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Un troisième projet de loi, après un échec généralisé de la loi de 1841
En juillet 1867, la publication républicaine « Le Courrier du Bas-Rhin », informe ses lecteurs d’un nouveau-nouveau projet de révision de la loi de 1841.
C’est la troisième fois, en 26 ans, qu’une tentative de recodification des règles applicables au travail des enfants dans les manufactures a lieu, après le second processus, avorté, de 1848.
Lancée à l’initiative du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics d’alors, un certain Adolphe de Forcade La Roquette, il s’agit d’abord d’assumer les conséquences d’une incapacité politique manifeste à mettre en œuvre les premières dispositions de loi à caractère social de l’histoire industrielle française, pourtant modestes.
« Le Courrier du Bas-Rhin » publie donc les réponses de la commission d’inspection de Mulhouse, envoyées par Jean Dollfus, vice-président, patron de DMC et maire de Mulhouse, et par Charles Doll, secrétaire de la commission. Les réponses sont d’autant plus attendues à Paris que la société industrielle de Mulhouse (SIM), continue à être considérée comme une force de proposition, voire même une inspiratrice des réformes à l’étude.
Dans la série de questions-réponses apportées par les industriels mulhousiens, on comprend vite qu’aucune disposition de la loi n’est susceptible d’être garantie par une commission d’inspection composée du ban et de l’arrière ban de l’oligarchie manufacturière locale.
Les mulhousiens ne dissimulent pas même le fait que la loi ne soit pas appliquée, car elle est simplement considérée comme inapplicable ! Près de 26 ans après son adoption, le rythme d’adaptation de l’industrie aura été d’un atermoiement remarquable. A contrario, son poids économique fut si puissant qu’elle aura été en capacité d’entretenir une inertie juridique d’autant plus efficace et redoutable, qu’elle était juge et partie à son application !
L’impulsion philanthropique, alliée à l’ordre et l’intérêt public, qui devaient présider à la naissance de cette loi, à savoir la protection de l’intérêt physique et moral des enfants, et leur accès à une forme élémentaire d’éducation, a été purement et simplement démenti pendant le quart de siècle qui suivit.
Ce qui achoppait avant tout pour les manufacturiers peu scrupuleux concernait d’abord la durée du travail, réglementée à un maximum de 8 h pour les 8–12 ans dans la loi de 1841 pour les filatures et les indienneries. Alors qu’il est interdit, dans la même législation, d’employer des enfants de moins de 8 ans. Les industriels exigèrent que la loi concernant cette tranche d’âge, soit revue et adaptée aux types d’horaires des fabriques, en l’occurrence 11 ou 12 h.
Ce faisant, les mulhousiens informent sans détours le ministère de ce que le niveau d’instruction des enfants n’est pas plus à la hauteur des attentes réglementaires. Certes, la commission incite les manufacturiers à faire l’école en les murs des établissements, à raison de 2 heures par jour. Mais le contexte productif rend son application inégale, voire inexistante. Sachant par exemple que l’on ne travaille dans les indienneries qu’à raison des heures d’ensoleillement, contrairement aux filatures, où la production peut ne pas cesser la nuit venue. Pour autant, ils en reconnaissent ouvertement l’échec : plus du tiers des enfants soumis à obligation scolaire, et employés dans les fabriques, ne sait toujours ni lire ni écrire en 1867, violant ainsi les dispositions de la loi de 1841.
L’explication avancée par la commission de la SIM veut que beaucoup parmi ces enfants proviennent des campagnes environnantes à la ville de Mulhouse. Et qu’après avoir fréquenté l’école, l’espace de quelques semaines, voire quelques jours, dans des conditions matérielles et physiques insupportables (puisque le temps scolaire s’ajoutait à celui du travail à l’usine, auquel on additionnait encore le temps de retour vers le lieu de résidence), ils finissaient nécessairement par abandonner.
Pour se conformer formellement aux prescriptions légales, les maires leur produisaient alors des attestations de scolarité de complaisance, que les industriels choisissaient évidemment de valider aussitôt, afin de dégager leur responsabilité sur le sujet.
Mais le plus ahurissant fut sans doute de découvrir, dans la liste de questions posées par le ministère à la SIM, la réponse à la question : « Comment est organisé le service de l’inspection ? ».
En voici la teneur : « A la suite de la promulgation de la loi, une première commission a été organisée et a fonctionné pendant les années 1841, 1842, 1843, 1844 et 1845. Puis il n’a plus rien été fait jusqu’en 1853 ; la Commission nommée à cette époque a cessé tout travail au bout de trois ans ; enfin, par arrêté préfectoral du 4 mai 1865, une nouvelle Commission a été instituée pour l’arrondissement de Mulhouse […) »
Ainsi, il est négligemment indiqué que l’organisation des inspections fut intermittente, et même purement et simplement supprimée entre 1845 et 1853, puis entre 1856 à 1865 ! Pendant 17 années, les industriels furent donc libres d’appliquer, ou non, la loi, en raison de leur intérêt personnel ou en fonction de leur degré de scrupule personnel à exploiter au plus les enfants ouvriers. Difficile, dans ces conditions, de ne pas supposer que des enfants plus jeunes que le minimum légal de 8 ans n’en firent les frais, et furent enrôlés dans l’étuve infernale des filatures, pendant 17 longues et profitables années pour l’industrie.
Sur les mesures à prendre pour améliorer le fonctionnement de la loi, les réponses sont dans l’ordre de ce que la SIM défend depuis au moins la tentative de réforme de 1848 restée lettre morte, soit des demi-journées de 6 h de travail et 3 h d’école (gratuite) pour les 8–12 ans.
Mais la SIM réitère également sa demande de création d’un corps d’inspecteurs salariés sous statut de fonctionnaire, de sorte à appuyer le travail de la commission de contrôle, et la généralisation des contrôles à tous les types d’ateliers.
Elle propose également de réduire le travail des 12–16 ans à 11 h. La même mesure serait étendue aux femmes, dans l’optique d’uniformiser le temps de travail en général : « Le travail des enfants de 12–16 ans doit en tous points concorder avec celui des autres ouvriers ».
Toutes mesures dont elle rappelle qu’il s’agissait déjà de celles qui devaient inspirer la loi de 1848, emportée et oubliée dans les tourments de la révolution de février ayant eu lieu la même année.
Si les mesures sont encore pusillanimes, elles sont également desservies par le fait que la commission croit devoir justifier le caractère indispensable du travail des enfants. Non content de constituer une contribution aux revenus familiaux (argument hypocrite, même s’il est fondé sur un fait économique avéré), les industriels arguent de la nécessité du travail infantile, main d’oeuvre indispensable pour se glisser sous les métiers à tisser, rattacher le fil et en graisser des parties. Un travail jugé… dangereux pour des ouvriers adultes ! Raison pour laquelle la commission jugera irréaliste l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans…
Un parc (pas très attractif) dans l’histoire sociale mulhousienne
Les mulhousiens connaissent bien le parc Steinbach, situé à quelques encablures de la Place de la Réunion, centre historique de Mulhouse. La maison attenante au parc est aujourd’hui transformée en un musée municipal des Beaux Arts. Elle formait la demeure de ce célèbre industriel et chimiste, évidemment membre de la SIM, qui la légua à sa ville de résidence, avec son jardin, devenu le parc éponyme.
Il fut par ailleurs conseiller municipal de Mulhouse et Président de l’école municipale de chimie fondée et en partie financée en 1867. Installée aujourd’hui sur la campus de l’Illberg, elle fut agrandie ces dernières années, à l’occasion d’une explosion durant l’année 2006. Elle est aujourd’hui internationalement réputée.
Mais quel mulhousien sait encore qui fut au juste Georges Steinbach ?
Dans les échanges et discussions enregistrés dans les publication de la SIM à partir de 1867, Steinbach est le plus farouchement et constamment réactionnaire. Sa priorité est de récuser toute remise en question de la loi votée en 1841, qui lui convient fort bien.
La trace écrite qui en témoigne le mieux est le « Rapport de la commission du travail des enfants dans les manufactures et usines », publié pour les soins de la Chambre de Commerce de Mulhouse, et daté du 11 décembre 1867.
Trois grands industriels en sont les auteurs: Jean Schlumberger, responsable du secteur textile chez Nicolas Schlumberger & Cie à Guebwiller, Édouard Mieg, associé de son père dans les filature et tissage Charles Mieg & Cie de Mulhouse, et donc Georges Steinbach, patron de la manufacture d’indiennes de Mulhouse Steinbach, Koechlin & Cie.
En guise de réponse aux questions ministérielles sur l’opportunité de réviser la loi de 1841, les trois industriels témoignent d’une position rétrograde, a contrario de ce que la SIM, en dépit de débats parfois houleux en interne, promouvait en matière d’amélioration du sort des enfants ouvriers. Le ton y est particulièrement sec.
3 propositions sur 4 du projet de loi de 1867 sont ainsi fermement rejetées :
- La limite d’âge minimale à 10 ans, dont l’argumentation repose sur l’idée que les enfants les plus jeunes ne travaillent pas dans les filatures, mais dans des ateliers d’impression, les indienneries. Les locaux y sont « spacieux, aérés et salubres ». Un véritable camp de vacances. Les enfants, placés« sous la surveillance habituelle de leurs parents — n’ont qu’un travail facile et modéré, qui ne contrarie en rien leur développement physique ».
Et que se passerait-il, si d’aventure on privait les plus jeunes enfants de la chance d’une activité précoce en atelier d’impression ? Ne serait-ce pas « une occasion de démoralisation et de vagabondage » ? D’autant que : « L’enfant, entré à huit ans dans l’atelier, façonné au travail, ayant acquis l’habitude de l’obéissance et possédant les premiers éléments de l’instruction primaire, arrivera à dix ans plus capable de supporter la fatigue […] » Et c’est en cela que le miracle du travail produit ses effets vertueux sur l’esprit du jeune travailleur. Il apprend concomitamment l’obéissance au patron et l’art de l’endurance devant l’effort physique, quand bien même la commission jurait précédemment que les enfants de 8 à 10 ans n’avaient « qu’un travail facile et modéré, qui ne contrarie en rien leur développement physique ». Sans omettre, bien sûr, que retarder de deux ans l’entrée des enfants dans les joies du travail « facile » et « modéré », cela « serait priver les familles d’ouvriers, pendant tout ce temps, d’un salaire dont la plupart ont un pressant besoin, quelque modique qu’il puisse être. La cherté des vivres, les conditions matérielles de l’existence, de jour en jour plus difficiles, obligent ces familles à recourir aussitôt que possible à l’appoint du salaire de leurs enfants. C’est une nécessité qu’on est en droit de déplorer, mais qui, par le seul fait qu’elle existe, mérite d’être prise en considération ».
- La limitation à 6 heures de travail par jour au lieu de 8 heures pour les 8–12 ans sur une demi-journée, que la SIM réclame depuis 1847. La question du temps de travail prétendument « trop prolongé », plonge d’ailleurs Steinbach dans la nécessité d’une démonstration assez mémorable :
« Quoi de moins fondé qu’un tel reproche ! Les enfants du mème âge appartenant à des familles riches ou simplement dans l’aisance, ne sont-ils pas retenus plus longtemps encore dans les établissements d’instruction publique, pour les classes, les études, les punitions ? et le travail d’esprit auquel les soumet le règlement scolaire, n’est-il pas plus absorbant, plus pénible et moins favorable au développement physique que les occupations de l’atelier ». On méconnait en effet par trop les vicissitudes du fils de bourgeois, sanglé à son pupitre d’écolier, tout occupé à façonner et intérioriser ses réflexes de futur dominant, avant que de plier ses futurs subordonnés dans « l’habitude de l’obéissance ».
Mais si ces enfants d’ouvriers se piquaient de fréquenter l’école communale, que se passerait-il donc ? « Admettons même, malgré l’invraisemblance de l’hypothèse, qu’ils fréquentent régulièrement l’école communale du village, dans les localités où il en existe. Mais c’est alors un surcroît de dépense qu’on imposera à ces communes, mises dans la nécessité de créer pour ces enfants d’ouvriers un enseignement tout spécial, indépendant de l’enseignement régulier de l’école primaire, — pour remplacer les écoles de fabrique qui cesseraient d’avoir leur raison d’être ». L’école de fabrique suffira donc au fils d’ouvrier, simplement prié d’apprendre au plus tôt sa place dans la chaine de production industrielle.
- Enfin, la commission ne voit pas du tout la nécessité d’instaurer des inspecteurs du travail professionnels et fonctionnaires d’Etat, « dont la création constituerait une charge, soit pour le trésor public, soit pour le budget départemental ». En revanche, des fonctionnaires bénévoles pourraient fort bien servir d’accompagnants aux membres de la commission !
- Seule l’extension des contrôles administratifs à l’ensemble des manufactures (et non plus seulement celles employant plus de 20 salariés) trouve grâce aux yeux de la commission menée par les trois industriels.
Max Weber en illustrateur du rôle réactionnaire de certains industriels protestants
Avec Steinbach qui pèse de tout son poids dans les conclusions de cette commission de la Chambre de commerce de Mulhouse, on assiste aux limites de l’exercice de philanthropie sociale dans lequel le patronat mulhousien se voulait être l’aiguillon au travers de la SIM.
Le personnage est si profondément réactionnaire, que l’on pourrait s’adonner à faire de cette fraction de l’histoire industrielle de la ville de Mulhouse, qui fut pourtant le point d’origine de plusieurs réformes sociales, une lecture « marxisante » ou « weberienne ». On y distingue en effet des protagonistes formant des parties parfaitement irréconciliables dans leurs positions et intérêts.
D’un côté les industriels mulhousiens essentiellement protestants, et accessoirement francs-maçons, et de l’autre les prolétaires, dont beaucoup étaient d’anciens métayers venus chercher de meilleurs conditions de vie matérielle à la ville, quand d’autres étaient originaires de Suisse et d’Allemagne, mais tous étaient de confession catholique.
Cela semble correspondre à l’« ethos » ou à l’esprit capitaliste, vu par Max Weber. Le sociologue voyait la genèse de cet esprit dans l’ascèse du travail, placée au centre du protestantisme calvino-puritain. Étant donné que dans celui-ci, le travail est la plus haute fonction que puisse accomplir l’homme pour célébrer la gloire de Dieu. Par ailleurs, le fidèle trouvera dans sa réussite professionnelle une confirmation de son statut d’élu divin.
Rien à voir, donc, avec le fait de vivre paisiblement du malheur d’autrui, en l’occurrence celui des enfants…
Mais Weber allait plus loin dans sa critique, en considérant que le capitalisme installait cyniquement une « cage d’acier » pour régir tous les aspects de la vie à la fonction du « Dieu » profit.
Que cela se fit au détriment du sort et du bien-être de l’enfance soumise au travail industriel, ne semblait pas agiter les nuits du notable mulhousien. Car les rapports entre hiérarchies sociales et idées religieuses, ainsi que les décrivaient Weber (même s’il a lui-même évolué sur ces sujets) devaient revêtir un statut quasi naturaliste pour Steinbach. La croyance en semblait partagée.
Mais le profil protestant capitaliste défini par Weber, n’est peut-être pas celui de Steinbach. Son cynisme calculateur semblant proche de l’idée de perversion capitaliste, chère au philosophe Mandeville, pour lequel « le vice », qui conduit à la recherche de richesses et de puissance, produit involontairement de la vertu, parce qu’en libérant les appétits, il apporte une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société.
Cela vous rappellerait-il la doctrine entérinée récemment par un certain président de la République ?
Les statistiques de la situation des enfants au travail, en décembre 1869
Ces éléments statistiques ont été présentés en avril 1869 lors des débats du comité d’utilité publique de la SIM. Ils portent sur les 1 001 ouvriers de DMC employés à l’impression et au blanchiment (en soustrayant les effectifs de la filature, du retordage et du tissage, estimé à 2 000 ouvriers).
La différence est significative entre la fabrication « sans la main », c’est-à-dire mécanisée, comme dans les filatures, où les enfants représentent 25 % de la main‑d’œuvre (dont 22 % de 12–16 ans et 3 % seulement de 8–12 ans) et la fabrication « à la main » (à main d’œuvre importante, comme dans les indienneries), où les enfants forment plus de 45 % de l’effectif, dont 41 % d’enfants de 8–12 ans. Dans cette tranche, les plus jeunes sont majoritaires : 25 % des enfants de 8–12 ans ont 8 ans, 43 % ont 9 ans, 23 % seulement ont 10 et 11 ans.
75 % d’entre eux travaillent dans l’impression, 24 % dans les filatures alors que l’emploi des enfants dans les tissages est très marginal. 58 % sont des garçons, 42 % des filles.
L’emploi des enfants est très concentré dans 3 grandes manufactures de la ville : DMC, Steinbach, Koechlin & Cie et Thierry-Mieg & Cie emploient à eux trois 78 % de la main‑d’œuvre enfantine de Mulhouse.
Ainsi l’impression manuelle était un foyer important du travail des jeunes enfants. On comprend plus clairement la volonté de la SIM de distinguer entre les établissements mécanisés (les filatures) et non mécanisés (les indienneries) dans lesquels les enfants devraient pouvoir continuer à être embauché à partir de 8 ans.
Ce constat éclaire également les positions rétrogrades prises par Jean Dollfus et Georges Steinbach (rejoints par le fabricant de papier peint Ivan Zuber) lors des discussions de 1869 sur le travail des enfants, tandis que Frédéric Engel-Dollfus, également patron de DMC, prétend faire « abstraction de préoccupations d’intérêt privé », devant le comité d’utilité publique de la SIM.
Pourtant, aucune nouvelle loi sur le travail des enfants ne sera promulguée avant 1874.
1874 : une seconde loi attendue sur les enfants ouvriers
Après l’échec de la première loi limitant le travail des enfants, votée en 1841, mais qui restera pour l’essentiel sans effet, c’est « La loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et filles mineures dans l’industrie » qui constituera la première concrétisation d’une législation opérante, après plusieurs mois de débat à la Chambre des députés.
Défait par les armées prussiennes en janvier 1871, la France de la Troisième République est traversée par une crise morale, qui la porte à expliquer (notamment) les causes de ce désastre par la faiblesse de la constitution des conscrits français face à celles de leurs ennemis.
La limitation du travail des enfants doit leur permettre une croissance plus « saine ». La même considération était à l’origine du « Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie », rédigé en 1840 par le médecin Villermé, point d’origine de la première loi française, inappliquée, de 1841.
Le complément de ressources aux familles ouvrières constitué par le travail des enfants passe alors au second plan devant les préoccupations « humanistes », s’agissant surtout pour l’État de constituer un vivier de soldats opérationnels en temps de guerre.
- La loi nouvelle proscrit l’emploi d’enfants de moins de douze ans dans les établissements industriels, mais des aménagements sont possibles à 10 ans.
- Elle fixe à 12 heures maximum la durée de la journée de travail pour les enfants et pour les femmes.
- Le travail de nuit, celui des jours fériés et des dimanches, est interdit avant l’âge de seize ans, de vingt et un ans pour les filles dans les usines et manufactures.
- La loi prévoit d’associer la formation scolaire avec l’apprentissage.
- Pour la première fois, des dispositions répressives accompagnent la loi de 1874, avec la création d’un corps d’inspecteurs qui, rémunérés par le département ou l’État, doivent en surveiller l’application. Celle-ci s’avérera, là encore, bien incomplète, notamment en raison de la faiblesse du nombre des inspecteurs qui officient (une quinzaine pour toute la France !), de leur dépendance vis à vis des Conseils généraux et donc du bon vouloir des notabilités locales.
Il faudra attendre 1892 pour voir un texte destiné à protéger les femmes, et 1893 pour trouver une allusion au sort des adultes.
Un lien évident entre limitation du travail des enfants et scolarisation
L’évolution historique du travail des jeunes reste liée à celle de la scolarité obligatoire. Instituée en 1874, soit la même année que la première grande loi sur le travail des enfants, la gratuité de l’enseignement primaire fût votée le 16 juin 1881. Le loi Ferry établit l’enseignement laïc obligatoire, le 26 mars 1882.
La loi fût renforcée en 1892 : les enfants ne pouvaient plus être admis au travail avant douze ou treize ans, le temps de réussir le certificat d’étude.
D’autres mesures concernant la protection des jeunes au travail ne seront promulguées qu’à partir de 1905. La loi du 7 décembre 1926 interdit l’affectation des enfants aux travaux dangereux, insalubres, où ils seraient exposés à « des émanations préjudiciables pour leur santé ».
La limitation de l’âge d’embauche sera portée à seize ans en 1959, ordonnance entrée en vigueur le 1er juillet 1967.
Un travail jamais achevé
Comme on l’a vu plus haut, la loi sur la limitation du travail des enfants de 1874, institue un service de 15 inspecteurs divisionnaires et des inspecteurs départementaux.
Cette organisation devait être financée par les Conseils généraux, à leur initiative. Devant le peu d’empressement de ces derniers, les autorités françaises créèrent, par la loi du 2 novembre 1892 un corps d’inspecteurs, fonctionnaires d’État, dans le sillage de la Conférence internationale sur le Travail, réunie à Berlin le 15 mars 1890, prévoyant l’instauration d’une législation internationale du travail. L’OIT ne sera fondée qu’en 1919.
Il faudra attendre l’année 1910 pour voir apparaitre la première édition du Code du travail, rassemblant l’ensemble de la législation sociale à peine codifiée.
L’histoire sociale ne sera jamais un long fleuve tranquille. De nombreux enfants et adultes au travail témoignent de la condition terrible des prolétaires mulhousiens durant l’ère industrielle du « Manchester français ».
Une condition cruelle dont se vengeait Marx en mars 1868, dans l’une de ses correspondances à Engels: « Singulière, la façon dont le Dolfus [sic i.e Dollfus] (Alsace) se conquiert une fausse renommée ! Cet escroc qui est très en dessous des Anglais tels que Briggs, etc, a rédigé ses contrats avec ses ouvriers, contrats que seul une crapule déchue a pu imaginer, de telle sorte qu’ils forment sa propre colonie de serfs, qui il est vrai comme esclaves sont bien traités et ainsi aussi proprement exploités que le serait n’importe qui d’autre. C’est pour cette raison que cet animal a récemment fait adopter au Corps législatif, visant à faire en sorte que « la vie privée doit être murée ». Car ici et là son charlatanisme philanthropique a été mis en lumière[…] ».