’a­bri­ter pen­dant la nuit que des  loge­ments  trop  sou­vent  humides  et  mal­sains, pour repo­ser  leurs membres  fati­gués  qu’un  gra­bat, pour se nour­rir que des ali­ments  gros­siers  et  insuf­fi­sants,  on annonce qu’il se déve­loppe un dépé­ris­se­ment effrayant dans la popu­la­tion manu­fac­tu­rière par l’ex­ploi­ta­tion homi­cide qui a lieu dans les grands éta­blis­se­ments, on a même dans des dis­cours pro­non­cés en séance publique devant  l’a­ca­dé­mie par des com­pa­rai­sons entre les heures de tra­vail des manu­fac­tures et des bagnes, cher­ché à éta­blir que la posi­tion des for­çats est moins pénible et pré­fé­rable à celle de nos jeunes ouvriers ; ceux-ci tra­vaillent dans quelques endroits plus de 12 heures par jour, tan­dis que les galé­riens ne sont assu­jet­tis qu’à 10 heures de pré­sence. Dans des tableaux les uns plus sombres que les autres on attri­bue tous les maux à l’in­dus­trie en accu­sant le tra­vail des grands ate­liers d’en être la cause prin­ci­pale. Per­sonne ne contes­te­ra que l’on remarque par­fois de la misère dans les grands centres d’in­dus­trie, que la débauche, l’in­con­duite y est sou­vent plus appa­rente que dans les cam­pagnes ou dans les endroits iso­lés, et nous sommes les pre­miers à le recon­naître mais attri­buer ces maux au tra­vail dans les manu­fac­tures nous paraît une grave erreur. En effet, en consi­dé­rant les villes manu­fac­tu­rières pen­dant les époques de pros­pé­ri­té, on y voit affluer de plus de 50 lieues à la ronde tous ceux qui n’ont aucune res­source chez eux, la plu­part des gens rui­nés, ou misé­rables, sans ins­truc­tions, sans conduite, enfin des familles entières de men­diants dont les com­munes et les pays limi­trophes sont contents de se voir débar­ras­ser. Ain­si, nous voyons arri­ver chez nous chaque fois que les affaires vont bien, quan­ti­té de per­sonnes de la classe la plus misé­rable du Bas-Rhin, des Vosges, du grand-duché de Bade, de la Suisse, du Wur­tem­berg. Est-il éton­nant dès lors que par­mi un tel ramas­sis qui de loin vient se concen­trer de la sorte sur un seul point, on remarque peu d’aisance, peu d’instruction, peu de mora­li­té, peu d’é­du­ca­tion. On a sou­vent annon­cé qu’il y avait le moins de bien être par­mi les ouvriers de fila­ture et tis­sages, sur­tout ceux conduits par moteurs, comme on y emploie beau­coup d’en­fants et que le tra­vail y est ordi­nai­re­ment plus long que dans les autres indus­tries, on a bien vite tiré les conclu­sions qu’il fal­lait attri­buer à ce tra­vail l’é­tat des ouvriers qui y étaient occu­pés, et sans cher­cher plus loin, on a pré­ten­du en même temps que c’é­tait la ruine des enfants. Mais  si  l’on  veut  bien  obser­ver  que  presque  tous  les  nou­veaux  venus  débu­tant par  la fila­ture ou le tis­sage, sur­tout les enfants, que le salaire  y est ordi­nai­re­ment plus bas que dans toutes les autres branches d’in­dus­trie et qu’aus­si­tôt que l’une d’elle prend du déve­lop­pe­ment on voit  tous  ceux  qui  ont  la  moindre  chance  de  trou­ver  un  emploi  plus  lucra­tif  quit­ter  leur pre­mière place, que par cela même ces éta­blis­se­ments se trouvent bien mal­gré eux sans cesse dans  la  néces­si­té  de  recru­ter  leurs  ouvriers  dans  les  classes  les  plus  pauvres,  on  ne sera  dès lors plus éton­né de remar­quer moins de bien-être par­mi ces ouvriers. Ne  serait-ce  pas  une  erreur,  que  de  vou­loir  attri­buer  au  tra­vail  dans  les  fila­tures, tis­sages  ou  impri­me­ries,  les  habi­tudes  per­ni­cieuses  qu’on  ren­contre  par­mi  ces  ouvriers  ?  Au lieu de leur nuire sous ce rap­port ne pour­rait-on pas pré­tendre avec plus de rai­son que c’est bien réel­le­ment dans ces ate­liers que com­mence leur édu­ca­tion ? Car étant sou­mis sous bonne sur­veillance à des règles sévères mais justes, ils y apprennent à connaître l’ordre, la dis­ci­pline, l’exac­ti­tude, et la bonne conduite dont ils n’avaient aupa­ra­vant aucune idée [au crayon en marge] : dimi­nuer le nombre de fai­néants dans un royaume, en détrui­sant l’oi­si­ve­té se pro­duit par l’é­ta­blis­se­ment des manufactures.

Après tout ce qui vient d’être expo­sé, une réduc­tion des heures de tra­vail n’aurait d’utilité pour les enfants qu’autant qu’on trou­ve­rait un moyen effi­cace pour astreindre les parents à les envoyer à l’école et qu’on fut bien cer­tain que chez eux ils n’aient pas de plus mau­vais exemples et soient aus­si bien sur­veillés que dans les ate­liers. On a pré­ten­du que les ate­liers étaient pour la plu­part très mal­sains mais ne sait-on que nos éta­blis­se­ments ont en géné­ral des salles vastes et spa­cieuses main­te­nues à une cha­leur tem­pé­rée et qu’ils sont cer­tai­ne­ment plus sains que les habi­ta­tions des ouvriers que l’on ren­contre ordi­nai­re­ment très étroites peu aérées et sou­vent humides. Si  dans  les  causes  que  nous  venons  de  signa­ler  nous  sommes  entré  dans  tous  ces déve­lop­pe­ment  c’est  parce  qu’ils  n’ont  encore,  à  ce  que  nous  sachions,  été  pris  nulle  part  en consi­dé­ra­tion  et que  nous  dési­rions  démon­trer  que  c’est  bien  plus  dans  l’af­fluence  vers  les centres  indus­trielles  des  classes  infé­rieurs  de  la  Socié­té  que  dans  le  tra­vail  plus  ou  moins pro­lon­gé des enfants qu’il faut cher­cher la véri­table cause des maux que l’on a signa­lé. En vous sou­met­tant ces réflexions, Mon­sieur le Ministre, les membres du Conseil des Prud’hommes de Mul­house ont cru entrer dans les voies émises par Votre cir­cu­laire et si un pro­jet de loi peut limi­ter la durée de tra­vail des enfants dans les manu­fac­tures, devait être sou­mis aux chambres, nous croyons que les obser­va­tions que nous venons de Vous sou­mettre, aide­ront à faire appré­cier jus­qu’à quel point il fau­dra aller dans les dis­po­si­tions légis­la­tives. Nous avons l’honneur d’être avec la plus haute consi­dé­ra­tion, Mon­sieur le Ministre, vos très obéis­sants et très dévoués ser­vi­teurs. Le Conseil des Prud’­hommes de la ville de Mul­hau­sen, Le Pré­sident ».

Ain­si, le pré­sident du Conseil, en roue libre ou en ser­vice com­man­dé, mani­feste son indi­gna­tion à l’égard des reproches faits aux villes manu­fac­tu­rières, en visant impli­ci­te­ment le dis­cours de Vil­ler­mé pro­non­cé le 2 mai 1837 devant l’Ins­ti­tut. Le terme de « for­çat » uti­li­sé par le méde­cin y est repris pour être critiqué. 

Le Conseil cherche à jus­ti­fier l’injustifiable, par un savant retour­ne­ment rhé­to­rique. Non, l’industrie ne crée pas la misère. Elle la rend sim­ple­ment plus visible ! Il est vrai que Mul­house attire alors en nombre des popu­la­tions suisses et alle­mandes, qui servent notam­ment de repous­soir com­mode aux indus­triels. Et qu’ils peuvent ins­tru­men­ta­li­ser à loi­sir. Des pes­ti­fé­rés sans édu­ca­tion dont per­sonne ne veut, sauf, en sa cha­ri­table atten­tion, l’industrie manu­fac­tu­rière mul­hou­sienne, vouée, en outre… à l’éduquer par la voie de l’industrie !

L’au­teur y confirme en outre que les manu­fac­tu­riers puisent dans le vivier de main‑d’œuvre la moins qua­li­fiée, et donc la moins rému­né­rée. Occa­sion­nant un « turn-over » très impor­tant, mais assu­mé par pur esprit de sacri­fice, dont sont évi­dem­ment cou­tu­miers les indus­triels, car il s’agit d’abord d’agir pour le salut des âmes ouvrières ! Point d’habitudes per­ni­cieuses. D’abord et sur­tout la dis­ci­pline du tra­vail en usine !

Dans le célèbre (bien qu’o­mis de l’his­toire sociale) rap­port Vil­ler­mé, sur lequel nous revien­drons, le « bon » méde­cin du tra­vail oppo­se­ra tout autant dans ses des­crip­tions phy­siques les ouvriers mul­hou­siens du tex­tile, autoch­tones et braves, à la popu­la­tion gyro­vague, venue de l’extérieur. Tout comme le Conseil de prud’­homme de Mul­house, il repren­dra à son compte l’idée que ce n’est pas l’industrie qui fait les pauvres, mais qu’elle les agglo­mère depuis l’étranger…

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